Record d’affluence à cette 4e édition marrakchie du 1-54 (1 pour un continent, 54 pour cinquante-quatre pays) de l’art contemporain africain. Vingt galeries dont une douzaine africaine ont drainé un public qui s’élève à plus de dix-mille visiteurs. Dans le lot, professionnels, collectionneurs, acheteurs pointus… L’engouement pour le Contient prend de plus en plus d’ampleur de par le monde avec des cotes qui ne cessent de grossir. Ce qui encourage en 2013 Touria El Glaoui d’installer l’évènement d’abord à Londres, ensuite à New York en 2015 et à Marrakech en 2018, investissant Christie’s Paris en 2021 et 2022, avec l’intention d’élargir son champ à Dakar/Abidjan en 2025. Dans la foulée, le Nigéria et l’Afrique du Sud en prennent de la graine. Pourtant, contrairement à leurs homologues afro-américains dont les œuvres peuvent atteindre des sommes flirtant avec des millions de dollars, les artistes africains restés sur le Continent ou issus de la diaspora voient les prix de leurs pièces difficilement acquises autour de 200.000 euros. Mais cette réalité a des chances de muter crescendo même si des exceptions existent déjà, notamment lors d’enchères. Le cas du « Baba Diop » du Ghanéen Amoako Boafo qui s’écoule en 2020 à Hong Kong à 1,14 millions de dollars ou de « The Beautiful Ones » de la Nigériane Njideka Akunyili adjugé à New York à 4,7 millions en 2007. A Marrakech, dans le cadre de la Mamounia, les stands des différentes galeries présentes confirment l’engouement pour cet art contemporain africain noir, africain par les thématiques ou pas. « Une déferlante de jeunes africains voient leurs œuvres s’arracher. Les quadras et les trentenaires, soutenus par de solides galeries, s’imposent bien plus rapidement que leurs aînés », indique Artprice, leader mondial du marché de l’art.
Anis HAJJAM
Une grande frilosité
Au Maroc où l’on compte un nombre croissant de galeries d’art plus ou moins structurées, quelques musées et à leur tête le Musée Mohammed VI d’Art Moderne, est pour l’instant un lieu de rencontres sporadiques d’expression internationale. Ajoutant à cela un phénomène qui perdure : autant les collectionneurs locaux font preuve d’une grande frilosité, n’investissant que dans les artistes marocains ou évoluant dans le pays (peu coûteux ?), autant ces mêmes artistes ne sont, dans leur grande majorité, pas mis en valeur à l’étranger par leurs galeristes si on écarte de maigres exceptions. Et pourquoi l’Afrique subsaharienne fait mieux que le Maroc ? Parce que, certainement, nous sommes le Maghreb et eux l’Afrique, aux yeux exclusifs des professionnels occidentaux et américains. Devrait-on croire que cette Afrique est mieux armée ? Nos galeries, en tout cas, en expose des artistes à longueur d’années. A l’Art Fair de Marrakech, la Galerie 38 casablancaise par exemple, récemment marrakchie et ultérieurement genevoise, voit son rayon bien vidé : une sculpture du Burkinabè Siriki Ky, un tableau de Soly Cissé (Sénégal), un autre du Camerounais Barthélémy Toguo et un autre encore d’Abdoulaye Konaté (Mali). L’Afrique dans tous ses éclats. « Car le marché s’est développé grâce aux collectionneurs afro-américains », explique la galerie.
Différences culturelles
Nathalie Obadia, professeur à Sciences Po Paris et galeriste à Bruxelles et Paris analyse ainsi le marché d’art africain pour le journal français Les Echos : « Le continent africain compte 54 pays avec de grandes différences culturelles, géographiques et économiques, et cela se reflète sur le marché. L’Afrique du Sud, le plus structuré, a depuis longtemps des galeries de niveau international comme Goodman ou Stevenson, des foires d’art reconnues au Cap et à Johannesburg, un musée privé très actif, le Zeitz Museum au Cap. L’artiste le plus célèbre, William Kentridge, est exposé dans des musées comme la Royal Academy de Londres. Et depuis quelques années, des artistes plus jeunes ont une aura internationale tels Muholi, Ndzube, Hlobo. Le Sénégal est l’autre pays au meilleur maillage, avec la Biennale de Dakar fondée en 1990, des galeries comme Cécile Fakhoury présente aussi en Côte d’Ivoire et à Paris, des musées ambitieux tel celui des Civilisations noires ouvert en 2018. Dakar attire aussi les artistes afrodescendants comme Kehinde Wiley qui y a ouvert une résidence d’artistes. Nombre de créateurs connus, comme Omar Ba, sont sénégalais. Le pays qui monte est le Bénin dont sont issus les photographes Seydou Keita et Sidibé exposés dans le monde entier. L’action de la famille Zinsou y est très importante grâce à sa Fondation à Ouidah, et plusieurs musées vont être construits – dont un qui accueillera les objets restitués par le Quai Branly. Le pays a su bénéficier des politiques de restitutions et va être un exemple pour les autres. Le Nigeria, le Ghana et la Côte d’Ivoire sont aussi actifs mais les problèmes économiques et politiques mettent à mal la structuration d’une scène artistique qui a besoin de stabilité. Il en est de même de l’Ethiopie, dont la galerie Addis Fine Art a heureusement une antenne à Londres pour représenter les artistes. » Quant au Maroc, il ne figure dans son discours que comme hub du Continent. L’art contemporain africain a, finalement, plusieurs segments d’existence.
Anis HAJJAM