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Culture

Aicha BELARBI : La féministe de la parité en suspens


Rédigé par L'Opinion le Jeudi 20 Février 2025

En cette année charnière de réforme et de raffermissement du droit de la famille en général et des droits des femmes en particulier, «L’Opinion» a choisi, contrairement à un usage courant, d’honorer la femme marocaine non seulement lors de la journée du 8 mars, mais sur plusieurs semaines en amont, en publiant les portraits de femmes qui ont marqué l’Histoire du Maroc, puisés du livre «Brises et vents : Marocaines engagées» de Mme Fawzia Talout Meknassi, journaliste, éditrice et militante pour les droits économiques des femmes depuis plus de 30 ans.



Aicha BELARBI : La féministe de la parité en suspens
C’est dans son beau bureau au premier étage du Ministère des Affaires Etrangères, qu’Aicha Belarbi nous avait reçus. Nous sommes en Avril 1998, elle occupait alors le poste de Secrétaire d’Etat auprès du Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération, chargée de la Coopération. Feu Sa Majesté Hassan II Roi du Maroc avait nommé, pour la première fois, une femme à la tête d’un département ministériel aussi important. Cette nomination se passait dans le cadre du gouvernement d’alternance, conduit par le premier ministre socialiste Ab-derrahmane Youssoufi. Certes, le ministre des affaires étrangères demeurait bien l’incontournable Abdelatif Filali, mais le poste sensible de Secrétaire d’Etat à la Coopération était attribué à Aicha Belarbi. C’était une avancée majeure pour les femmes marocaines, sur le plan politique et décisionnel. Lors de cette visite de travail, j’étais accompagnée par mon collègue, Abdelkrim Aouad, secré-taire général de l’Association Bouregreg, bureau de Casablanca. Nous préparions la deuxième édition du Salon des femmes de la Méditerranée, événement soutenu par l’Union Européenne en faveur de la promotion de l’entrepreneuriat des femmes des deux rives de la Méditerranée. Nous avions besoin d’un appui fort du gouvernement marocain afin de faire aboutir notre dossier.

Je connaissais Aicha Belarbi, comme la plupart des marocains. Mais cette visite au Ministère des Affaires Etrangères, représentait pour moi, le premier contact direct avec elle. J’ai été d’emblée fascinée par la douceur de la voix de la dame qui nous recevait très poliment au seuil de son bureau. Elégante et classe, au sourire jovial, franc et accueillant, elle m’avait mise à l’aise dès le premier contact. J’étais impressionnée par sa personnalité, par son écoute et surtout par son intérêt pour notre dossier. Maîtrisant parfaitement les relations euro-méditerranéennes, elle avait saisi d’emblée la complexité de notre requête et l’importance des contraintes et les enjeux d’une initiative émanant d’une organisation non gouvernementale d’un pays du sud, mais s’adressant à toutes les femmes du pourtour méditerranéen.

Notre entrevue avait duré 30 minutes. C’était suffisant pour que je n’oublie plus jamais cette grande Dame et pour que je réalise que j’avais été en présence d’une personne qui va laisser son empreinte dans le Maroc des années 80- 2000.

De tous les nombreux titres qu’Aicha Belarbi détient : ministre, diplomate, professeur émérite à l’Université Mohamed V, sociologue, fondatrice de l’Organisation Marocaines des Droits de l’Hommes, militante politique, membre du conseil national et du bureau politique de l’USFP, c’est celui de féministe et de militante des droits humains qu’elle préfère le plus.

Elle est née en 1946 dans la ville ancestrale de Salé. Epouse d’un Meknassi, Hassan Benazzou, mère de trois enfants et grands-mères de cinq petits-enfants.

Comme toutes les filles de sa génération, Aicha va vivre dans le giron des femmes, un monde clos mais plein de connaissances et de sagesse. « Il y avait une distance entre le monde féminin et masculin », précise-t-elle, mais l’école nous a offert cette ouverture vers l’extérieur, nous apportant de nouveaux horizons et l’identification à de nouveaux modèles. Cette séparation entre les deux composantes d’une même société aurait pu laisser de profondes empreintes si elle n’avait pas été neutralisée par la présence de ses deux grands frères scolarisés, et militants, qui aspiraient, comme les jeunes de leur génération, à la construction du Maroc indépendant. L’impact de cette situation sur sa personnalité se ressent dans ses nombreux écrits : Egalité – Parité, histoire inachevée ; femmes et démocratie, la grande question ;
 
Femmes et islam ; Le salaire de Madame ;

Ses ouvrages retracent clairement l’évolution de la condition féminine au Maroc, les acquis à travers la scolarisation et l’accès au travail salarié et la persistance d’une mentalité traditionnaliste, dans son aspect le plus rétrograde et le plus discriminatoire à l’égard des femmes. Cette exclusion des femmes persiste de nos jours, légitimant le combat des femmes pour leurs droits. Toutes ces questions ressortent dans la plupart des articles qu’elle avait publiés dans la presse socialiste entre 1976 à 2011.

Sa Carrière de féministe convaincue a le mérite d’être en phase avec sa pensée. Elle est le parcours d’une femme qui traverse les années et vit l’histoire du Maroc, avec ses changements et ses bouleversements parfois vitaux, mais souvent frustrant pour la militante passionnée et patriote. Elle aspire à renforcer les principes premiers qui orientent ses actions : les 3 D (démo-cratie, développement et droits humains). Elle milite pour mettre réellement en œuvre l’article 19 de la constitution de 2011, par l’instauration de l’égalité hommes- femmes et la parité au niveau de toutes les institutions et toutes les instances de décisions. Son œuvre, sa carrière professionnelle, politique, son rôle de mère et d’épouse sont faits de questionnements perpétuels, sur la place de la femme dans la société marocaine, le respect de ses droits fondamentaux, la violence physique, verbale ou symbolique à l’égard des femmes que ce soit dans la famille ou dans l’espace public, et l’exclusion des femmes des grands sujets de société. Toutes ces questions, objets de son combat et celui de toutes les féministes n’a encore trouvé que des réponses partielles qui ne sont pas à la mesure de leurs engagements, leurs aspirations et leurs projets d’une société égalitaire, démocratique et moderne.

Elevée dans une éducation stricte et rigide, comme l’exigeait la tradition, elle explique que si les femmes étaient tenues de rester à leur place, nombre d’entre elles ont commencé à réagir et réfuter les traditions périmées qui entravent leur chemin vers la modernité. Elle était certes  une privilégiée qui a eu droit à une éducation bilingue dans les meilleures écoles primaires de Salé, mais avec des réserves de rigueurs, des règles et des limites : « pour aller à l’école, on m’avait assigné un circuit, précis et chronométré le temps imparti au trajet ». Une vie tracée par Al houdoud , expression si chère à Fatema Mernissi, une proche amie d’Aicha Belarbi. Une vie dessinée et bien cadrée, comme l’était celle de toutes les fillettes scolarisées de l’époque. Pour avoir la paix et pouvoir faire durer ces « prérogatives » octroyées avec parcimonie par la gent masculine de la famille, il ne fallait surtout pas sortir du cadre tracé. En d’autres termes il fallait se conformer aux règles. « J’ai changé une fois de chemin, j’ai rencon-tré mon oncle et j’ai été alors, sévèrement punie. Ma place n’était pas là où mon oncle m’avait trouvée », dira-t-elle, pour nous faire comprendre le sens du comportement convenu et rigoureusement sur-veillé. D’autant plus, qu’à cette époque, toute personne de la gent masculine proche, ami, ou voisin de la famille avait un droit de regard sur Al houdoud. Bien des contradictions ont été vécues par cette génération de femmes braves et valeureuses. Pour s’affirmer, elles ont dû subir surement de nombreuses privations.  
 
« Mon combat n’est pas une question de défis et d’existence. Je suis une femme normale, qui porte en elle une sincérité dans ses choix. »
 
KHNATA BENOUNA ASSABÂBA : la passion ardente
 
Si elles ne se sont ja-mais plaintes, elles ne se sont jamais résignées, car elles avaient un projet de vie autre qu’elles voulaient réaliser. Pour briser les frontières, elles ont avancé avec ténacité et patience, mené leur combat en jonglant avec la tradition et ses frontières prédéfinies. Il faut noter, que cer-taines de ces contradictions demeurent encore vivantes, hélas ! dans le Maroc actuel.

Sur ce point Aicha Belarbi explique que :« Le Maroc d’aujourd’hui est bien différent en tout point de vue de celui de l’indépendance. Les transformations majeures sont particulière-ment visibles. Elles ont eu lieu en un temps relativement court, créant paradoxalement une rupture, tout en garantissant une continuité. ». Il n’en demeure pas moins, que si les femmes ont accédé au monde du travail, elles sont restées totalement en charge des fonctions domes-tiques. Les femmes actives sont alors confrontées à deux contraintes, l’entretien de leurs fa-milles et leurs activités professionnelles.

Ces paradoxes ne se trouvent pas uniquement dans la sphère familiale ou privée. Ils sont aussi, pour cette grande militante et femme politique de l’USFP, au sein des partis politiques eux-mêmes. « Pour qu’une femme puisse avoir une place dans un parti politique, il faut nécessairement qu’elle soit protégée et soutenue par un homme », dira-t-elle avec regret. Ce n’est pas le critère de la compétence qui est en jeu, mais d’autres critères, relevant souvent de l’énigme. Selon cette pionnière du monde de la politique, la femme dans la sphère politico-militante connaitra, depuis l’indépendance une évolution qui passe « du féminisme associatif, au féminisme partisan, pour devenir un féminisme d’Etat ; notamment à travers toutes les lois promulguées : statut de la famille, liste nationale. Les femmes ont milité pour acquérir leurs droits fondamentaux, pour faire évoluer leur situation et avancer leur statut, mais l’aboutissement de ce militantisme a été réinterprété, revisité par les hommes, entravant ainsi la marche vers la parité et l’égalité de genre », précise-t-elle avec une légère note d’amertume.

Aicha Belarbi a certes axé ses recherches sur les droits des femmes, aussi bien les droits civils, économiques, politiques, socio- culturels, mais, elle s’est intéressée également à trois autres volets, qui sont l’éducation, le dialogue des civilisations, des cultures et le dialogue interreligieux et, la migration internationale.

Il faut convenir que dans nombreux de ses ouvrages, elle note les changements qui sont survenus dans la vie des femmes. Elle reconnait que le débat sur la place de la femme dans la société est antérieur à l’indépendance du Maroc. Depuis la moitié du 20ème siècle, la condition de la femme deviendra un enjeu central dans la construction de la société marocaine. Les femmes vont militer pour se libérer du joug de la soumission et revendiquer une pleine citoyenneté. Dans les années 80 et 90, voir début des années 2000, le débat se cristallisera avec vigueur autour des projets de la réforme du Code de la famille. Mais avec la réforme constitutionnelle de 2011, les femmes marocaines seront encouragées, de par les nouvelles dispositions de la constitution, dans leur combat. «Bon nombre de droits ont été constitutionnalisés notamment ceux instituant l’égalité et la parité. Mais le gouffre entre les lois et la réalité ne cesse de s’approfondir vu que la révolution culturelle de notre société tarde à se mettre réellement en place », nous explique-t-elle. L’étau du conservatisme de la société marocaine se ressent au quotidien. L’islamisme rigoriste et les traditions populaires transmises d’une génération à l’autre, continuent à prévaloir, ce qui représente un blocage pour la démocratie. Ainsi pour elle : « Le Maroc se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins entre des lois progressistes égalitaires et une tradition discriminatoire ancrée dans les coutumes de la société ».

Ce conservatisme affecte aussi fortement les partis politiques que le système éducatif et les médias. Nos partis adoptent des discours modernistes mais peinent à les mettre en œuvre. Ce que déplore d’ailleurs, pour conclure, l’activiste convaincue : « Aujourd’hui, le défi des différents acteurs sociaux est de faire passer l’égalité acquise au niveau juridique dans la réalité quotidienne »,

Et c’est là où réside toute la contrainte et le paradoxe de la situation de la femme marocaine des années 2021 !

Pour une grande militante d’un parti important de gauche, arriver après tant d’années d’investissement personnel, intellectuel, politique à un tel constat est à la fois un signe d’optimisme et une foi en les potentialités marocaines actives et l’espoir d’un futur Maroc démocratique moderne.