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Culture

Anthropologie : Les Mères de la Méditerranée, ce qu’elles représentent dans l’Histoire humaine


Rédigé par Rita EL KHAYAT le Mercredi 23 Février 2022

Les Mères partout sur la Terre font et défont les sociétés sans que jamais on ait encore compris ce rôle majeur des femmes quand elles ont eu des enfants. Dans Médée, Rita El Khayat, psychiatre et anthropologue, s’est penchée sur le destin des Mères autour du Bassin méditerranéen.



Les Mères de la Méditerranée, les folles, les bonnes « mamma », les désenfantées, les vieilles, les plus belles et les plus laides, les anciennes Siciliennes revêtues de vêtements noirs, les Tunisoises aux coiffes de reines, les Turques sanglées comme des fées dans des Seroual de soie multicolores, les Espagnoles affublées de leur duègnes, les Marocaines éblouies par le bleu de l’Atlantique, un oeil rivé sur les bateaux phéniciens en provenance de rives si lointaines de la mer, l’Autre mer, les Romaines surveillant les masques funéraires des ancêtres près du Lararium, les Grecques adonnées au culte de Hestia, déesse du foyer et de Héra la Mère des Mères, les Méditerranéennes ont donné au monde sa richesse, sa diversité et sa noblesse.

Les Mères partout sur la Terre font et défont les sociétés sans que jamais on ait encore compris ce rôle majeur des femmes quand elles ont eu des enfants : elles dressent leurs progénitures dans une voie qui n’est pas toujours la meilleure et qui reste largement infléchie par leurs propres origines, leurs croyances, leur état psychique et physique personnel…

Dans les sociétés dites «traditionnelles », les femmes et les mères s’écartent au minimum de ce qu’elles ont appris elles mêmes pour élever et éduquer leurs enfants ; tandis que les mères des sociétés modernes ou post-modernes ont intégré de nouveaux modèles d’éducation et de formation de leurs bébés et jeunes enfants, mais, de surcroît, elles innovent sans arrêt le mode d’élevage et de soins qu’elles leur prodiguent, et ceci fait l’immense différence dans le fond de ce qui sépare les sociétés les unes des autres.

Les thèmes élaborés et le personnage de Médée sont une argumentation autour de ce rôle et personnage écrasants de la Mère, de toute mère dans la vie de n’importe quel être humain, qu’elle l’ait abandonné à sa naissance, qu’elle l’ait donné à élever par d’autres, qu’elle ait été obligée de le donner (chez les Maghrébins, par exemple, pour obtenir le divorce, ou, parce que, femme adultère, elle perd automatiquement ses droits sur tous ses enfants), qu’elle l’ait élevé seule, très jeune veuve, qu’elle ne l’ait pas ou qu’elle l’ait trop désiré, qu’elle l’ait eu naturellement ou artificiellement à travers les nouveaux procédés scientifiques, par accouchement normal ou par césarienne, qu’elle l’ait eu pour assurer un nom, un patrimoine ou une lignée royale, le poids de la mère sur n’importe quel individu est un poids définitif et majeur. 

Mais c’est aussi, dans ce texte, une argumentation pour prouver que la maternité est un problème sui generis pour celles des femmes qui sont devenues des « mères » : les femmes devenues mères sont mères à jamais, jusqu’à leur propre mort, et cela est une nouvelle nature inscrite dans leur corps et un nouvel état psychique, définitif.

En écoutant des milliers de personnes dans ma pratique quotidienne de psychiatre et de psychanalyste, dans mon approche de médecin qui tient compte de l’importance du corps dans tout processus psychique (et parce que je suis femme ?), je me suis rendue compte que les mères font et défont les êtres, les aident ou les condamnent, les laissent habiter pleinement leurs aptitudes et leurs capacités ou les en empêchent car elles ont obscurément peur de les perdre.

Les Mères sont les sculpteurs de l’humanité…

On ne le sait pas car les hommes qui ont fait la médecine, la psychiatrie, la psychanalyse et toutes les autres disciplines de la Connaissance, n’ont pas compris le poids fondamental des femmes mères sur l’humanité ou n’ont pas voulu se résoudre à accepter cette évidence, par misogynie, par haine inconsciente des femmes, peut-être de leurs propres mères ? Les musulmans l’admettent davantage : « Le Paradis est sous le talon des mères», Et, donc, sauver même son âme dans l’Au-delà, passe par la Mère, qui a un droit divin sur ses enfants. On peut alors aisément comprendre la relation extrêmement lascive de la mère à sa descendance qu’elle gère comme elle l’entend, comme elle le conçoit, comme elle le prétend.

Les cultures et les civilisations arabo- islamiques sont générées exclusivement par les femmes-mères et ceux des Occidentaux qui n’ont pas compris ce phénomène, ne comprendront jamais rien à cette énorme population de personnes, toutes fils ou filles de Mères toutes-puissantes, elles qui distribuent malédictions et bénédictions, d’une façon catégorique et sans ambages.

Les Mères sont à l’origine de tous les processus de transmission, de legs de ce qui appartenait aux générations précédentes, tant pour le soin du corps, que pour la langue (ne donne-t-on pas une importance primordiale à « la langue maternelle » au détriment de toute autre langue ?), pour les comportements et tabous alimentaires, les traditions culturelles, pour l’initiation aux convenances et aux habitudes sociales, à la politesse et à ses codes, pour les modes de réactions aux difficultés, aux relations au voisinage, pour les attitudes morales et esthétiques, pour l’apprentissage de la religion, en somme, elle sculpte, comme on l’a dit, le visage même de l’humanité…

Médée m’a « terriblement » aidée, elle m’a obsédée, elle m’a accompagnée vers toutes les autres femmes et mères de la Méditerranée dont je peux dire qu’elles sont la source du monde civilisé et sa dimension magnifique : contrairement à Médée qui tuait ses enfants parce que son mari l’avait abandonnée, les Maghrébines font des enfants avec acharnement pour garder leurs époux.




Rita EL KHAYAT


 
Libre extrait de« Le Complexe de Médée : Essai sur les Mères autour de la Méditerranée », à paraître en réédition à Aïni Bennaï.
 



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