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Art rupestre du Maroc : un patrimoine riche, menacé et peu valorisé


Rédigé par Oussama ABAOUSS le Dimanche 15 Novembre 2020

Patrimoine abondant et très diversifié, les gravures et peintures rupestrupestres qui nous racontent les Marocains d’antan, sont pourtant peu connues et parfois irrémédiablement détruites.



Antilope (Oryx), période des chasseurs (Site Tamdayresst, Province d’Assa Zag).
Antilope (Oryx), période des chasseurs (Site Tamdayresst, Province d’Assa Zag).
Les gravures rupestres du Maroc ont été au coeur des discussions lors d’un webinaire organisé le mardi 10 novembre par l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). L’événement en ligne a connu la participation de plusieurs spécialistes marocains et français pour débattre, entre autres, du projet « Rock Art View » qui rassemble plusieurs disciplines afin d’étudier les gravures du site « Azrou Iklane » situé dans la région d’Assa-Zag. La visioconférence a été une occasion de mettre en lumière un patrimoine archéologique et culturel national qui, pourtant, reste très peu connu malgré l’abondance au Maroc de sites où trônent des milliers de gravures et de peintures rupestres énigmatiques et surtout très anciennes. À ce jour, 505 sites de gravures rupestres et 40 sites de peintures rupestres ont été inventoriés dans différentes régions du Royaume. En plus de sa richesse, ce patrimoine est également caractérisé par une « continuité chronologique », car ces oeuvres d’art d’époques enfouies racontent l’Histoire du territoire marocain depuis le néolithique jusqu’aux temps modernes.

Des petites histoires dans l’Histoire
« Les gravures les plus anciennes illustrent la grande faune sauvage africaine : rhinocéros, hippopotames, girafes, éléphants… Ces motifs sont par la suite de moins en moins représentés chronologiquement et laissent la place à des gravures de bovins. Ceci peut s’expliquer par le passage de la chasse et de la cueillette à l’élevage. Suivent ensuite des gravures où figurent les motifs d’armes blanches métalliques qui coïncident avec l’âge de bronze au Maroc », raconte Pr Ewague Abdelhadi, enseignant chercheur en archéologie à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’université Chouaïb Doukkali d’El Jadida. « Après cette période, il y a encore un changement de thème, car on voit émerger des représentations qui sont plus axées sur l’Homme avec notamment des motifs de cavaliers munis de lances, parfois de boucliers circulaires, dans des scènes de bataille ou de chasse. Dans une centaine de sites de ce genre, sont également illustrées des inscriptions libyco-amazighes », poursuit l’archéologue.

Des « récits » de temps révolus
« On trouve également dans la région d’Ifni un site exceptionnel où il est cette fois question d’illustrations d’armes à feu datant probablement des 17ème et 18ème siècles. Le défi avec les gravures et peintures rupestres réside cependant dans la difficulté de répondre avec précision aux trois questions : qui a réalisé ces motifs ? Quand, et pour quelle raison ?», explique l’archéologue qui a, par ses recherches sur le terrain, permis de répertorier quelque 200 nouveaux sites rupestres durant ces dernières années. « La difficulté de datation des gravures rupestres est cependant un des défis majeurs que nous rencontrons en tant que chercheurs. Nous sommes ainsi obligés à faire une « chronologie relative » afin de replacer chaque gravure dans son contexte paysager en utilisant des outils scientifiques comme la reconstitution du paléoclimat », souligne Pr Ewague.

Un patrimoine en danger
« Malheureusement, un nombre considérable de sites ont été détruits ou vandalisés par manque de conscience de la valeur qu’ils représentent. Il y a également des personnes étrangères qui viennent au Maroc et qui prélèvent des gravures rupestres pour les emmener ailleurs illégalement. Il y a enfin des travaux d’infrastructures qui se font sans respect des dispositions légales qui, pourtant, obligent les sociétés à faire des études d’impact archéologique pour éviter la destruction de sites éventuels », déplore l’archéologue. Contrairement aux pièces archéologiques qui peuvent être sauvegardées dans des musées, les gravures et peinture rupestres sont un patrimoine fragile trop abondant pour envisager des mesures de gardiennage systématiques. Les scientifiques ont cependant plusieurs idées pour augmenter les chances de sauvegarder et de valoriser ce patrimoine précieux. « Il est d’abord nécessaire d’actualiser l’inventaire de cet art. Il faut ensuite augmenter les budgets alloués aux administrations chargées du patrimoine rupestre. La sensibilisation des divers départements ministériels et l’introduction de ce patrimoine dans les programmes scolaires sont également une priorité », résume l’archéologue.
Oussama ABAOUSS

3 questions au Pr Abdelouahed Ben-Ncer, anthropologue

Abdelouahed Ben-Ncer
Abdelouahed Ben-Ncer
« Les gravures rupestres doivent être intégrées à l’identité des territoires »
 
Anthropologue et directeur de l’Institut National d’Archéologie et du Patrimoine de Rabat
(INSAP), Pr Abdelouahed Ben-Ncer a répondu à nos questions sur les gravures rupestres du Maroc.


- Quel est l’intérêt scientifique et culturel des gravures et peintures rupestres ?
- En l’absence de traces écrites, ces gravures sont le meilleur moyen d’appréhender le contexte de vie de populations très anciennes. Il y a bien sûr d’autres artefacts qu’on peut trouver dans le cadre de fouilles et qui peuvent nous renseigner sur ces périodes. Les gravures et peintures rupestres demeurent néanmoins des témoignages de première main, qui nous sont parvenus à travers les millénaires et qui nous racontent les expressions esthétiques, spirituelles et émotionnelles d’un autre âge.

- Comment conserver ce patrimoine qui a la particularité d’être exposé car facilement accessible ?
- Ces gravures ont résisté aux aléas climatiques durant des milliers d’années. Elles sont cependant menacées à cause d’interventions humaines qui peuvent prendre la forme de destruction totale ou partielle. Il y a eu aussi des cas où des panneaux de gravures magnifiques ont malheureusement été pillés puis retrouvés à des milliers de kilomètres... Pour sauvegarder ce patrimoine, un important travail de sensibilisation doit être fait, vis-à-vis des populations qui vivent dans la proximité de sites, mais aussi vis-à-vis des touristes.

- Comment valoriser ce patrimoine ?
- À mon avis, une autre forme de sensibilisation doit être faite à destination des décideurs, les collectivités locales notamment, car les gravures rupestres doivent idéalement être intégrées à l’identité des territoires. Les collectivités gagneraient à mobiliser les moyens nécessaires pour les sauvegarder, les mettre en valeur et les insérer dans des circuits touristiques bien encadrés.
Recueillis par O. A.

Encadré

Recherche
Azrou Iklane : les mystères des gravures superposées de la « pierre tatouée »
Situé dans la région d’Assa-Zag, le site d’Azrou Iklane, « la pierre tatouée » en amazighe, est composé d’une dalle de grès de 140 mètres de long, pour 20 de large, couverte de plusieurs milliers de gravures de la préhistoire récente à nos jours. « La difficulté de déchiffrer les gravures d’Azrou Iklane réside dans la complexité des motifs qui ont parfois été superposés sur diverses époques », explique Pr Abdelhadi Ewague, archéologue qui fait partie de l’équipe multidisciplinaire franco- marocaine qui travaille sur ce site. « La complexité et l’enchevêtrement des gravures nous ont obligé de développer une approche méthodologique nouvelle basée sur l’apport de la photographie numérique », souligne l’archéologue. Ce projet d’ethnoarchéologie est mené par l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) avec le partenariat du Centre National du Patrimoine Rupestre basé à Agadir, l’université d’Aix-Marseille, la Direction du Patrimoine Culturel du Maroc et le Conseil provincial d’Assa-Zag. « Ces travaux et leur résultat spectaculaire ont provoqué une prise de conscience des autorités locales, aboutissant au classement du site. Il est désormais protégé, notamment par l’installation d’un gardiennage à demeure. En outre, l’initiative et la méthode originale employée ouvrent la voie, aux équipes marocaines, pour mener des recherches comparables sur d’autres sites du pays. Une étude est d’ores et déjà programmée dans la région d’Es-Semara », précise pour sa part l’archéologue Gwenola Graff.

Repères

Aït Ouabelli : une expérience exemplaire
Aït Ouabelli (province de Tata) est la commune la plus riche en patrimoine rupestre au niveau national avec près de 302 sites différents. La commune se distingue également par une expérience réussie de sauvegarde et de valorisation de son patrimoine rupestre grâce à l’implication des autorités et de la société civile locales et l’appui du ministère de la Culture. Les visiteurs de la région de Tata peuvent visiter les sites rupestres d’Aït Ouabelli dans le cadre de circuits touristiques guidés.
Trafic international de gravures
Le 15 octobre dernier, 24.459 objets fossiles et archéologiques originaires du Maroc saisis par les Douanes françaises en 2005 et 2006 (trilobites, dents, crânes et mâchoires d’animaux, pointes de flèches, outils taillés et gravures rupestres) ont été restitués au Maroc. La cérémonie de restitution a eu lieu à Marseille, au Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. Ce lot archéologique a été remis par les autorités françaises au consul général du Maroc à Marseille, Saïd Bakhkhar.







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