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Culture

Assayida Layla, la femme qui murmurait à l’oreille de la famille


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 13 Août 2023

Partie le 4 août à 84 ans, la journaliste, née Malika El Meliani, aura marqué et accompagné tout un pan de notre mémoire radiophonique. Elle a tôt milité, tôt donné de la voix, tôt compris que c’est par la femme que la famille peut se (re)construire. Hommage à une inconsolable battante, amoureuse de la vie et de ceux qui la respectent.



Malika (Assayida Layla) El Meliani lors du dernier Salon du Livre tenu à Rabat, en compagnie de son ami Mhammed El Boukili à qui on rendait hommage au stand de la SNRT. La grande dame était déjà très fatiguée.
Malika (Assayida Layla) El Meliani lors du dernier Salon du Livre tenu à Rabat, en compagnie de son ami Mhammed El Boukili à qui on rendait hommage au stand de la SNRT. La grande dame était déjà très fatiguée.
Elle est la femme sous toutes ses connotations, forte et fragile, aimante jusqu’à l’essor. Elle est la spectatrice engagée de son entourage immédiat et de celui qui la forge en jetant un profond regard sur l’autre, celui qui n’entend pas la voir réellement s’épanouir. Malika ne sait pas encore qu’elle nage dans des eaux qui la poussent à devenir la princesse des ondes marocaines et parfois au-delà. Elle prend rapidement les rênes d’une matinale radio jamais égalée. Elle est Assayida Layla pour plusieurs décennies. Les mauvaises langues, lécheuses d’auras télécommandés, finissent par perdre voix, se taisant face à un langage que les foyers adoptent en enlaçant des cordes vocales parlant au grand nombre, « discriminant » l’incongruité. Elle adopte le micro et inversement à la fin des années cinquante. Elle devient rapidement la femme qui murmure à l’oreille de la famille. A la fois pertinente et impertinente, elle capte l’attention avec rigueur, s’en détache avec vigueur. Elle ose tout, ouvrant un large boulevard devant des femmes à la révolte réformiste et au discours brodé dans l’espérance. Assayida Layla, un exemple, un label. 
 
Patriote, emprisonnée à l’adolescence 

Pour ceux comme moi qui la croisons au milieu des années quatre-vingt dans les couloirs de la RTM, c’est à peine si nous la regardons droit dans les yeux. Sa démarche, sa nonchalance, ses courtes phrases teintées d’un humour mêlant le lard et le cochon nous intimident. Une icône à l’humilité déconcertante. Une femme de poigne, un personnage hors du temps gardant les pieds sur terre. Laissons l’un de ses amis nous la conter, un grand homme des médias -par la taille comme par l’efficacité professionnelle- qui nous demande de ne pas rappeler son passé de directeur de Radio-Tanger ou ce même statut au sein du siège de l’historique rue El Brihi à Rabat, Mhammed El Boukili : « J’ai connu Assayida Layla (Malika El Meliani) au début des années soixante lorsque sa voix ensorcelante émanait du transistor, captant l’attention de toutes les femmes au foyer. Je l’ai ensuite approchée quand j’ai rejoint la radio nationale au début des années 1970. A cette époque, je la saluais avec un total respect et beaucoup d’admiration. Ma connaissance de Essayida Layla s'est approfondie en 1980 lorsque nous avons réuni le département de production sous la direction du grand animateur et fondateur de la radio moderne marocaine, Mohammed Ben Abdeslam, que Dieu ait pitié de lui, et nous avons travaillé ensemble sur de nombreux programmes. Ce qui m'a permis d’approfondir ma relation avec cette merveilleuse dame, une animatrice qui aime le micro, une personne pleine de vitalité et d’humilité. Malika El Meliani a vu le jour à Meknès dans une famille conservatrice et empreinte de patriotisme. Ce qui l’a poussée à suivre avec la curiosité et l’acharnement des enfants ce qui se passait autour d’elle et dans notre société, structurant le rêve de libérer celle-ci de l’occupation.

Le 25 juillet 1955, Malika participait, adolescente, au soulèvement de Lahdim dans sa ville ismaïlienne, protestant contre la visite du Résidant Gilbert Carnaval, réclamant le retour de Mohammed V et la fin de la colonisation. Les forces françaises ont ouvert le feu sur les manifestants et en ont arrêté plusieurs, dont Malika Al Maliani. Immédiatement après ces événements, Malika s'est installée à Rabat pour poursuivre ses études à la fameuse école Madariss Mohammed Al Khamiss. En 1958, elle rejoignait la radio nationale. La première émission qu'elle a présentée s'intitulait ‘’Li ennissa2i fa9at’’ (‘’Pour les femmes uniquement’’) en s’inspirant de certains livres et magazines consacrés aux femmes, les traduisant dans une langue simplifiée entre l'arabe et la darija, ce qui suscitait l'intérêt des auditeurs, en particulier les auditrices. Ainsi Assayida Layla est devenue la première femme à présenter une émission de radio destinée aux femmes, aux enfants et à la famille. Plus tard, Mohamed Benabdeslam, devenu responsable de la production radiophonique, a insufflé du renouveau en permettant à Layla de s’ancrer un peu plus dans la vie quotidienne des familles, notamment avec l’émission ‘’Ma3a Al 2ousra’’ (‘’Avec la famille’’) qui est resté à l’antenne pendant plus d’un quart de siècle. Dans la foulée, son amie reconnaissante, la sociologue Fatima Mernissi, a repris des passages de ses émissions dans l’un de ses ouvrages. Assayida Layla était affable, aimait son métier et ses très nombreux invités qu’elle traitait avec élégance. »
 
Personne pétrie d’humilité 

Autre témoignage, autre génération : Amina Gharib, journaliste-militante, fille de cette écurie historique qu’est la RTM : « Malika El Meliani a été une pionnière dans sa défense des problèmes des femmes marocaines à un moment où il était difficile d’évoquer ce type de questions. Elle n'était pas seulement la préparatrice et présentatrice d’émissions destinées aux ondes, mais ces ondes l’accompagnaient pour créer des ponts humains entre elle et tous ceux qu’elle invitait à ses différentes émissions. Elle était amoureuse des relations humaines, ce qui lui a certainement permis d’envahir le cœur de tous ceux qui l’ont côtoyée. Si aujourd’hui elle lisait ou écoutait tout ce qui se dit d’elle, je suis certaine qu’elle rougirait de cette situation comme le ferait toute personne pétrie d’humilité. A chaque fois que je la rencontrais avec d’autres amies, elle nous laissait entendre que la suite des évènements ne pouvait être que meilleure. » Voilà qui est loin de clore un débat, de voiler un état d’esprit pas prêt de rendre l’âme. A plus tard, magnifique, angélique, unique.
  
                                                                                           Anis HAJJAM 

   
       



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