L’artiste fait partie des rares peintres marocains qui maîtrisent le trait. Son parcours le prouve à l’envi même si son cheminement revendique une multitude d’étapes, de préoccupations. Abderrahmane Tenkoul, écrivain, poète et ancien président de l’Université Ibn Tofaïl de Kénitra a un regard particulier sur le travail de Bouchta El Hayani : « Il a évolué dans son univers à lui en privilégiant des choix esthétiques où les codes de la culture traditionnelle sont quasiment absents ou soumis à un traitement subversif. Sa symbolique est riche en éléments réfractaires à l’égard de ce que cette culture prescrit comme règles et impose comme tabous. Une telle façon d’investir le champ de la peinture ne peut être de tout repos. Car, on le sait, être peintre au Maroc exige presque toujours le passage par la culture traditionnelle pour avoir une légitimité et être en droit de revendiquer la modernité. » El Hayani est ainsi un artiste au long cours tranquille, ne s’enquiquinant jamais avec un quelconque héritage traditionnel, explorant plutôt les ficelles qui le tiennent en équilibre jusqu’à parfois les casser pour voir les dégâts ou les surprises que ce geste engendre. Son regard sur ce qui l’entoure, son regard tout court, est un amas d’étonnements. Et si c’était cette attitude qui le maintenait en perpétuels questionnements sur l’existence même ? L’œuvre de Bouchta capte avec une désinvolture qui pousse à creuser encore et encore dans les méandres d’un imaginaire sans frontières.
Lectures et rencontres
En 2008, celui qui débute sa carrière comme illustrateur à la revue Al-Asas, débarque à la galerie casablancaise Venise Cadres avec des toiles représentant à répétition un personnage au visage sans traits : « C’est un personnage dénudé, dépouillé. Il n’a ni cheveux ni sexe, ni masque. Je voulais saisir l’Homme. Un homme qui ferme ses yeux et qui médite sur sa condition. Il ferme ses yeux pour mieux voir, mieux se situer. Il est dans un va-et-vient, entre son moi et le monde. Cet homme, finalement, me représente. C’est un moi, qui peut-être celui de chacun. Je voulais le libérer, éliminer tous les superflus, les artifices qui lui collent », dit-il dans un entretien publié par ALM. Il explique aussi qu’il essaie de créer son petit monde, son propre univers, de sortir des sentiers battus. Il se cherche lui-même. Il essaie d’oublier toutes les théories qu’il a étudiées même si, forcément, il reste imprégné par ses lectures et ses rencontres : « Mais, on ne peint pas qu’avec son cerveau. Bien sûr, je choisis les couleurs, la matière ou les techniques utilisées. Et puis je me décide de peindre, mais après, tout le reste me dépasse. Une fois que commence un trait, on ne sait pas où il va s’arrêter. Et puis même après qu’on a fini son tableau, il reste son interprétation. L’œuvre ne se termine qu’une fois il y a lecture (s). Il faut noter que la scène artistique marocaine foisonne. Et dans ce mouvement, j’essaie toujours de prendre du recul. Je poursuis mon petit chemin. Chaque tableau m’emmène vers un autre. Et quand je suis dans une impasse, je vire à autre chose. Mais finalement, je me sens comme cet écrivain qui se dit, à la fin de sa carrière, qu’il a toujours écrit le même livre. »
Entre dessin et peinture
Natif de Taounate en 1952, Bouchta El Hayani est diplômé de l’École des Arts Appliqués de Casablanca en décoration et arts graphiques. En 1998, il part en France effectuer un séjour à la Cité Internationale des Arts de Paris. Dans les années 2000, « il entreprend une mutation esthétique et plastique qui donne à voir une articulation très originale entre dessin et peinture ».
L’œuvre de l’artiste figure dans plusieurs collections au Maroc et à l’étranger. El Hayani a commencé sa carrière professionnelle dans les années 1970. Depuis cette période, il a suivi un parcours réussi pour devenir l'un des artistes marocains les plus importants et les plus célèbres. Il est avant tout l'un des rares peintres marocains à maîtriser parfaitement les techniques du dessin. Bouchta, en peintre professionnel, rejoint l’atelier Bab Rouah dès les années 80. Son travail est ensuite présenté dans plusieurs expositions à travers le monde. Il est également membre du conseil d'administration de l'Association des artistes marocains (AMAP). Cette rétrospective est un voyage à mille temps que propose celui qui dit avoir eu son premier contact avec l’art par erreur.
Anis HAJJAM