Ce penseur majeur de la pensée de la rupture en science économique (management), nous a quitté au début de l’année 2020 et ses travaux restent plus que jamais d’actualité à l’heure où le monde s’interroge sur son avenir : Le monde d’hier et le monde de demain.
Mais cette disruption, What is it ?
En économie, la disruption désigne le bouleversement d'un marché sur lequel les positions sont bien établies et les règles du jeu bien définies.
Son concepteur n’est autre que Clayton M. Christensen qui s'imposa comme le gourou des patrons et son influence fut immense aux Etats-Unis.
Théorisé dès les années 1990, le terme émerge dans les années 2010 avec l'explosion des nouvelles technologies qui faciliteront sa vulgarisation.
Certes, aujourd’hui avec la transformation digitale on nous refourgue de la disruption à toutes les sauces et le concept finit par être victime de son succès.
C’est l’overdose mais on pourrait retenir, sans prendre beaucoup de risque, cette définition de la disruption :
La disruption : "Une méthodologie dynamique tournée vers la création".
C’est l’idée qui permet de remettre en question les "Conventions" généralement pratiquées sur un marché, pour accoucher d’une "Vision", créatrice de produits et de services radicalement innovants.
Mais une question demeure, "qui peut être disruptif ? "
Deux grands penseurs s’opposeront, Jean-Marie Dru, père du concept, et Clayton Christensen, le théoricien de la disruption sur cette question.
Pour Christensen, ne sont disruptifs que les nouveaux entrants qui abordent le marché par le bas, et se servent des nouvelles technologies pour proposer des produits ou services moins cher (low cost).
Alors que Dru estime que la disruption n'est pas réservée uniquement aux startups puisque de grands groupes comme Apple ou Red Bull ont été capables de "succès disruptifs".
En toutes états de causes, on gagnerait tous à mieux connaître sagement les travaux de ce penseur qui à travers ses articles, ses cours et ses livres ne cessa d’expliquer pourquoi il est et il sera toujours si difficile à un acteur (Entreprises, opérateurs, organisations) en place de répondre à une rupture en théorisant ce qu’il nommera le “Dilemme de l’innovation”.
Cette expression “dilemme de l’innovateur” vient du fait qu’un acteur en place ou en position dominante est toujours partagé, selon lui, entre deux choix également perdants :
- défendre son activité historique, au risque de compromettre son avenir s’il ignore le potentiel de la rupture ;
- ou parier sur celle-ci au risque de compromettre son activité historique, sans être par ailleurs certain que la rupture donnera lieu à un marché.
La défense de l’activité historique (Statu quo) sera toujours le premier choix par défaut :
On préfère rationnellement protéger celle-ci car elle correspond à quelque chose de certain, alors que la rupture n’est qu’un potentiel lointain.
Autrement dit, mettre en danger l’activité historique c’est être certain de perdre beaucoup et à très court terme, tandis que miser sur la rupture c’est espérer gagner beaucoup dans très longtemps mais sans en être certain.
La théorie de la rupture de Christensen est avant tout une théorie de la réponse stratégique d’un acteur face à un changement de son environnement qui redéfinit les règles du jeu.
On y est : Changement climatique, transformation digitale, démondialisation, migration de masse et peut être même un cycle de pandémies.
Les écoles supérieures et les universités marocaines gagneraient à inscrire urgemment les théories de Christensen dans leur cursus académique.
La nouvelle génération devrait avoir le bon réflexe de télécharger, sur Smartphone ou tablette, son ouvrage « L’ADN de l’innovateur », pour mieux comprendre les ruptures programmées dans le monde du travail et les métiers de demain. Ils savent déjà que leur concurrent fantôme sera l’hyper-robotisation et l’intelligence artificielle.
La CGEM et les organisations professionnelles seraient bien inspirées d’engager leurs membres dans des postures moins conservatrices mais plus disruptive afin de ne pas rater ces fameuses relocalisations régionales des chaines de valeur post-coronavirus.
Cela permettrait à l'élite aussi bien politique, économique, syndicale marocaine de mieux appréhender la réflexion sur le nouveau modèle de développement.
La classe politique marocaine et les leaders d’opinion devraient méditer sa pensée bien résumée dans son ouvrage initial, The Innovator’s dilemma (1997), malheureusement jamais traduit en français.
Il parlait déjà de rupture, en expliquant pourquoi toute rupture est rationnellement difficile :
“Ce n’est pas par manque d’information, ce n’est pas par manque de volonté, ce n’est pas par manque de temps ; c’est parce que l’acteur en place est encombré par son activité historique qu’il se doit de protéger que sa réponse est freinée”.
Clayton M. Christensen est mort sans avoir à traverser, avec nous, cette crise inédite du Covid-19, mais en précurseur il avait tracé des pistes pour essayer de détecter des ruptures (Innovator’s solution, Seeing what’s next) et simuler ses modèles à différents secteurs comme la santé (Innovator’s prescription) ou l’éducation (Innovative university).
On y est encore : Innovation, Santé et Éducation.
Ne sommes-nous pas à la recherche d’un nouveau modèle de développement qui nécessitera forcément des ruptures et des changements majeurs.
Les ruptures sont certes des processus, pas un événement mais aussi des défis pour notre génération parce qu’elles représentent un modèle mental tout à fait nouveau et en contradiction avec notre propre modèle.
Si un modèle mental est une façon de voir le monde alors quel est notre façon de voir le monde de demain ?
Ne sommes-nous pas, avec cette crise pandémique, en obligation de prioriser l'économie de la vie (Santé, éducation, environnement...) et de nous préparer à ce qui vient, comme dirait si bien notre ami Jacques Attali.
Adnane Benchakroun