L'Opinion Maroc - Actuali
Consulter
GRATUITEMENT
notre journal
facebook
twitter
youtube
linkedin
instagram
search



Actu Maroc

Défense : Comment neutraliser les drones du Polisario ? [INTÉGRAL]


Rédigé par Anass MACHLOUKH et Soufiane CHAHID Mardi 31 Décembre 2024

Plusieurs informations confirment que le Polisario intègre désormais les drones dans ses simulations d’opérations contre le Maroc. Face à cette menace, les FAR doivent adapter leur dispositif défensif en s’appuyant sur de nouvelles technologies de lutte anti-drone et sur les retours d'expériences provenant de zones de conflits.



La défense anti-drones devient un enjeu majeur pour les FAR face aux menaces du Polisario.
La défense anti-drones devient un enjeu majeur pour les FAR face aux menaces du Polisario.
Le 12 décembre, une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux met en scène un exercice des milices du Polisario montrant, pour la première fois, l'utilisation de drones d'observation lors d'une simulation d'attaque contre le Maroc.
 
Cela corrobore les inquiétudes des observateurs de la MINURSO, qui ont signalé des survols répétés de la zone tampon par ces aéronefs, et confirme ce que les milieux de défense marocains savaient depuis longtemps : devant l’impossibilité d’attaquer directement le mur de défense, et même de s’en approcher, les séparatistes s’entraînent, avec l’aide de l’Algérie et potentiellement de l’Iran, à l’utilisation de drones, que ce soit pour l’observation ou pour l’attaque (lance-grenade verticale ou kamikaze).
 
Ce nouveau danger exige une adaptation rapide des Forces Armées Royales (FAR), qui doivent déployer de nouveaux moyens de lutte anti-drones, sous peine de voir les frontières du Royaume menacées. En effet, cela ne se limite pas au mur de défense, mais s’étend également aux frontières algéro-marocaines. Ainsi, le 21 décembre, dans les environs d’Oujda, les militaires ont intercepté un petit drone quadrirotor en train de filmer cette zone frontalière.
 

Domaine en friche
 
Le Maroc n’est pas le seul pays confronté à cette problématique, car, à l’échelle mondiale, la lutte anti-drones reste un domaine en pleine exploration, mêlant recherches avancées, retours d’expérience issus des zones de conflit, et innovations variées, allant des solutions les plus rudimentaires et pratiques aux technologies les plus pointues.
 
Se protéger d’une attaque de drones est infiniment plus complexe que de mener l’attaque soi-même. Quel que soit l’endroit, quel que soit votre budget, quel que soit votre niveau de technicité ou de connaissances scientifiques, une asymétrie entre l’attaque et la défense demeure incontestable. Les systèmes de défense ne font que tenter de rattraper les avancées technologiques des drones”, constate Thierry Berthier, pilote du groupe "Sécurité - Intelligence Artificielle - Robotique" du Hub France IA.
 
La méthode la plus couramment utilisée, notamment pour la protection d’infrastructures sensibles (ports, aéroports, bases militaires, etc.), repose sur l’utilisation de fusils brouilleurs, qui perturbent la liaison entre le drone et son pilote en émettant un champ électromagnétique puissant. Dans la même veine, on peut également recourir au canon laser, dont l’objectif est de chauffer suffisamment la structure pour provoquer l’explosion des systèmes électroniques et la fusion de la carte mère du drone.
 
Bien que ces dispositifs soient ingénieux, faciles à utiliser et efficaces pour protéger des événements comme la prochaine Coupe du Monde 2030, ils montrent rapidement leurs limites, notamment sur un champ de bataille où les distances à couvrir sont vastes, face à des micro-drones difficiles à détecter ou à des drones se déplaçant à grande vitesse avec des trajectoires erratiques.
 
L’expérience ukrainienne
 
Car, s’il est relativement simple de déployer des bulles d’identification IFF (Identification Friend or Foe) autour de sites stratégiques, la tâche devient bien plus complexe lorsqu’il s’agit de couvrir de très longues étendues, comme le mur de défense au Maroc, ou d’immenses champs de bataille, comme en Ukraine.

D’ailleurs, le conflit russo-ukrainien est devenu un véritable laboratoire pour expérimenter toutes sortes de modes de combat entre drones et anti-drones, captant l’attention d’experts et d'États-majors du monde entier, comme le confirme le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU. “Ce front nous apprend énormément sur l’évolution des techniques de combat par drones”, souligne-t-il.

Face à l’urgence de la situation et en l’absence de solutions éprouvées, Russes et Ukrainiens rivalisent d’improvisation en adoptant des méthodes aussi surprenantes qu’efficaces. Parmi celles-ci figure l’idée de disposer des téléphones portables à divers endroits afin d’entendre le bruit des drones ennemis en approche. Les Ukrainiens poussent encore plus loin l’ingéniosité en équipant leurs drones de bâtons ou de baïonnettes, dans le but de bloquer l’hélice ou de perforer l’aile des appareils adverses.

Le plus commun reste les drones intercepteurs, appelés aussi chasseurs de drones, capables de traquer et entrer en collision avec les aéronefs ennemis pour les neutraliser. “Leur seul inconvénient est qu’ils sont difficiles à piloter. Ils n’en demeurent pas moins performants, comme on le constate dans le théâtre ukrainien”, assure le consultant en défense et spécialiste de la défense aérienne, Xavier Tytelman.
 
Essaims contre essaims

Pour se protéger contre les intrusions des drones du Polisario, les FAR pourraient déployer une combinaison de radars et de capteurs, qu’ils soient statiques ou mobiles, le long des 2.700 kilomètres du mur de défense. Elles pourraient également équiper les unités sur place de divers moyens d’interception adaptés, renforçant ainsi la surveillance et la neutralisation des menaces.

Pour que cette lutte soit réellement efficace, Xavier Tytelman recommande d’accorder une plus grande autonomie aux échelons les plus bas de la hiérarchie militaire, notamment les bataillons et brigades engagés en première ligne, en raison du temps de réaction très court.

Cependant, “ce type de dispositif pourrait être efficace contre une dizaine de drones, mais s’avérerait insuffisant face à l’attaque d’un essaim comptant des centaines, voire des milliers de drones, capable de rapidement saturer les défenses”, prévient Thierry Berthier. L’exemple emblématique de ce type d’attaque, combinant missiles et drones, est celle lancée par l’Iran le 14 avril, visant à saturer le Dôme de fer israélien.

A l’image des essaims d’abeilles, un essaim de drones qualifie un très grand nombre de drones opérant de manière coordonnée et simultanée pour viser une ou plusieurs cibles. Impossible, dans ce cas de figure, de compter sur une intervention humaine, compte tenu de la multitude de cibles et des énormes quantités d’informations à traiter simultanément (trajectoires, vitesses, positions, altitudes, etc.).

La seule manière de parer à ce genre d’attaques est d’utiliser l’Intelligence Artificielle (IA), qui non seulement identifie et suit les cibles, mais déploie également des drones pour les neutraliser. C’est ce qu’on appelle le SwarmCounterSwarm (essaims contre essaims).

Dans le cas, par exemple, d’une attaque impliquant un essaim de 1.000 drones du Polisario contre le territoire marocain, l’IA réagirait immédiatement en déployant 1.500 drones, programmés pour percuter et neutraliser les aéronefs ennemis.

 

Trois questions à Thierry Berthier : ”L’IA constitue l’avenir de la défense anti-drones”

Pilote du groupe "Sécurité - Intelligence Artificielle - Robotique" du Hub France IA et directeur scientifique de la Fédération professionnelle européenne des drones de sécurité Drones4Sec, Thierry Berthier a répondu à nos questions.
Pilote du groupe "Sécurité - Intelligence Artificielle - Robotique" du Hub France IA et directeur scientifique de la Fédération professionnelle européenne des drones de sécurité Drones4Sec, Thierry Berthier a répondu à nos questions.
  • Pensez-vous que l’IA soit l’avenir de la lutte anti-drones ?
 
- C’est indéniable : plus les menaces se multiplient et gagnent en autonomie, plus il devient évident que la réponse ne peut pas reposer sur des opérateurs humains. Nous travaillons actuellement sur les systèmes SCS (SwarmCounterSwarm), dont le concept s’inspire des débuts de l’aviation militaire dans les années 1900. À cette époque, face aux premiers avions de chasse équipés de mitrailleuses, il a rapidement fallu développer des avions capables de les affronter dans les airs. Aujourd’hui, nous vivons une situation similaire avec les drones. Bien que les moyens terrestres, comme les défenses sol-air, soient utiles, ils restent largement insuffisants pour faire face à des attaques de grande ampleur. La solution réside dans la lutte air/air, qui consiste à déployer automatiquement des drones intercepteurs. Par exemple, si 50 drones vous attaquent, il faut en lancer immédiatement 70 ou 80 en mode autonome, avec pour mission de neutraliser la menace, à l’image d’un essaim d’oiseaux défendant son territoire contre un autre. Cette stratégie, pensée pour opérer à grande échelle, constitue l’avenir de la défense anti-drones.
 
  • Comment ces drones intercepteurs neutralisent-ils les drones ennemis ?

 
- Les Ukrainiens et les Russes utilisent des petits drones rapides et maniables pour cibler de plus gros drones, comme les Baba Yaga ou les modèles à voilure fixe. Ces intercepteurs s’écrasent souvent directement sur les ailes ou les parties vulnérables des drones ennemis, déclenchant une petite charge explosive pour les neutraliser. Dans certains cas, une approche différente est privilégiée : le drone intercepteur déclenche une microcharge près de la cible, créant une onde de choc qui peut faire exploser la charge plus importante transportée par le drone ennemi.
 
  • Quels acteurs dominent la recherche de solutions anti-drones ?
 

- Ces dernières années, une multitude de start-ups ont émergé dans le domaine des technologies anti-drones, particulièrement sur la côte Ouest des États-Unis. Parmi elles, Anduril Industries s’impose comme un acteur clé. Fondée par l’excentrique et visionnaire Palmer Luckey, cette entreprise spécialisée dans les technologies de défense a misé gros sur des solutions anti-drones scalables, capables de neutraliser une menace allant de 10 drones à 10.000 drones. Leur dernière innovation, Lattice, repousse les limites du domaine. Ce système intégré, véritable bijou technologique, s’appuie sur l’Intelligence Artificielle pour coordonner radars, systèmes de suivi, simulateurs, capacités de brouillage électromagnétique et drones intercepteurs.

 

Trois questions à Xavier Tytelman : “L’emploi des drones devrait être du ressort de la brigade combattante”

Xavier Tytelman, ancien aviateur et spécialiste de l’aviation militaire, a répondu à nos questions.
Xavier Tytelman, ancien aviateur et spécialiste de l’aviation militaire, a répondu à nos questions.
  • Comment mettre en place un dispositif efficace face aux drones de reconnaissance ?

 
- La première chose à faire c’est d’être en capacité de détecter les drones de reconnaissance. Il y a des outils faciles à se procurer comme les petits radars avec des petits capteurs. Les Ukrainiens, par exemple, ont déployé des micros et des téléphones portables dans des zones forestières pour détecter l’arrivée des drones ennemis, y compris les drones iraniens Chahed, dont le Polisario peut se doter. Une fois qu’on a détecté le drone, on passe à la neutralisation. Là, il y a la méthode classique qui consiste à tirer par mitraillette, mais ça nécessite beaucoup d’hommes pour tenir une ligne de front. On peut se servir des drones intercepteurs de drones. Or, le pilotage de ce genre d'opérations demeure difficile et requiert un haut niveau d’expertise.
 
  •  Que retenir du modèle ukrainien en termes d’usage de drones au combat ?
 
- L’expérience de l’Ukraine mérite, en effet, qu’on s’y intéresse. L’armée ukrainienne a laissé l’initiative au plus bas de l’échelle, c'est-à-dire aux bataillons et brigades qui ont une sorte d’autonomie. J’étais en Ukraine et j’ai pu constater que les brigades utilisaient différents drones en fonction de leur besoin et de la nature de la position au front ou de l’ennemi stationné en face et de ses capacités de brouillage et de guerre électronique. On peut utiliser ici un drone qui peut s’avérer inutile à trois kilomètres de distance. Il faut aussi garder en tête que les drones évoluent en permanence. Par exemple, la 59ème brigade, où j’étais cet été, utilisait entre 300 à 500 drones kamikazes par semaine. Ce qui est frappant c’est qu’ils changent de version fréquemment, selon les retours d’expérience.
 
  • Est-ce facile de développer rapidement des dispositifs de défense ?
 
- Pour se préparer à l’usage de drones dans un conflit de haute intensité, il faut songer à un modèle industriel qui consiste à associer les ingénieurs et les élèves d’écoles d'ingénieurs avec les industriels pour développer des drones spécifiques aux besoins de l’Armée, que ce soit en termes de reconnaissance ou de combat. Dans ce domaine, surtout dans la défense anti-drones, il y a des possibilités illimitées. Par exemple, j’ai vu un blindé équipé de webcam pour lui donner une vue à 360 degrés. Il y a aussi des casques de réalité augmentée qui sont utilisés. C’est une souplesse qu’il faut industrialiser, ça peut déboucher sur des merveilles. Par exemple, on peut faire des drones à partir de l’impression 3D. Le Maroc peut dès maintenant commencer à se préparer à réquisitionner les industries pour développer cela, à l’instar de ce que font les Ukrainiens.

 










🔴 Top News