Il va sans dire que la gestion des dépenses de l’Etat est aujourd’hui loin d’être optimale. Les dysfonctionnements sont tels que le gouvernement a dû réformer la Loi organique de la Loi des Finances il y a quelques mois. En juillet dernier, l’Exécutif a soumis la réforme au Parlement. Le ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaa, a passé des heures à expliquer aux parlementaires le bien-fondé du texte censé combler les carences de la loi de 2016. L’Exécutif a dû recourir à un tel ajustement dans l’unique but d’assurer la durabilité des finances publiques pour garantir que les caisses puissent soutenir durablement les frais de l’Etat social, qui nécessite un effort d'investissement inédit. D’où la nécessité de remettre de l’ordre dans les dépenses publiques, qui jusque-là sont loin d'obéir aux règles de la bonne gouvernance. L’équation est simple : assurer une gestion plus stricte des fonds publics et leur rationalisation en les soumettant davantage au contrôle du Parlement. Plus important encore, la réforme consiste à mieux définir les critères de sélection des projets d’investissement public. Sur le papier, tout cela paraît méritoire. Mais tout dépend du degré de sa mise en œuvre, puisque, sur le terrain, beaucoup de choses restent à faire. Le nouveau rapport de la Cour des Comptes est plein de reproches en matière de gestion des dépenses publiques. Le constat est sans appel : les dépenses, qu'elles soient de fonctionnement ou d’investissement, sont en hausse continue, mais demeurent mal programmées et mal ciblées dans leur budgétisation.
Une série de dysfonctionnements !
Cela dit, les dépenses sont en hausse continue sans qu’elles soient ciblées de façon optimale. Force est de constater que l’Etat a augmenté ses dépenses de 224 MMDH, de 60,3% de plus. Le personnel accapare la plus grande part, suivi de l’encours de la dette du Trésor et de la charge de la compensation, fait savoir le rapport, qui met en garde contre cette “tendance haussière des dépenses à caractère incompressible qui réduit les marges de manœuvre du gouvernement en matière de programmation budgétaire". En fait, la Cour des Comptes est parvenue à ce résultat sur la base d'un examen détaillé des dépenses de l’Etat sur la période 2015-2022. Les auditeurs de la Cour ont pris un échantillon de quatre départements dépensiers jugés importants. Il s’agit des ministères de la Santé, de l’Equipement, de l’Education nationale et de l’Agriculture.
Le département de Zineb El Adaoui critique clairement la confusion qui règne dans le processus budgétaire. Le rapport juge que les rôles et les responsabilités des intervenants dans la programmation et la gestion budgétaire sont peu clairs et mal définis. Le rapport prend l’exemple des crédits supplémentaires. Le gouvernement, rappelons-le, y a recouru plusieurs fois ces dernières années quand il a eu besoin de plus d’argent que prévu pour faire face à des circonstances exceptionnelles comme l’inflation, la sécheresse… Là, la Cour des Comptes constate la ”non définition préalable des conditions de détermination des cas urgents et inattendus d'intérêt public qui régissent le recours à l'ouverture de crédits supplémentaires au cours de l'année, ainsi que la manière d'évaluer la situation économique et financière qui pourrait nécessiter le gel de l'exécution de certaines dépenses d'investissement, ce qui affecterait la qualité du processus de programmation de ce type de dépenses”.
Concernant l’évaluation de la performance, la Cour se montre également critique en appelant à améliorer les dispositifs de pilotage. «Il a été noté que l’articulation de la démarche de performance avec la réalité de la gestion des dépenses est un processus qui nécessite des améliorations à plusieurs niveaux», lit-on dans le document de 124 pages, qui appelle à améliorer les systèmes d’information mis en place actuellement au niveau des départements ministériels qui, selon la même source, ne sont pas assez efficaces dans la production de la documentation budgétaire. Le rapport fait preuve de nuance en reconnaissant les acquis accumulés en la matière qui demeurent, toutefois, insuffisants.
En quête de bonne gouvernance
Pour ce qui est de l’investissement, la Cour des Comptes reproche aux cadres ministériels de manquer de visibilité dans le choix des projets. Le rapport pointe du doigt “les méthodes de sélection des projets”. Celles-ci demeurent non définies. Faute d’une méthodologie clairement définie et standardisée, les propositions de projets sont généralement présentées dans des fiches de projets partiellement renseignées, accompagnées éventuellement des études réalisées, poursuit la même source, ajoutant que les projets sont si mal choisis qu’ils ne sont pas hiérarchisés par priorité. Par conséquent, les projets d'investissement ne sont pas systématiquement soumis à des analyses de coûts-avantages ou de coûts-efficacité.
Au-delà des détails techniques, la Cour recommande au ministère de l’Economie et des Finances d’œuvrer à la maîtrise des dépenses, notamment celles du personnel, de la dette du Trésor et de la charge de compensation pour disposer de plus de marges de manœuvre lors de la programmation budgétaire, d’œuvrer à l’amélioration des prévisions budgétaires au niveau de la Programmation budgétaire triennale en vue de rehausser sa qualité, ainsi que l’encadrement des règles liées au recours aux crédits supplémentaires et au gel des investissements en précisant les conditions de recours à leur utilisation. Cela passe impérativement, selon la même source, par mieux définir les attributions des responsables de la programmation budgétaire. Enfin, en ce qui concerne les dépenses d’investissement, il est préconisé une meilleure maîtrise des reports de crédits. Aussi, les charges récurrentes des projets d’investissement doivent-elles être mieux prises en compte dans la programmation budgétaire.