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Dialogue social : SOS d’une classe moyenne exsangue !


Rédigé par Saâd JAFRI & Hiba CHAKER Lundi 2 Mai 2022

Depuis une quinzaine d’années, les réformes fiscales au Maroc laissent entrevoir une faiblesse des mesures spécifiques à la classe moyenne, qui porte tout le poids de l’impôt sur son dos. Une situation qui ne changera pas de sitôt, surtout que le dialogue social d’avril a, une fois de plus, éludé les intérêts de celle-ci.



Dialogue social : SOS d’une classe moyenne exsangue !
Elle se sent appauvrie, laissée-pour-compte, trop ponctionnée par l’Etat… les doléances de la classe moyenne sont nombreuses et continuent de grandir dans un contexte marqué par la cherté du coût de la vie, au moment où ses rentrées financières demeurent inchangées.

Depuis une quinzaine d’années, politiques, sociologues, économistes et autres experts alertent sur son mal-être et pointent le déclin de ses conditions de vie. Aujourd’hui, à l’occasion de la journée internationale des travailleurs, célébrée dimanche, cette catégorie de la société plaide pour l’amélioration de son niveau de vie, principalement via la hausse des salaires et la baisse de la pression fiscale pour les salariés et les fonctionnaires.

Des demandes légitimes, surtout que le dialogue social d’avril n’a pas apporté grand-chose pour la classe moyenne, au moment où une batterie de mesures ont été prises en faveur de la classe ouvrière, dont on citera, et non des moindres, la hausse du SMIG de 10% pour le secteur privé et de 3300 dhs à 3500 dhs pour le secteur public, l’alignement du SMAG, l’augmentation de la valeur de l’indemnisation familiale pour les quatrième, cinquième et sixième enfants dans les secteurs public et privé… et la liste n’est pas exhaustive. Ceci au moment où la classe moyenne continue de porter tout le poids de l’impôt sur son dos, dans un contexte inflationniste qui ravage davantage son pouvoir d’achat.

«L’épisode inflationniste que nous traversons actuellement affecte la population et la classe moyenne à travers deux canaux de transmission», nous affirme Younes Chebihi, enseignant à l’Université de Bordeaux et membre de l’Alliance des Economistes Istiqlaliens (AEI), faisant référence à la hausse des prix du carburant et ceux des produits alimentaires, qui eux-mêmes sont affectés par la hausse des coûts sur le marché des carburants. «Il faut donc penser à un système fiscal flottant, différent des méthodes traditionnelles de prélèvement, capable de s’ajuster avec les prix, de telle sorte à ne pas impacter les recettes de l’État d’un côté, et de minimiser les variations du prix à la pompe pour les consommateurs, de l’autre», recommande l’économiste.

Payeurs de taxes assidus !

Il est vrai que le gouvernement a procédé à l’augmentation de la valeur du soutien direct des produits de base, notamment le blé, le sucre, le gaz butane et l’électricité, en vue d’assurer la stabilité des prix, néanmoins, ces mesures sont loin d’arrêter l’hémorragie des dépenses dont souffrent les classes moyennes. Et pour cause ! Les réformes fiscales, entre autres, laissent entrevoir une faiblesse des mesures spécifiques à ces dernières, et ce, «malgré les différentes dispositions introduites pour tenter de mettre en place un système fiscal moderne, cohérent, efficient et équitable», comme l’a bien souligné le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) dans un rapport publié en mai dernier.

Un document qui met en exergue le casse-tête de la détermination de la classe moyenne au Maroc ainsi que les contraintes qui biaisent les chiffres officiels (voir repères). Selon ledit rapport, la contribution de la classe moyenne dans les recettes fiscales (en se référant à la catégorisation du Haut-Commissariat au Plan) ne dépasserait pas les 14% du total des recettes.

Tandis que la classe aisée, «qui inclut la majorité des ménages et individus pouvant appartenir à la classe moyenne sur la base de caractéristiques socioéconomiques claires et tangibles», selon le même rapport, a contribué pour sa part à hauteur de 86%.

Ainsi, l’essentiel des recettes de l’Etat vient des bourses des classes moyennes, qui pourtant ne bénéficient d’aucun avantage fiscal. C’est ainsi que Nizar Baraka, sous sa casquette de leader de l’Istiqlal, s’est engagé, au nom du parti, pour plaider en faveur de la baisse de l’impôt sur le revenu (IR) pour les ménages moyens dans le projet de Loi des Finances de l’année prochaine. Il s’agit de l’une des promesses électorales du Parti de la Balance. « C’est la classe moyenne qui a voté pour nous », a-t-il indiqué, lors d’une rencontre avec les parlementaires tenue le 19 avril à Rabat.

L’ascension sociale au lieu de l’appauvrissement

Au-delà de l’IR, c’est tout le système fiscal qui devrait être réformé, de sorte à réduire la fracture sociale, soutenir la croissance de la classe moyenne et inciter à la création d’entreprises et d’emplois décents. Pour Driss Effina, Professeur d’économie à l’Institut National de Statistique et d’Economie Appliquée (INSEA), un système fiscal favorable à l’investissement pourrait également servir d’ascenseur social «car c’est grâce à l’investissement qu’on va augmenter la richesse et on va directement augmenter le pouvoir d’achat de la classe moyenne».

Ce pouvoir d’achat pourrait également être renforcé par l’introduction d’une fiscalité des ménages, plus favorable, prenant en compte les personnes à charge et consolidée par des allocations familiales plus en phase avec la réalité socioéconomique de la classe moyenne, dont les principales préoccupations sont souvent liées aux coûts associés aux soins médicaux et à l’éducation.

A cela pourrait s’ajouter une politique de logement qui adapterait l’offre aux besoins des ménages, afin
d’éviter le déclassement d’une catégorie sociale à bout de nerfs.



Saâd JAFRI & Hiba CHAKER
 

Le casse-tête de la catégorisation
Au Maroc, plusieurs contraintes rendent difficile la détermination de la classe moyenne. Celles-ci ont trait notamment à : l’approche statistique présidant à la définition de la classe moyenne, basée sur le revenu ou le niveau de consommation et adoptée dans le cadre des politiques publiques ; la non-actualisation, depuis 2009, des données statistiques ; la faiblesse du dispositif de suivi des salaires dans le secteur privé ; l’étendue du secteur informel et le manque de statistiques le concernant ; et, enfin, l’absence d’un dispositif statistique sur les revenus non-salariaux.
 
L’approche du HCP
Le HCP utilise, pour la stratification de la population et l’identification de la classe moyenne, trois normes différentes relevant des deux approches disponibles, à savoir subjective et objective : une norme subjective, basée sur l’auto-évaluation, ainsi que deux normes objectives relatives, la première basée sur les revenus des ménages et la seconde sur les niveaux de vie. La première norme assume que les classes moyennes sont celles qui se conçoivent comme faisant partie d’une classe intermédiaire, « entre les pauvres et relativement pauvres d’un côté et les riches et relativement riches de l’autre », sur la base de la question suivante : « Dans quel niveau social classez-vous votre ménage en comparaison avec ce qui règne dans votre environnement social (douar ou quartier) ?

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Dialogue social : SOS d’une classe moyenne exsangue !

3 questions à Younes Chebihi, enseignant à l’Université de Bordeaux et membre de l’Alliance des Economistes Istiqlaliens (AEI)


«L’épisode inflationniste affecte la classe moyenne à travers deux canaux de transmission »
 
- Comment expliquer les tensions inflationnistes que connaît le monde actuellement ?

- L’épisode inflationniste que nous traversons est très complexe de par ses composantes multiples. Les premiers signaux annonçant ce dernier ont commencé par la reprise économique post-Covid, caractérisée par un rebond rapide de la demande mondiale.

Cette dernière, soutenue par une politique économique expansionniste, n’a pas trouvé une offre suffisante pour équilibrer le marché des biens et services, en raison de l’instabilité des supply-chains, augmentant systématiquement les prix. La situation ne s’est pas arrangée avec la guerre en Ukraine, qui a davantage perturbé les marchés des matières premiers et les chaînes d’approvisionnement.


- Pensez-vous que l›inflation soit devenue une menace durable ? Si oui, comment contrôler l›inflation et réduire ses effets sur les écosystèmes ?

- Les causes structurelles de l’épisode inflationniste que nous vivons peuvent persister et obligent les autorités économiques à travers le monde à changer de paradigmes. Cela passe à mon sens par trois leviers.

Le premier revêt un caractère d’urgence, et devrait jouer un rôle de stabilisateur. Il faut ainsi penser, comme pour les catastrophes naturelles, à des fonds dédiés, capables de soutenir les producteurs et les ménages afin de faire face à toute flambée excessive des prix, à l’image de l’aide accordée aux professionnels du transport routier.

Le deuxième levier touche en particulier le marché des carburants, lesquels sont à mon sens des produits de première nécessité et leur marché représente un canal de transmission direct des chocs inflationnistes aux produits alimentaires.

Enfin, le dernier levier concerne les politiques économiques qui ne doivent plus traiter la question de la croissance par une vision conjoncturelle à travers des plans interminables de relance, et privilégier plutôt des réformes structurelles capables de renforcer la capacité productive de l’économie, qui favorisera une croissance de long terme, plus résiliente aux chocs conjoncturels. Cela donnera plus de marges aux autorités pour atténuer les chocs inflationnistes.


- Quel est l›impact des tensions inflationnistes sur le pouvoir d›achat des ménages et particulièrement sur celui de la classe moyenne ?

- La situation que nous traversons actuellement affecte la population et la classe moyenne à travers deux canaux de transmission. D’abord, un premier canal direct, celui du carburant, vu qu’une grande partie de la classe moyenne utilise la voiture personnelle pour se déplacer. Et un deuxième canal indirect, est celui des produits alimentaires, qui eux-mêmes sont affectés par la hausse des coûts de transport à cause du premier canal précité.

Ceci étant dit, il faut reconnaître l’effort du gouvernement pour atténuer l’effet de ce choc sur la population à travers la compensation directe du prix du gaz, et indirecte du prix de l’électricité, en plus du soutien financier au secteur du transport des individus et des marchandises.


Recueillis par S. J.

3 questions à Driss Effina, Professeur d’économie à l’Institut National de Statistique et d’Economie Appliquée (INSEA)

Dialogue social : SOS d’une classe moyenne exsangue !

« Le niveau de vie de la classe moyenne s’est amélioré lors de la dernière décennie »
 
- Comment évaluez-vous l’évolution du niveau de vie de la classe moyenne durant cette dernière décennie ?

- L’évolution de la classe moyenne peut être mesurée à travers l’achat de voitures, l’augmentation du taux de propriétés, les crédits octroyés à la consommation et le taux de bancarisation. Pour ces quatre indicateurs, on constate qu’il y a une très grande évolution durant ces dernières années, notamment au niveau du taux de propriété qui a atteint 73 % dans les villes.

Puis, il y a le niveau d’achat de voitures où le Maroc se classe à la deuxième position à l’échelle africaine. Ces indicateurs montrent que le niveau de vie de la classe moyenne s’est amélioré lors de la dernière décennie. L’enquête faite par le HCP sur le niveau de vie des ménages annonce également le même résultat en affirmant que le pouvoir d’achat de la classe moyenne a augmenté d’un taux moyen de 2.3%.


- Le chantier de la généralisation de la couverture sociale aura-t-il un impact majeur sur le pouvoir d’achat de la classe moyenne ?

- Evidemment, il va améliorer l’accès à des services de base tels que les soins médicaux, les indemnités sur la perte d’emploi, etc. Toutefois, il est à noter que la classe moyenne n’est pas homogène et qu’elle est composée de plusieurs catégories. Le chantier de la sécurité sociale aurait un effet plus significatif sur les personnes et les ménages issus de la classe moyenne dite «inférieure».


- Quelles sont les mesures à prendre par l’Exécutif pour améliorer la situation de cette partie de la population ?

- Il faut promouvoir l’investissement. Car c’est grâce à l’investissement qu’on va augmenter la richesse et on va directement augmenter le pouvoir d’achat de la classe moyenne. Ce n’est pas à travers des donations que le niveau de vie va s’améliorer.

Par ailleurs, il est à noter qu’il y a déjà plusieurs mesures en vigueur pour soutenir la classe moyenne, telles que les exonérations pour l’acquisition des logements de moyen standing, l’exonération des impôts sur les produits agricoles qui impactent également le pouvoir d’achat de la classe moyenne. In fine, il y a les milliards de dirhams de subventions déployées pour compenser l’inflation.


Recueillis par H.C








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