Entretien entre Narendra Modi, Premier ministre de la République d'Inde, et le Roi Mohammed VI, en visite à New Delhi pour le troisième sommet du Forum Inde- Afrique (25-30 octobre 2015).
Du 10 au 12 janvier dernier, s'est tenu à Gandhinagar, dans l'Ouest de l'Inde, le "Vibrant Gujarat", un Sommet biannuel réunissant des investisseurs du monde entier dans le but de mettre en réseau des entreprises, partager des connaissances et nouer des partenariats stratégiques.
Pour cette 10ème édition, le Maroc était représenté par une importante délégation, comprenant le ministre de l'Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour. Devant le Premier ministre indien Narendra Modi, Mezzour a rappelé les solides liens économiques qui unissent Rabat et New Delhi.
En effet, depuis la signature du partenariat stratégique en 2015 entre Sa Majesté le Roi Mohammed VI et Narendra Modi, les échanges commerciaux entre les deux pays n'ont cessé de croître, passant de 1,2 milliard de dollars américains en 2015 à près de 4,3 milliards de dollars en 2022.
Pour cette 10ème édition, le Maroc était représenté par une importante délégation, comprenant le ministre de l'Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour. Devant le Premier ministre indien Narendra Modi, Mezzour a rappelé les solides liens économiques qui unissent Rabat et New Delhi.
En effet, depuis la signature du partenariat stratégique en 2015 entre Sa Majesté le Roi Mohammed VI et Narendra Modi, les échanges commerciaux entre les deux pays n'ont cessé de croître, passant de 1,2 milliard de dollars américains en 2015 à près de 4,3 milliards de dollars en 2022.
Ressource vitale
Côté marocain, ce rapprochement ouvre la porte à des investissements indiens au Royaume (le nombre d’entreprises présentes sur le territoire est passé de 12 en 2015 à 44 actuellement). Alors que pour New Delhi, le partenariat bilatéral est un moyen de sécuriser une ressource vitale pour le développement et la stabilité de l’Inde : le phosphate. Pour garantir la sécurité alimentaire de ses 1,38 milliard d'habitants, le “Bharat” a décidé de fortement booster son secteur agricole. Or, ce défi ne peut être relevé sans des importations massives de tous types d’engrais.
“L'Inde n'a jamais été un pays autosuffisant en termes de production d'engrais. En fait, le pays est toujours dépendant des importations pour assurer la disponibilité en temps voulu des engrais pour les agriculteurs”, nous explique Ajil Mankunnummal, chercheur spécialisé dans le secteur indien des engrais auprès du Center for Development Studies à Thiruvananthapuram (Sud de l’Inde).
Selon le rapport annuel (2021-2022) du département des engrais du gouvernement indien, le pays est dépendant des importations à hauteur de 25% pour l'urée, à 90% pour les engrais phosphatés et à 100% pour les engrais potassiques. Pour la catégorie engrais phosphatés, les importations concernent toute la palette des produits commercialisés par l’OCP, à savoir les engrais binaires Di-Ammonium Phosphate (DAP), Mono-Ammonium Phosphate (MAP), et le mélange de phosphate complet Triple Super Phosphate (TSP).
Exit la Chine
Pendant longtemps, le pays s’est appuyé sur la Chine et l'Arabie Saoudite pour ses besoins en DAP. Mais à partir de la saison agricole 2019-2020, l’Inde a commencé à se tourner vers les produits marocains. Le DAP marocain a peu à peu remplacé celui en provenance de Chine, en passant de 2,2% du total des importations indiennes de ce produit en 2019-2020 à 26.54% en 2022-2023. Actuellement, l’OCP est le deuxième fournisseur de DAP à l’agriculture indienne, derrière Maaden (Arabie Saoudite).
Ce revirement stratégique est motivé par deux considérations. D’abord, par la volonté de New Delhi de varier ses fournisseurs et de s’appuyer sur des partenaires fiables. Ensuite, parce que la Chine impose fréquemment des restrictions sur ses exportations d’engrais, afin de prioriser ses propres besoins. Ces décisions ont entraîné une diminution des exportations chinoises de 7 millions de tonnes entre 2021 et 2022, ce qui équivaut à une baisse de 23% pour l'ensemble des types de fertilisants.
“Le Maroc fournit également des matières premières telles que la roche phosphatée et l'acide phosphorique à l'Inde pour la fabrication de différents produits fertilisants. En 2020-2021, près de 23% et 40% des importations totales de roche phosphatée et d'acide phosphorique de l'Inde provenaient du Maroc”, nous apprend Ajil Mankunnummal.
Ce revirement stratégique est motivé par deux considérations. D’abord, par la volonté de New Delhi de varier ses fournisseurs et de s’appuyer sur des partenaires fiables. Ensuite, parce que la Chine impose fréquemment des restrictions sur ses exportations d’engrais, afin de prioriser ses propres besoins. Ces décisions ont entraîné une diminution des exportations chinoises de 7 millions de tonnes entre 2021 et 2022, ce qui équivaut à une baisse de 23% pour l'ensemble des types de fertilisants.
“Le Maroc fournit également des matières premières telles que la roche phosphatée et l'acide phosphorique à l'Inde pour la fabrication de différents produits fertilisants. En 2020-2021, près de 23% et 40% des importations totales de roche phosphatée et d'acide phosphorique de l'Inde provenaient du Maroc”, nous apprend Ajil Mankunnummal.
Joint-ventures
En période de grandes perturbations, New Delhi peut compter sur le Royaume pour ses approvisionnements. Le 21 janvier 2023, le groupe OCP et les plus importants producteurs d’engrais des secteurs public et privé indiens ont signé des mémorandums d’entente (MoU’s) garantissant à l’Inde jusqu’à 1,7 million de tonnes métriques (MT) d’engrais phosphatés pour la saison agricole.
Le partenariat entre le géant phosphatier marocain et les acteurs indiens ne s’arrête pas là. Depuis 1999, une joint-venture réunit l'OCP et des groupes indiens (CFCL et TCL) dans Indo Maroc Phosphore (IMACID), un complexe industriel installé à Jorf Lasfer, et dédié à la fabrication d'acide phosphorique.
Plus récemment, l’entreprise marocaine a annoncé la création d’une joint-venture avec l’entreprise indienne
spécialisée dans la fabrication de fertilisants, Kribhco, dans le but de construire une unité de production d’engrais à Krishnapatnam, un port dans la côte Sud-Est de l'Inde. D’un investissement total de 230 millions de dollars, l’usine fabriquera des engrais composés de NPK (Azote (N), phosphore (P) et potassium (K) avec une capacité de 1,2 million de tonnes par an.
Le partenariat entre le géant phosphatier marocain et les acteurs indiens ne s’arrête pas là. Depuis 1999, une joint-venture réunit l'OCP et des groupes indiens (CFCL et TCL) dans Indo Maroc Phosphore (IMACID), un complexe industriel installé à Jorf Lasfer, et dédié à la fabrication d'acide phosphorique.
Plus récemment, l’entreprise marocaine a annoncé la création d’une joint-venture avec l’entreprise indienne
spécialisée dans la fabrication de fertilisants, Kribhco, dans le but de construire une unité de production d’engrais à Krishnapatnam, un port dans la côte Sud-Est de l'Inde. D’un investissement total de 230 millions de dollars, l’usine fabriquera des engrais composés de NPK (Azote (N), phosphore (P) et potassium (K) avec une capacité de 1,2 million de tonnes par an.
Vers l’autosuffisance ?
En réalité, ces coentreprises ne représentent qu'une composante d’une stratégie indienne plus globale visant à parvenir à l'autosuffisance. Pour l’instant, “l'Inde ne peut atteindre l'autosuffisance que dans la production d'urée. Le pays manque des matières premières nécessaires pour fabriquer les autres produits fertilisants”, précise le chercheur spécialisé dans le secteur indien des engrais, Ajil Mankunnummal.
Pour y remédier, le gouvernement indien a pris des initiatives visant à explorer des matières premières telles que la roche phosphatée et le potassium. Dans ce sens, il a donné des directives visant à exploiter commercialement les dépôts de phosphorite existants dans différentes parties de l'Inde. Des discussions ont également eu lieu en ce qui concerne l'exploration des ressources potentielles de minerais de potassium.
Le gouvernement insiste également sur la nécessité de passer à l'agriculture biologique. Cela peut être observé dans les discours du Premier ministre Narendra Modi le 16 décembre 2021 lors du Conclave national sur l'agriculture naturelle, durant lequel il a appelé à "libérer le sol du pays des engrais chimiques et des pesticides”.
Malgré ces mesures, l'Inde continuera de dépendre du phosphate marocain dans les décennies à venir, et cette demande ne fera qu'augmenter. C'est pourquoi il est essentiel que le Maroc saisisse les opportunités que présente le marché indien, en s'engageant dans des projets communs plus ambitieux, notamment dans le secteur des engrais et de l'agriculture en général.
Pour y remédier, le gouvernement indien a pris des initiatives visant à explorer des matières premières telles que la roche phosphatée et le potassium. Dans ce sens, il a donné des directives visant à exploiter commercialement les dépôts de phosphorite existants dans différentes parties de l'Inde. Des discussions ont également eu lieu en ce qui concerne l'exploration des ressources potentielles de minerais de potassium.
Le gouvernement insiste également sur la nécessité de passer à l'agriculture biologique. Cela peut être observé dans les discours du Premier ministre Narendra Modi le 16 décembre 2021 lors du Conclave national sur l'agriculture naturelle, durant lequel il a appelé à "libérer le sol du pays des engrais chimiques et des pesticides”.
Malgré ces mesures, l'Inde continuera de dépendre du phosphate marocain dans les décennies à venir, et cette demande ne fera qu'augmenter. C'est pourquoi il est essentiel que le Maroc saisisse les opportunités que présente le marché indien, en s'engageant dans des projets communs plus ambitieux, notamment dans le secteur des engrais et de l'agriculture en général.
Trois questions à Ajil Mankunnummal “L'Inde doit attirer davantage d'investissements dans le secteur des engrais”
Chercheur spécialisé dans le secteur indien des engrais auprès du Center for Development Studies à Thiruvananthapuram, Ajil Mankunnummal a répondu à nos questions.
- Comment expliquer l’augmentation significative des importations d'engrais par l’Inde ?
L'Inde n'a jamais été un pays autosuffisant en matière de production d'engrais. En fait, le pays dépend toujours des importations pour garantir la disponibilité en temps voulu des engrais pour les agriculteurs. Les principales raisons de cette dépendance sont le manque d'investissements dans le secteur de l'azote, la sous-utilisation de la capacité de production du secteur phosphaté et le manque de matières premières indigènes pour la fabrication d'engrais phosphatés et potassiques.
- Comment l’Inde gère-t-elle son marché des engrais ?
L'industrie des engrais est l'une des huit industries de base en Inde. En tant qu'intrant vital pour l'agriculture, l'Inde a identifié les engrais comme un produit de base essentiel pour le secteur agricole, en vertu de la Loi sur les produits essentiels (ECA) de 1955, et a adopté, en 1957, le contrôle sur les engrais (FCO) dans le cadre de l'ECA afin de réglementer le prix, la vente et la qualité des engrais.
Le secteur a été fortement réglementé par le gouvernement, en particulier dans le cas de l'urée, le produit d'engrais le plus utilisé. Le gouvernement travaille main dans la main avec les producteurs et les consommateurs d'engrais pour assurer la disponibilité en temps voulu et à des prix abordables afin d'assurer la sécurité alimentaire. Pour ce faire, le gouvernement a commencé à subventionner les engrais à partir de 1977.
- Selon vous, quelles mesures l'Inde devrait-elle envisager pour réduire sa dépendance envers les fournisseurs étrangers ?
L'Inde peut réduire sa dépendance aux importations en adoptant différentes stratégies dans différents secteurs. En ce qui concerne le secteur des engrais azotés, le taux d'utilisation de la capacité des entreprises avoisine les 96%. Mais dans le cas des engrais phosphatés, il n'est que de 66%.
L'Inde doit attirer davantage d'investissements dans le secteur des engrais azotés, en particulier dans le secteur de l'urée, qui n'a pas reçu d'investissements frais entre 1998 et 2016. Plus d'investissements dans l'industrie permettraient à l'Inde de devenir autosuffisante, en ce qui concerne l'urée. Pour les engrais phosphatés, l'Inde doit encourager l'utilisation de ses capacités avec des incitations d’investissements.
Sahara marocain : L’effet Abderrahman Youssoufi
À la lumière de la relation actuelle entre l'Inde et le Maroc, il est difficile d'imaginer qu'il y a quarante ans, ce pays était considéré comme un ennemi du Royaume. Pourtant, l’Inde était un des premiers pays à reconnaître la pseudo-RASD en 1985. Il faut attendre les années 2000 et une visite officielle de feu Abderrahman Youssoufi pour que cela change. Effectivement, le Premier ministre de l'époque, bénéficiant d'une solide réputation au sein du camp socialiste mondial, a utilisé son influence pour persuader plusieurs pays de modifier leur position sur la question du Sahara.
“En février 2000, Youssoufi a eu droit à un accueil en Inde encore jamais réservé à un responsable marocain. Les diplomates nationaux, installés à l’époque à New Delhi, restent bouche bée devant un tel spectacle : des portraits de Youssoufi ornent les artères de la capitale du pays de Gandhi. L’ancien Premier ministre ramène de cette visite une grande victoire diplomatique. Il a en effet réussi à convaincre les responsables indiens de retirer leur reconnaissance à la RASD”, écrit Mohamed Ettayea dans son livre “Abderrahmane Youssoufi et les dessous de l'alternance”.
Quinze ans plus tard, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a effectué une visite officielle en Inde, et s’est réuni avec le Premier ministre indien, Narendra Modi. A cette occasion, les deux pays signent un partenariat stratégique. Le Souverain avait également salué la position “constructive” de l’Inde au sujet de la question du Sahara marocain.
“En février 2000, Youssoufi a eu droit à un accueil en Inde encore jamais réservé à un responsable marocain. Les diplomates nationaux, installés à l’époque à New Delhi, restent bouche bée devant un tel spectacle : des portraits de Youssoufi ornent les artères de la capitale du pays de Gandhi. L’ancien Premier ministre ramène de cette visite une grande victoire diplomatique. Il a en effet réussi à convaincre les responsables indiens de retirer leur reconnaissance à la RASD”, écrit Mohamed Ettayea dans son livre “Abderrahmane Youssoufi et les dessous de l'alternance”.
Quinze ans plus tard, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a effectué une visite officielle en Inde, et s’est réuni avec le Premier ministre indien, Narendra Modi. A cette occasion, les deux pays signent un partenariat stratégique. Le Souverain avait également salué la position “constructive” de l’Inde au sujet de la question du Sahara marocain.