Satisfait de son bilan de mi-mandat, le gouvernement estime avoir été de bonne foi à l’égard des syndicats les plus représentatifs auxquels, estime-t-on au sein de la majorité, plusieurs concessions ont été accordées. “Jamais un gouvernement n’a donné autant d'acquis sociaux en si peu de temps”, lâche un député de la majorité, en référence aux multiples revalorisations salariales concédées à plusieurs catégories de fonctionnaires. Des avantages consolidés dans le dernier accord social, signé le 29 avril, où le gouvernement a pris soin d’offrir aux fonctionnaires une hausse générale des salaires (1000 dirhams) en plus d’une baisse de l’IR.
Certes, tout le monde s’en félicite, mais le plus difficile est à venir. L’Exécutif est appelé à trancher sur les épineuses réformes liées au travail. Jusqu’à présent, les réunions informelles se poursuivent entre le ministre de tutelle, Younes Sekkouri, et les partenaires sociaux en vue de parvenir à un compromis sur la loi relative à l’exercice du droit de grève avant la fin de la session parlementaire du printemps. Le ministre se voit confronté au peu de temps qui lui reste avant d'aboutir à un accord qui sera débattu au Parlement avant que les députés ne partent en vacances. Le deal social du 29 juin est clair, le gouvernement s’y est engagé à programmer le projet de loi à la Commission compétente à la Chambre des Représentants avant la fin de la session du printemps.
L’optimisme de Sekkouri et le silence des syndicats
Lors de sa dernière apparition à l’hémicycle, le ministre s’est montré rassurant et confiant dans sa capacité à parvenir bientôt à un compromis. Or, le défi est immense pour le gouvernement, censé élaborer un texte qui garantit pleinement le recours à la grève pour l’ensemble des travailleurs, sans pour autant fragiliser les chefs d’entreprises. L’équilibre est très ténu et ne tient qu’à un fil surtout lorsqu’il s’agit de définir juridiquement la grève et les conditions de son exercice. Aujourd’hui, faute de loi, on se contente de la jurisprudence.
“Il faut une définition aussi claire qu’elle ne laisse place à aucune ambiguïté, autrement, on tomberait dans le piège de la querelle des interprétations sitôt qu’on déclare grève”, confie une source syndicale. Là, le défi est de définir clairement les raisons qui justifient la grève. Selon les premières indiscrétions, le texte devrait mieux encadrer les conflits collectifs du travail de sorte à ce que la grève n’ait de conséquences indésirables ni sur les employés ni sur l'employeur.
Le bras de fer entre le patronat et les syndicats continue
Les syndicats sont d’ores et déjà en ordre de bataille. Certains d’entre eux, comme c’est le cas de l’UMT, ont suffisamment insinué qu’ils ne sont pas prêts à faire des concessions en faveur du patronat. Les syndicats conviennent que la grève est le seul véritable moyen de pression entre les mains des salariés et qu’il est d’autant plus légitime que près de 60% des cas de grève recensés sont dus à la violation des droits des travailleurs. Les syndicats ont posé également sur la table la question des mesures vindicatives de l’employeur en cas de grève. Là se pose l’encadrement légal des conséquences de la grève sur le contrat de travail.
Du côté de la CGEM, on appelle au réalisme. “Il faut qu’il y ait des instruments juridiques clairs pour prévenir les grèves sauvages ou les grèves à caractère militant”, susurre une source patronale sous couvert d’anonymat. Le patronat insiste beaucoup sur la question du dialogue préalable. C'est-à-dire le fait que le recours à la grève n’ait lieu qu’après un préavis acceptable et que l’employeur ait pris connaissance du dossier revendicatif. Le seul point qui semble faire consensus actuellement est celui des secteurs vitaux où un service minimum doit être garanti, à savoir la santé, le transport…
Younes Sekkouri, pour sa part, se montre très prudent dans ses déclarations publiques pour ménager les syndicalistes. Au Parlement, il a assuré que l’Exécutif n’a nulle intention de rédiger un texte restrictif du droit d’exercice de la grève en tant que moyen légitime pour les travailleurs de défendre leurs droits et faire valoir leurs revendications. Le ministre sait bien que le texte fut rejeté en bloc par les syndicats lorsqu’il fut présenté par le gouvernement précédent qui espérait le faire passer au Parlement sans discussion. Raison pour laquelle l’Exécutif a choisi dès le début une approche participative. Le texte, rappelons-le, est toujours à la Chambre des Représentants et devrait être amendé sur la base du futur accord avec les syndicats pour être soumis à nouveau à l’examen législatif.
Retraites : La bataille discrète
Par ailleurs, le gouvernement est très attendu sur la réforme des retraites. Les négociations n'avancent pas aussi rapidement que prévu par le calendrier initial fixé par la ministre de l'Economie et des Finances, Nadia Fettah Alaoui. Après un court intermède, le gouvernement a repris les choses en main pour préparer une offre définitive. Compte tenu de la faillite anticipée des Caisses, le relèvement de l’âge de départ à la retraite s’impose. Reste à savoir à quel niveau. Pour sa part, l’UGTM plaide pour 63 ans tout en laissant aux salariés le libre choix de continuer jusqu’à 65. En parallèle, les syndicats exigent des contreparties, comme les facteurs de pénibilité, qui devraient être prises en compte pour permettre à certains métiers jugés pénibles de passer à la retraite plus tôt.
Pour rappel, aujourd’hui, dans le public, l’âge de départ à la retraite est à 63 ans alors que dans le privé il est à 60 ans. D’où la volonté du gouvernement d’instaurer un régime à deux pôles (public et privé) avec un régime complémentaire. Mais la pomme de discorde se situe dans les cotisations et le gel des pensions. L’UGTM s’oppose à ce que la réforme se fasse au détriment des salariés, d’autant que ces derniers ne sont pas responsables de la faillite des caisses. Lors d’un meeting tenu il y a trois semaines, le patron du syndicat istiqlalien, Enaam Mayara, a fait remarquer qu’il y aura certainement des concessions mais, a-t-il insisté, il faut qu’elles soient des deux côtés. Quoi qu'il en soit, la réforme est jugée nécessaire pour assurer la pérennité du régime. Le gouvernement et les partenaires sociaux sont censés conclure un accord d’ici l’automne lors du prochain round de dialogue social.
Trois questions à Youssef Guerraoui Filali
“Le relèvement de l’âge de départ à la retraite est inévitable”
Youssef Guerraoui Filali, président du Centre marocain pour la gouvernance et le management, a répondu à nos questions.
-Y a-t-il d’autres solutions pour remédier à la situation des caisses de retraites sans trop relever l’âge de départ à la retraite ?
Actuellement, le Maroc n’a nul autre choix que de relever l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans pour préserver les équilibres des caisses qui, comme le savez, sont menacées de faillite. Il me semble que c’est une décision nécessaire. Plusieurs pays européens l’ont prise et certains sont allés jusqu’à 67 ans en fonction de leurs spécificités démographiques. C’est une mesure certes difficile mais indispensable pour redonner une bouffée d'oxygène aux caisses.
-Faut-il laisser le choix aux salariés de travailler au-delà de l’âge légal s’ils le souhaitent ?
J’estime que dans certains cas, il faut laisser aux retraités le choix parce qu’il y a des profils qui sont capables de rester actifs jusqu’à 68 ans. Ceci demeure faisable pour autant que l’employeur soit d’accord et que la personne demande expressément à ce qu’elle soit retenue dans sa fonction au-delà de l’âge légal. Il faut que la réforme leur donne cette possibilité.
-Faut-il mettre une distinction entre les métiers pénibles et les métiers où on peut travailler plus longtemps ?
N’oublions pas qu’il y a beaucoup de séniors qui souhaitent continuer à travailler et rester à leurs postes après leur retraite que ce soit dans le public ou dans le privé. Aujourd’hui, ils poursuivent leur carrière professionnelle en tant que contractuels, prestataires, ou en prenant le statut d’auto-entrepreneurs. Dans ce cas, ils touchent leur retraite tout en ayant un revenu additionnel. Dans la Fonction publique, par exemple, ce cas de figure peut coûter plus cher à l’Etat dans la mesure où la personne concernée touche sa retraite en plus de la rémunération due au service post-retraite. D’où la pertinence de garder le salarié plus longtemps si les deux parties parviennent à un accord.
Caisses de retraites
Le spectre de la faillite
Aujourd’hui, l’ensemble des régimes de retraite sont menacés de faillite. Or, chaque régime a ses spécificités. Pour sa part, le régime de pensions civiles est le plus exposé. Force est de constater que le déficit de la Caisse Marocaine des Retraites (CMR) s’élève à 7,8 MMDH, selon les chiffres du diagnostic d’un cabinet d’étude sollicité par le gouvernement. Selon les mêmes données, si la CMR continue sur cette lancée, elle pourrait bientôt consommer la totalité de ses réserves qui devrait s’épuiser d’ici 2028. De l’autre côté, la situation de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale est plus confortable avec une durée de vie plus longue. Selon le diagnostic du gouvernement, (qui peut être mis à jour), la Caisse a enregistré un déficit de 375 millions de dirhams. Cela dit, les réserves actuelles, estimées à 61 MMDH, sont en état de rester en vie jusqu’en 2038.
De son côté, le Régime Collectif d'Allocation de Retraite (RCAR), géré par la Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG), dispose d’environ 135 MMDH de réserves. Par conséquent, les stocks actuels lui permettent de continuer à verser les pensions jusqu’en 2052.
Actuellement, il existe un décalage entre le secteur privé et le secteur public vu que le niveau des pensions n’est pas le même à cause des écarts salariaux. Force est de constater que la pension dans le secteur public est déplafonnée, ce qui n’est pas le cas pour les salariés affiliés à la CNSS qui, rappelons-le, ont un plafond de 6000 dirhams. L’idée est de mettre en place un régime unique à deux pôles qui vise, à juste titre, d’instaurer un mode de calcul unique des pensions avec le même plafond. A cela s’ajoute le régime complémentaire.
Facture du dialogue social
45 milliards de dirhams d’ici 2026
Bien avant la conclusion du nouvel accord social qui fait suite à celui du 30 avril 2022, le coût du dialogue social dans sa totalité s’est élevé à 27 milliards de dirhams, y compris l’ensemble des revalorisations salariales, la hausse du SMIG et la baisse de l’IR…
D’ici 2026, la facture devrait atteindre 45 milliards, selon les chiffres dévoilés par le ministre délégué auprès de la ministre de l'Économie et des Finances, chargé du Budget, Fouzi Lekjaa, lors d’une rencontre avec les groupes de la majorité à la Chambre des Représentants. Une rencontre durant laquelle il a fait le point sur la durabilité des finances publiques.
Institutionnalisé par le gouvernement, le dialogue social est une des composantes de l'État social dont la facture ne cesse d’augmenter. La généralisation de la couverture sociale coûte 45 MMDH alors que l’aide au logement nécessite une enveloppe de 9 MMDH. Le gouvernement estime les dépenses supplémentaires à 90 MMDH. L’Exécutif compte mobiliser au cours des trois prochaines années 100 MMDH dans le cadre de la rationalisation des dépenses pour les financer.