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Entretien avec Hicham Houdaifa : “Dans plusieurs régions du Maroc, l’enfance est privée de tout”


Dimanche 4 Octobre 2020

Dans la tourmente des crimes abjectes contre des enfants, qui ont fait coulé beaucoup d’encre et indigné l’opinion publique, l’ouvrage «Enfance au Maroc : une précarité aux multiples visages» de Hicham Houdaifa met la lumière sur la réalité des enfants dans le pays.



Entretien avec Hicham Houdaifa : “Dans plusieurs régions du Maroc, l’enfance est privée de tout”
-Les drames qui ont qui ont eu lieu dernièrement (mort de Adnane et Naïma) peuvent-ils servir de leçon pour la société. Selon vous, quelles sont ces leçons ? 

Il est très difficile de tirer des leçons de drames comme ceux d’Adnane et de Naïma. Mais ces drames nous renseignent sur l’importance d’une véritable politique de protection de l’enfance dans notre pays et de la promotion de la culture du signalement.

 -Y’a-t-il une véritable politique étatique de protection de l’enfance au Maroc ? 

Le Maroc dispose depuis 2015 d’une politique publique intégrée pour la protection de l’enfance (PPIPEM), mais elle tarde à trouver application sur le terrain. En décembre dernier, le ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du développement social (MSFFDS) a annoncé le lancement à Tanger, du Dispositif territorial intégré de protection de l’enfance. Une annonce sans impact réel sur le terrain.

-Quelles sont les parties chargées d’assurer cette protection ? 

La responsabilité de l’enfance se perd entre plusieurs ministère : le ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du développement social (MSFFDS), le Jeunesse et les sports, l’Education, la Justice, la Santé, l’Intérieur, l’Emploi… En plus de l’Entraide nationale et les associations.

-Comment créer une cohésion et une coordination entre ces différentes parties ? 

Le Dispositif territorial intégré de protection de l’enfance est censé apporter une solution à cette insuffisance en termes de coordination. Il faut, par ailleurs, allouer les ressources humaines nécessaires pour que la mission de la protection de l’enfance soit pleinement assurée.

-Quel est le rôle joué par la société civile en matière de protection des enfants ? 

Si la réalité de nos enfants dans plein d’endroits de ce pays est moins dure, c’est grâce à l’action de la société civile. Que ce soit Bayti à Casablanca, Anir à Agadir, Amane à Taroudant et bien d’autres, des associations, grandes et petites, jouent le rôle de pompier et apportent une assistance vitale à des centaines de milliers d’enfants. Dans le cas par exemple des enfants en situation de handicap, ce sont les associations qui font tout le travail de prise en charge. Mais, cela reste bien sûr insuffisant et la société civile ne peut (et ne doit) pas remplacer l’Etat dans ses responsabilités régaliennes, de prise en charge et de protection de l’enfance.

-Comment vous est venue l’idée d’écrire un ouvrage qui traite de l’enfance au Maroc ? 

C’est un travail qui devait suivre immédiatement l’ouvrage que j’ai réalisé sur la précarité féminine au Maroc (« Dos de femme, dos de mulet : les oubliées du Maroc profond », Editions En Toutes Lettres, 2015). Lors de ce travail, j’avais constaté les multiples visages de la précarité qui touchent les femmes, et par conséquent les enfants. Entretemps, du fait de l’actualité, j’ai écrit un autre livre d’enquêtes intitulé (Extrémisme religieux, plongée dans les milieux radicaux du Maroc, En Toutes Lettres, 2017).

-Pouvez-vous nous parler un peu plus de cet ouvrage ? 

« Enfance au Maroc, Une précarité aux multiples visages » traite en neuf chapitres, différentes formes de précarité des enfants de ce pays. De l’abandon scolaire, à l’absence de l’état civil en passant par les violences sexuelles, le mariage précoce, l’état des centres de protection de l’enfance ou encore l’extrême précarité des enfants en situation de handicap…

-Quels sont les principaux problèmes qui touchent l’enfance au Maroc ? 

Dans plusieurs régions du Maroc, l’enfance est privée de tout : d’école, d’accès à la santé, parfois de nutrition et même d’eau potable. La pauvreté qui accable une grande partie des ménages marocains est synonyme pour des milliers d’enfants, d’abandon scolaire, de mariage précoce (pour les filles), de travail dans les ateliers, champs agricoles et dans les maisons des plus riches. La notion de famille est aussi de plus en plus affaiblie avec des pères démissionnaires et des mères au bout du rouleau.

-Avez-vous mené une étude empirique sur ce sujet ? Quelles sont les régions sur lesquelles s’est étalée cette étude ? Qu’est-ce qui motive ce choix ? 

Ce travail est le résultat d’enquêtes et de reportages journalistiques. C’est le sixième ouvrage de la collection Enquêtes qui relève de la maison d’édition En Toutes Lettres, dédiée au journalisme d’investigation. Ce travail de terrain m’a mené dans plusieurs régions du pays : Casablanca, Taza, Agadir, Tétouan, Taroudant… Notre objectif, c’est qu’à travers cette démarche, on puisse éclairer une thématique, faire entendre des voix inaudibles afin d’inciter les citoyens à prendre part au débat.

Propos recueillis par Hajar Lebabi 
 

Portrait

Hicham Houdaïfa est né à Casablanca en 1969. Journaliste depuis 1996, il a travaillé pour plusieurs organes de presse, notamment Al Bayane, où il a tenu la rubrique Société. Entre 1999 et 2002, il a été correspondant d’Afrique Magazine à New York. Il s’est aussi occupé des pages Société du Journal hebdomadaire, d’octobre 2004 à la fermeture du magazine en janvier 2010. Depuis, il a collaboré régulièrement à l’hebdomadaire La Vie économique.

Durant son parcours, Hicham Houdaïfa a essentiellement travaillé sur des sujets sociétaux : liberté de culte, droits des femmes, situation des migrants subsahariens… Il est cofondateur avec la journaliste Kenza Sefrioui d’EN TOUTES LETTRES, maison d’édition spécialisée dans l’essai journalistique, où il dirige la collection Enquêtes. Il est l'auteur de "Dos de femme, dos de mulet : les oubliées du Maroc profond" (En Toutes Lettres, 2015) et "Extrémisme religieux, plongée dans les milieux radicaux du Maroc" (En Toutes Lettres, 2017).








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