Quatre jours de rencontres et d’échanges, quatre jours de propos contradictoires bienvenus, quatre jours où quelques facéties rythment des discours lourds de sens. Ici, on ne claque pas des portes fermées. On les entrouvre, laissant le vent de la réflexion les bercer. Ici, on est au cœur de la convenance impertinente. Ici, on est dans la formulation qui ne cherche pas essentiellement à faire mouche. Ici, on est dans l’extase qui dit son nom. Ce FLAM ne cherche pas à séduire, mais à construire : s’inscrire durablement dans un souffle, le sien, comme élan d’exaltation. Ainsi s’installe-t-il dans un écrin enjolivant l’avenir de la palabre littéraire africaine. A la différence d’un Salon où les échanges se limitent aux signatures de livres, la parole du FLAM est un partage entre auteurs, ces athlètes affectifs. Avec une charmante approche : des modérateurs qui deviennent intervenants et des intervenants qui se transforment en modérateurs. Ils sont tous auteurs et discutants. Voilà qui élève les débats vers des dimensions insoupçonnées. Ce qui permet aux opposés de s’attirer.
Centre et périphéries
L’écrivain mozambicain de langue portugaise Mia Couto tranche sans ambages : « Séparé par les langues officielles, la géographie et les régions stratégiques, notre continent est aujourd’hui plus que jamais inconnu de lui-même. Dans le domaine de la littérature, nous savons peu de choses sur ce que nos voisins débattent et publient. Pire encore, ce que nous savons nous vient d’Europe, à travers des circuits coloniaux anciens et intouchables. Les festivals littéraires africains peuvent être un moyen de rompre cet isolement et cette ignorance réciproque. » Ce dont se réjouit le Festival du livre africain de Marrakech que son président, l’écrivain et plasticien Mahi Binebine, décrit ainsi : « La création du FLAM émane de la conviction qui est la nôtre de l’urgence de redécouvrir, en vue de les redynamiser et de les renforcer, les liens historiques indéfectibles et inaltérables qui unissent tous les Africains. Au-delà de leurs identités plurielles, de la diversité des langues et des religions qu’ils pratiquent, de leurs géographies diverses et éloignées, les Africains et les diasporas issues du continent ont en partage une mémoire et une histoire communes et aspirent à un monde nouveau, accueillant et vivable pour tous. Ce sont ces liens, cette mémoire et cet espoir que nous célébrons. » En Afrique, à Marrakech, les auteurs et portes-flambeau d’une littérature à l’éclat timidement universel déballent inquiétudes et espoirs à l’endroit d’un « danger » périphérique qui grignote inlassablement leur centre. Parmi les thèmes des Palabres du festival, il y en a un qui renvoie spectaculairement à l’inverse de cette inquiétude : « Nous ne sommes pas une périphérie parce qu’il n’y a pas de centre ». Le poète, écrivain et penseur marocain Abdellatif Laâbi enfonce le clou : « Je veux dire qu’il faut arrêter d’affirmer que la littérature africaine est sous tutelle. Nous faisons de la littérature mondiale et universelle. » Il raconte également qu’un intellectuel martiniquais publie, il y a deux décennies, un opuscule intitulé « Littérature monde », une littérature évoluant allègrement sous plusieurs cieux mais revendiquant sa périphérie par rapport à un Occident central. Laâbi vend, par-là, le poids pesant des périphéries, disant que ceci est une réalité et qu’il faudrait faire avec elle. Il est certain qu’on ne vend bien que ce qu’on aime. Il s’entend ensuite parler lors d’une interview parue sur le site Le360 : « Nous avons besoin de beaucoup de rencontres de ce genre. Ce festival est une occasion pour dire que la colonisation est derrière nous, qu’il s’agit de s’attaquer à ce qui va nous constituer ensemble dans le futur et de s’interroger sur les bases que nous allons jeter pour que nos sociétés avancent sur le plan culturel et social, mais aussi politique, pour l’instauration de la démocratie et la conquête des valeurs démocratiques. » Il faudrait juste nous indiquer sur quel pied danser. Parfois, le génie de la sublimation génère le virtuel.
Ambition et conscience
Ce festival est autrement un lieu où la psychologie a son rôle à jouer. Lorsqu’on écoute, quand on scrute et qu’on garde sa langue dans les différentes poches de sa bouche, cela veut-il dire qu’on est attentif ou distrait ? La littérature ne peut certes pas tout envelopper, mais elle est interpellée à plusieurs étages par l’incompréhension. Le psychiatre français Raphaël Gallard dit : « Sans littérature, la psychologie est une sous culture. » On ne s’éloigne pas du thème, on essaie de l’enrichir, d’autant que le gros du festival se tient dans le bel espace socio-culturel Les Etoiles de Jamaâ El Fena. Le FLAM, ambitieux et consciencieux, se veut fédérateur. « Nous continuons à faire place à de jeunes auteurs à côté de plumes reconnues, venus de toute l’Afrique et de ses diasporas. Dans toutes les langues. Nous essaimons à travers la ville avec une programmation hors des murs à la rencontre du jeune public et de ceux qui se sentent éloignés de la culture, par l’organisation de master class, d’ateliers d’écriture et de petits déjeuners littéraires », se réjouit Younès Ajarraï, délégué général du FLAM. Un festival qui enfante un bébé marchant tôt, parlant miraculeusement plusieurs langues, est une trouble curiosité. Posons la question à l’immense sociologue Edgar Morin à qui le festival rend un féerique hommage.
Anis HAJJAM