La question des bornes de recharge ponctue l’actualité de plusieurs ministères depuis des années. La barre symbolique des 100 000 bornes publiques a déjà été promise à plusieurs reprises. De Ségolène Royal en 2016 à l’actuel ministre délégué en charge des Transports, Jean-Baptiste Djebbari, et à sa ministre de tutelle de la Transition écologique Barbara Pompili, ce seuil a d’abord été promis à l’horizon 2020, puis pour 2021. L’avenir nous dira s’il faudra attendre davantage. « Aujourd'hui, nous avons encore un frein à l'usage du véhicule électrique, nous avons trop peu de bornes, constatait le ministre en mai 2020, notamment sur les longues distances. Nous avons 24000 bornes aujourd'hui, nous sommes persuadés qu'avec un effort collectif, nous pourrons avoir 100000 bornes en 2021 de manière à permettre l'itinérance et à renforcer le modèle du véhicule électrique en Europe et en France. »
Si l’objectif est ambitieux, il est fort probable qu’il ne soit pas atteint. « Même en parvenant à doubler en 2021 le nombre de bornes posées en 2020, la France n’atteindrait que 60000 unités à la fin 2021, assure Gianluigi Indino, associé EY-Parthenon. Il faudrait en poser cinq fois plus qu’en 2020 pour attendre l’objectif du contrat stratégique de filière. » L’État ne semble pas avoir encore trouvé la bonne recette.
Des ventes en hausses, mais un plafond de verre en vue
En fonction des sources, les chiffres varient également. Prenons l’Avere (Association nationale pour la promotion du véhicule électrique) comme baromètre : en juillet dernier, elle annonçait 29 854 points de recharge publics en France, dont 2395 à charge rapide (au moins 24kW de puissance). Six mois plus tard, au tournant de 2021, le pays n’en comptait que 30838, soit moins de mille supplémentaires (+3,2%). Une progression largement insuffisante. Si la majorité des recharges se fait encore au domicile des propriétaires, l’essor de ces bornes publiques est la condition sine qua non pour élargir l’utilisation des voitures électriques, aujourd’hui limitée au seul trajet domicile-travail.
Car l’enjeu est là : il faudra très vite multiplier les bornes ultrarapides, partout, en ville comme en campagne, et sur autoroutes. Tous les acteurs de la filière automobile le savent, la France ne commercialisera plus de voitures thermiques en 2040. Côté ventes, les chiffres actuels sont encourageants. Toujours selon l’Avere, 195 000 voitures neuves électriques ou hybrides ont été immatriculées en 2020 (+56% par rapport à 2019), dont 37250 pour le seul mois de décembre. « La déclinaison du contrat stratégique de filière, qui impliquait un objectif de 170000 unités pour 2020, a été largement dépassée, se félicite la déléguée générale d’Avere, Cécile Goubet. Pour couronner le tout, les véhicules électriques et hybrides rechargeables ont établi un nouveau record en s’octroyant 16,2% de parts de marché en décembre 2020. D'excellents scores qui devraient donner le tempo pour 2021 ! » Un optimisme à tempérer en jetant un œil aux chiffres de Statista qui classe la France à une lointaine 11e place en Europe avec 11,3% des ventes en 2020, contre 74,8% en Norvège.
En regardant le détail de ces ventes, on note par exemple qu’en décembre dernier, 20734 véhicules ont été acquis par des particuliers, soit une augmentation vertigineuse de +332% par rapport à décembre 2019. Mais ces chiffres risquent de rencontrer très rapidement leur plafond de verre : si leurs utilisateurs ne peuvent pas partir en vacances à l’autre bout de la France par manque de bornes, la voiture électrique restera cantonnée aux petits trajets du quotidien. « L’enjeu n’est pas au niveau des 100000 bornes, mais d’avoir des bornes aux bons endroits et à la bonne charge », analyse par ailleurs Cécile Goubet.
La grande question du financement
Hausse des ventes de véhicules et hausse du nombre de bornes ne suivent donc pas du tout le même rythme. L’explications est simple, et se résume comme souvent au nerf de la guerre. « Le coût moyen est de l’ordre de 15 000 euros, installation comprise, pour une borne d’une puissance de 10 à 22 kW, souligne Fedi Soyah, manager EY-Parthenon, et de 35000 euros pour une borne rapide d’une puissance supérieure à 22kW, deux technologies qui représentent respectivement 65% et 9% de l’infrastructure en France. » L’installation des bornes de recharge ultrarapides (au-delà de 50kW) – essentielles pour la généralisation des véhicules électriques – coûte encore plus cher : 50000 euros minimum.
En 2019, le gouvernement a voté la Loi d’orientation sur les mobilités – dite loi LOM – censée servir de boussole pour les années à venir. L’État a alors alloué une enveloppe de 100 millions d’euros pour favoriser l’essor des véhicules électriques et des bornes de recharge de 150kW sur les routes nationales et les aires d’autoroute. « Le dispositif coup de boost dans le cadre du programme Advenir permet de prendre en charge 60% des coûts d’installation des bornes, explique le ministère de la Transition écologique et solidaire de Barbara Pompili. Ces aides sont cumulables avec la prise en charge à 75% des coûts de raccordement au réseau (dispositif de la loi LOM). » Des mesures insuffisantes, la réalité du terrain et les chiffres en attestent avec un modèle économique qui ne permet pas la rentabilité aujourd’hui.
Le secteur privé, pierre angulaire du futur succès
Dans les années à venir, les investissements massifs seront du ressort du secteur privé. De nombreux opérateurs sont déjà sur les rangs : les distributeurs traditionnels de carburants comme Total et des fournisseurs d’énergie comme Engie, mais aussi les acteurs de la grande distribution comme Leclerc, Lidl ou encore System U. « C’est un sujet essentiel, observe Michel-Edouard Leclerc, président du comité stratégique des Centres E. Leclerc. L’État a raison de vouloir mobiliser tous les opérateurs pour donner ses chances à la voiture électrique française. Leclerc va accélérer dans ce domaine notamment en visant 5000 nouvelles bornes d’ici 2 ans et 10000 d’ici 2025. »
Mais la grande bataille à remporter sera celle de « l’itinérance », pour reprendre le mot du ministre Djebbari. Là, le secteur autoroutier aura tout son rôle à jouer. « Une des points de friction pour les véhicules électriques est bien évidemment les trajets longue distance, explique Marc Bouron, directeur général de Cofiroute et directeur général adjoint de Vinci Autoroutes. D’ici quelques temps, nous pourrons recharger nos véhicules en moins de dix minutes. Je crois que le modèle va être complètement bouleversé avec un système d’abonnement, nous allons être un peu sur le même schéma que les systèmes d’abonnement téléphonique. A terme, toutes les bornes seront accessibles à tout le monde. » Cette généralisation des bornes sur autoroutes est déjà sur les rails dans certains départements, comme en région PACA où le président Renaud Muselier a signé une convention avec Vinci Autoroutes en 2019, favorisant le déploiement d’une stratégie transversale : infrastructures multimodales et bornes de recharge en tête.
Pour accélérer le déploiement des infrastructures nécessaires à la mobilité durable, deux leviers seront nécessaires : un engagement clair de l’État, aujourd’hui insuffisant ; et un effort des collectivités. Des entités gagnantes dans le cadre de partenariats public-privés de long terme, lesquels pourraient bien s’imposer de plus en plus dans le paysage hexagonal.
Si l’objectif est ambitieux, il est fort probable qu’il ne soit pas atteint. « Même en parvenant à doubler en 2021 le nombre de bornes posées en 2020, la France n’atteindrait que 60000 unités à la fin 2021, assure Gianluigi Indino, associé EY-Parthenon. Il faudrait en poser cinq fois plus qu’en 2020 pour attendre l’objectif du contrat stratégique de filière. » L’État ne semble pas avoir encore trouvé la bonne recette.
Des ventes en hausses, mais un plafond de verre en vue
En fonction des sources, les chiffres varient également. Prenons l’Avere (Association nationale pour la promotion du véhicule électrique) comme baromètre : en juillet dernier, elle annonçait 29 854 points de recharge publics en France, dont 2395 à charge rapide (au moins 24kW de puissance). Six mois plus tard, au tournant de 2021, le pays n’en comptait que 30838, soit moins de mille supplémentaires (+3,2%). Une progression largement insuffisante. Si la majorité des recharges se fait encore au domicile des propriétaires, l’essor de ces bornes publiques est la condition sine qua non pour élargir l’utilisation des voitures électriques, aujourd’hui limitée au seul trajet domicile-travail.
Car l’enjeu est là : il faudra très vite multiplier les bornes ultrarapides, partout, en ville comme en campagne, et sur autoroutes. Tous les acteurs de la filière automobile le savent, la France ne commercialisera plus de voitures thermiques en 2040. Côté ventes, les chiffres actuels sont encourageants. Toujours selon l’Avere, 195 000 voitures neuves électriques ou hybrides ont été immatriculées en 2020 (+56% par rapport à 2019), dont 37250 pour le seul mois de décembre. « La déclinaison du contrat stratégique de filière, qui impliquait un objectif de 170000 unités pour 2020, a été largement dépassée, se félicite la déléguée générale d’Avere, Cécile Goubet. Pour couronner le tout, les véhicules électriques et hybrides rechargeables ont établi un nouveau record en s’octroyant 16,2% de parts de marché en décembre 2020. D'excellents scores qui devraient donner le tempo pour 2021 ! » Un optimisme à tempérer en jetant un œil aux chiffres de Statista qui classe la France à une lointaine 11e place en Europe avec 11,3% des ventes en 2020, contre 74,8% en Norvège.
En regardant le détail de ces ventes, on note par exemple qu’en décembre dernier, 20734 véhicules ont été acquis par des particuliers, soit une augmentation vertigineuse de +332% par rapport à décembre 2019. Mais ces chiffres risquent de rencontrer très rapidement leur plafond de verre : si leurs utilisateurs ne peuvent pas partir en vacances à l’autre bout de la France par manque de bornes, la voiture électrique restera cantonnée aux petits trajets du quotidien. « L’enjeu n’est pas au niveau des 100000 bornes, mais d’avoir des bornes aux bons endroits et à la bonne charge », analyse par ailleurs Cécile Goubet.
La grande question du financement
Hausse des ventes de véhicules et hausse du nombre de bornes ne suivent donc pas du tout le même rythme. L’explications est simple, et se résume comme souvent au nerf de la guerre. « Le coût moyen est de l’ordre de 15 000 euros, installation comprise, pour une borne d’une puissance de 10 à 22 kW, souligne Fedi Soyah, manager EY-Parthenon, et de 35000 euros pour une borne rapide d’une puissance supérieure à 22kW, deux technologies qui représentent respectivement 65% et 9% de l’infrastructure en France. » L’installation des bornes de recharge ultrarapides (au-delà de 50kW) – essentielles pour la généralisation des véhicules électriques – coûte encore plus cher : 50000 euros minimum.
En 2019, le gouvernement a voté la Loi d’orientation sur les mobilités – dite loi LOM – censée servir de boussole pour les années à venir. L’État a alors alloué une enveloppe de 100 millions d’euros pour favoriser l’essor des véhicules électriques et des bornes de recharge de 150kW sur les routes nationales et les aires d’autoroute. « Le dispositif coup de boost dans le cadre du programme Advenir permet de prendre en charge 60% des coûts d’installation des bornes, explique le ministère de la Transition écologique et solidaire de Barbara Pompili. Ces aides sont cumulables avec la prise en charge à 75% des coûts de raccordement au réseau (dispositif de la loi LOM). » Des mesures insuffisantes, la réalité du terrain et les chiffres en attestent avec un modèle économique qui ne permet pas la rentabilité aujourd’hui.
Le secteur privé, pierre angulaire du futur succès
Dans les années à venir, les investissements massifs seront du ressort du secteur privé. De nombreux opérateurs sont déjà sur les rangs : les distributeurs traditionnels de carburants comme Total et des fournisseurs d’énergie comme Engie, mais aussi les acteurs de la grande distribution comme Leclerc, Lidl ou encore System U. « C’est un sujet essentiel, observe Michel-Edouard Leclerc, président du comité stratégique des Centres E. Leclerc. L’État a raison de vouloir mobiliser tous les opérateurs pour donner ses chances à la voiture électrique française. Leclerc va accélérer dans ce domaine notamment en visant 5000 nouvelles bornes d’ici 2 ans et 10000 d’ici 2025. »
Mais la grande bataille à remporter sera celle de « l’itinérance », pour reprendre le mot du ministre Djebbari. Là, le secteur autoroutier aura tout son rôle à jouer. « Une des points de friction pour les véhicules électriques est bien évidemment les trajets longue distance, explique Marc Bouron, directeur général de Cofiroute et directeur général adjoint de Vinci Autoroutes. D’ici quelques temps, nous pourrons recharger nos véhicules en moins de dix minutes. Je crois que le modèle va être complètement bouleversé avec un système d’abonnement, nous allons être un peu sur le même schéma que les systèmes d’abonnement téléphonique. A terme, toutes les bornes seront accessibles à tout le monde. » Cette généralisation des bornes sur autoroutes est déjà sur les rails dans certains départements, comme en région PACA où le président Renaud Muselier a signé une convention avec Vinci Autoroutes en 2019, favorisant le déploiement d’une stratégie transversale : infrastructures multimodales et bornes de recharge en tête.
Pour accélérer le déploiement des infrastructures nécessaires à la mobilité durable, deux leviers seront nécessaires : un engagement clair de l’État, aujourd’hui insuffisant ; et un effort des collectivités. Des entités gagnantes dans le cadre de partenariats public-privés de long terme, lesquels pourraient bien s’imposer de plus en plus dans le paysage hexagonal.