Le sujet sur l’égalité Homme-Femme en matière d’héritage au Maroc a refait surface depuis quelques jours. Le déclencheur a été la présentation des résultats d’une étude menée en 2020 par l’Association des femmes marocaines pour la recherche et le développement (AFEMARD), en collaboration avec l’Organisation marocaine des droits humains (OMDH) et le soutien de la Fondation allemande Friedrich Ebert Stiftung.
Le rapport, présenté mardi dernier, souligne que le travail qui a été mené avait pour objectif principal de « sonder l’opinion publique sur les discriminations de genre en matière de succession et d’explorer les possibilités d’une réforme, à la lumière des mutations sociales ».
Ainsi, sur la base d’un échantillon de 600 femmes et 600 hommes âgés de plus de 18 ans et issus de plusieurs régions du Royaume, l’étude a pu conclure que 82% des personnes sondées étaient pour le maintien de la règle selon laquelle « un homme a une part équivalente à celles de deux femmes ».
36% pour une réforme
Cela dit, alors que 44% se sont prononcés contre une révision du système successoral, 36% se sont déclarés favorables alors que 20% se sont abstenus de donner leur avis sur ce point. Cette répartition des avis a depuis sa publication été considérée par diverses sources comme une avancée par rapport à un sujet que beaucoup considèrent quasiment comme un tabou.
Dans son allocution durant la présentation des résultats de l’étude, Mme Amina Bouayach, présidente du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), a souligné que « l’État doit aborder cette question d’un point de vue objectif et de droits de l’Homme », ajoutant que « de nombreuses familles sans descendants masculins optent pour des usages de forme afin de contourner les inégalités, qui ne feraient pas profiter pleinement leurs filles du bien hérité des ascendants, surtout du père ou de l’époux. Faute de décisions égalitaires, ces pratiques de plus en plus courantes deviennent une issue pour asseoir l’égalité dans l’héritage ».
Contourner l’inégalité
Contacté par nos soins, un notaire qui exerce dans la région de Rabat confirme ce constat : « Ce sont les Adouls qui s’occupent de tout ce qui touche aux successions. Nous les notaires, sommes concernés uniquement lorsqu’il s’agit de successions d’étrangers non-musulmans. Cela dit, j’ai eu de nombreux cas dans lesquels des pères de familles ont souhaité procéder à des donations de leurs biens à leurs enfants en se réservant l’usufruit, ce qui leur permet de transmettre leur patrimoine tout en continuant d’en jouir jusqu’à leur décès ».
Notre interlocuteur qui a souhaité garder l’anonymat précise cependant que la majorité des personnes qui s’adressent aux notaires pour ce genre de services sont des pères qui n’ont que des filles. « J’ai eu uniquement deux cas durant ma carrière où le père voulait faire une donation de son patrimoine à ses enfants, filles et garçons. Cela dit, en dépit de sa légalité, cette procédure nécessite un accord préalable de tous les enfants et exige également que le donateur soit en bonne santé et qu’il n’y ait aucun empêchement légal », poursuit la même source.
Le Taâsib devenu obsolète ?
Le Taâsib qui permet aux oncles et/ou aux cousins de partager l’héritage d’une ou plusieurs filles à la mort de leur père est ainsi de plus en plus considéré comme une pratique à changer (voir interview) d’autant plus que son impact socioéconomique semble également s’inverser.
« L’inégalité dans la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels est un fait qui ne peut être nié ni ignoré. Elle est plutôt considérée comme le dénominateur commun dans la plupart des régions du monde, où le phénomène de féminisation de la pauvreté est répandu, comme une résultante de la discrimination à l’égard des femmes et de leur statut inférieur dans les sociétés, pour des raisons culturelles liées principalement aux coutumes et aux traditions, des raisons juridiques principalement dues à la législation, et d’autres raisons structurelles », a ainsi résumé Mme Amina Bouayach, présidente du CNDH, qui a par ailleurs souligné la nécessité de « débattre publiquement des dispositions légales du droit successoral, identifier ses problématiques et diagnostiquer les contraintes, pour en sortir avec des perspectives ».
Le rapport, présenté mardi dernier, souligne que le travail qui a été mené avait pour objectif principal de « sonder l’opinion publique sur les discriminations de genre en matière de succession et d’explorer les possibilités d’une réforme, à la lumière des mutations sociales ».
Ainsi, sur la base d’un échantillon de 600 femmes et 600 hommes âgés de plus de 18 ans et issus de plusieurs régions du Royaume, l’étude a pu conclure que 82% des personnes sondées étaient pour le maintien de la règle selon laquelle « un homme a une part équivalente à celles de deux femmes ».
36% pour une réforme
Cela dit, alors que 44% se sont prononcés contre une révision du système successoral, 36% se sont déclarés favorables alors que 20% se sont abstenus de donner leur avis sur ce point. Cette répartition des avis a depuis sa publication été considérée par diverses sources comme une avancée par rapport à un sujet que beaucoup considèrent quasiment comme un tabou.
Dans son allocution durant la présentation des résultats de l’étude, Mme Amina Bouayach, présidente du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), a souligné que « l’État doit aborder cette question d’un point de vue objectif et de droits de l’Homme », ajoutant que « de nombreuses familles sans descendants masculins optent pour des usages de forme afin de contourner les inégalités, qui ne feraient pas profiter pleinement leurs filles du bien hérité des ascendants, surtout du père ou de l’époux. Faute de décisions égalitaires, ces pratiques de plus en plus courantes deviennent une issue pour asseoir l’égalité dans l’héritage ».
Contourner l’inégalité
Contacté par nos soins, un notaire qui exerce dans la région de Rabat confirme ce constat : « Ce sont les Adouls qui s’occupent de tout ce qui touche aux successions. Nous les notaires, sommes concernés uniquement lorsqu’il s’agit de successions d’étrangers non-musulmans. Cela dit, j’ai eu de nombreux cas dans lesquels des pères de familles ont souhaité procéder à des donations de leurs biens à leurs enfants en se réservant l’usufruit, ce qui leur permet de transmettre leur patrimoine tout en continuant d’en jouir jusqu’à leur décès ».
Notre interlocuteur qui a souhaité garder l’anonymat précise cependant que la majorité des personnes qui s’adressent aux notaires pour ce genre de services sont des pères qui n’ont que des filles. « J’ai eu uniquement deux cas durant ma carrière où le père voulait faire une donation de son patrimoine à ses enfants, filles et garçons. Cela dit, en dépit de sa légalité, cette procédure nécessite un accord préalable de tous les enfants et exige également que le donateur soit en bonne santé et qu’il n’y ait aucun empêchement légal », poursuit la même source.
Le Taâsib devenu obsolète ?
Le Taâsib qui permet aux oncles et/ou aux cousins de partager l’héritage d’une ou plusieurs filles à la mort de leur père est ainsi de plus en plus considéré comme une pratique à changer (voir interview) d’autant plus que son impact socioéconomique semble également s’inverser.
« L’inégalité dans la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels est un fait qui ne peut être nié ni ignoré. Elle est plutôt considérée comme le dénominateur commun dans la plupart des régions du monde, où le phénomène de féminisation de la pauvreté est répandu, comme une résultante de la discrimination à l’égard des femmes et de leur statut inférieur dans les sociétés, pour des raisons culturelles liées principalement aux coutumes et aux traditions, des raisons juridiques principalement dues à la législation, et d’autres raisons structurelles », a ainsi résumé Mme Amina Bouayach, présidente du CNDH, qui a par ailleurs souligné la nécessité de « débattre publiquement des dispositions légales du droit successoral, identifier ses problématiques et diagnostiquer les contraintes, pour en sortir avec des perspectives ».
Oussama ABAOUSS
L'info...Graphie
Société
20% des familles marocaines sont prises en charge par des femmes
L’étude, intitulée « Que pensent les Marocains et les Marocaines du système successoral marocain ? », a recueilli et analysé les avis des Marocains sur des règles bien précises relevant de l’héritage, notamment la règle de la double part pour le sexe masculin, la règle du « Taâsib » et la règle de la différence de culte.
Globalement, les réponses des personnes sondées ont démontré qu’elles connaissaient les règles fondamentales, surtout pour la part d’entre elles qui n’ont pas de garçons parmi leurs enfants, car cette condition les rendait plus concernées par la règle du Taâsib.
Dans une déclaration faite à Média24, la coordinatrice de la commission scientifique, Malika Benradi, a affirmé que « plus de 20% des familles marocaines sont prises en charge matériellement et uniquement par des femmes. Il n’y a pas de raison que toutes ces mutations sociétales ne puissent pas impacter la révision du Code de la famille par rapport à toutes les dispositions discriminatoires, particulièrement celle du livre VI qui réglemente la matière successorale ».
Globalement, les réponses des personnes sondées ont démontré qu’elles connaissaient les règles fondamentales, surtout pour la part d’entre elles qui n’ont pas de garçons parmi leurs enfants, car cette condition les rendait plus concernées par la règle du Taâsib.
Dans une déclaration faite à Média24, la coordinatrice de la commission scientifique, Malika Benradi, a affirmé que « plus de 20% des familles marocaines sont prises en charge matériellement et uniquement par des femmes. Il n’y a pas de raison que toutes ces mutations sociétales ne puissent pas impacter la révision du Code de la famille par rapport à toutes les dispositions discriminatoires, particulièrement celle du livre VI qui réglemente la matière successorale ».
Débat public
Appel à ouvrir une réelle réflexion sur le système successoral
L’étude dévoilée mardi dernier a souligné que « les appels à la réforme du système successoral qui ont commencé au début de ce troisième millénaire n’ont pas encore trouvé la réponse requise ». Les auteurs expliquent par ailleurs que « les pratiques de contournement de ces règles (dispositions juridiques discriminatoires à l’égard des femmes, NDLR) sont très fréquentes. Elles sont, de surcroît, considérées moins contraignantes : ventes fictives, donation entre vifs, conversions de complaisance… ».
Questionné sur les personnes qui contournent la loi à travers les moyens cités par l’étude, le chercheur en pensée islamique, Mohamed Abdelouahab Rafiqui, confie : « Au vu du cadre légal qui existe actuellement dans notre pays, c’est hélas le seul moyen qui s’offre à une personne qui veut protéger l’intérêt de ses filles par exemple. C’est une option que je comprends et qu’il m’arrive même de recommander lorsqu’on me sollicite pour donner mon avis sur la question. Cela dit, ce n’est pas la solution idéale puisque ses adeptes sont obligés quelque part de contourner la loi, ce qui démontre que le cadre légal actuel au Maroc est problématique et doit être revu ».
Le chercheur estime par ailleurs qu’il est plus que temps d’ouvrir un débat et une réflexion collective pour rendre justice à toute une frange de la société. « Il faut inviter tous les spécialistes et parties prenantes concernées à discuter d’une manière ouverte et inclusive. Cela est déjà arrivé dans d’autres pays musulmans comme la Tunisie ou la Turquie où le Taâsib n’est plus pratiqué », conclut la même source.
3 questions à Mohamed Abdelouahab Rafiqui
« Le Taâsib n’est plus pertinent et rien donc ne devrait s’opposer à établir un texte légal qui s’en affranchit »
Chercheur en pensée islamique, Mohamed Abdelouahab Rafiqui répond à nos questions et nous livre son point de vue sur une éventuelle révision du système successoral marocain.
- Que pensez-vous des résultats de l’étude présentée mardi dernier ?
- Il s’agit à mon avis d’un grand progrès, car une enquête de ce genre aurait certainement eu des résultats très différents si elle avait été réalisée il y a seulement une décennie. Les résultats de l’étude montrent que le débat sur les droits de l’héritage commence à s’ouvrir. Je pense que le résultat principal est le fait que 36% des personnes sondées sont favorables à une révision du système successoral marocain même si un point particulier semble cristalliser les réserves de 82% des sondés, à savoir la règle selon laquelle « un homme a une part équivalente à celles de deux femmes ».
Les 36% semblent cependant vouloir un changement par rapport à certains aspects, notamment ceux liés au« Taâsib » et la « Ouassia », c’est d’ailleurs dans ce sens qu’a abondé l’allocution de Mme la présidente du CNDH.
- Est-il, selon vous, possible d’envisager une égalité (entre les hommes et les femmes) en matière d’héritage qui soit compatible avec la religion islamique ?
- Si on aborde cette question sans tenir compte de certains textes religieux, qui sont par ailleurs à interpréter selon leur contexte (social, culturel et politique) spécifique, et si on privilégie ce qu’on appelle « les finalités de la Charia », on trouve clairement des impératifs (de justice et d’équité) qui ne peuvent que consacrer l’égalité entre les hommes et les femmes en Islam.
En prenant ce référentiel, je pense qu’il n’y a aucune incompatibilité entre notre religion et un texte légal qui consacre l’égalité homme-femme, surtout concernant des dispositions comme celles du Taâsib par exemple. Cette pratique était juste à une époque marquée par un tribalisme où la femme ne travaillait pas et était plutôt prise en charge par l’oncle ou le cousin après la mort de son père.
Actuellement, avec le changement du contexte sociologique, le Taâsib n’est plus pertinent et rien donc ne devrait s’opposer à établir un texte légal qui s’en affranchit, car si les finalités de la Charia restent immuables, les règles doivent changer quand le contexte qui les a justifiées a également changé.
- Est-ce que les droits de l’héritage du point de vue de la Charia sont, selon vous, des règles dont l’interprétation peut éventuellement changer ?
- C’est une grande question qui ne touche pas uniquement les aspects liés à l’héritage. Ce qui est surprenant, c’est que beaucoup semblent penser que les lois de la Charia sont immuables quand ça touche la femme.
S’affranchir des sanctions corporelles prévues dans la Charia ne semble en revanche pas trop déranger ceux-là même qui s’opposent à toute modification des règles liées aux femmes… Comme je l’ai précédemment souligné, je pense personnellement que toute règle ou loi, quel que soit son référentiel de départ, doit changer quand le contexte qui l’a justifiée au départ a également changé. Ça vaut également pour les outils et règles du Fikh qui doivent être mis à jour quand le changement du contexte justifie de le faire.
Recueillis par O. A.