Tracer l’histoire de la peinture au Maroc est une aventure guère évidente et les historiens se perdent souvent entre XIXème siècle et plus tardivement la première moitié du XXème siècle qu’ils situent comme début de la pratique picturale au Maroc. Selon Azzouz Tnifass, la peinture a concerné d’abord le Nord du Maroc, plus accessible aux peintres voyageurs ; et c’est donc Tanger qui mobilise la première l’attention des peintres et Marrakech, plus secrète, s’est réservée à ceux que le protectorat invita plus tard à s’y fixer. Or, rien n’est plus faux que de telles affirmations.
En effet, Marrakech a été peinte bien avant Tanger et il y eut des peintres appelés par les élites marocaines qui ont précédé, de plusieurs siècles, les peintres voyageurs. De même, et depuis l’antiquité sans doute, il y eut des peintres sur le territoire actuel du Maroc.
Toni Maraini observe, à juste raison, qu’il y a 80.000 ans les hominidés qui précédèrent Homosapiens au Maroc passaient déjà des peintures ocre sur les os de leurs morts. Mais, il faut être précis. Il ne s’agissait pas de professionnels et ces peintres ne se pensaient pas comme artistes. Il s’agissait d’hommes ordinaires ou d’artisans qui produisaient des décors non signés sur des supports fonctionnels, poutres de plafonds, ou planches et murs constituant une maison, interstices dans des entrelacs de plâtre. On pourrait évoquer aussi les femmes qui décoraient des corps humains avec des formes produites au henné ou avec des tatouages.
Dans tous les cas, il s’agit bien des peintres puisque ces personnes utilisaient des pigments et des liants, jouant de formes et de couleurs. Simplement, ils ignoraient la toile, voire le papier apparu à la fin de la période appelée en Occident, l’huile, l’usage le plus fréquent du Maroc ancien étant celui de la tempera, et surtout la signature. Il ne s’agissait donc pas de peintres au sens occidental du terme et cette différence est tout à fait normale puisqu’on est ici en face d’un des indicateurs possibles d’identités culturelles.
Contrairement à ce qu’on lit couramment, la peinture de chevalet n’est pas une innovation radicale au Maroc qui daterait, soit des peintres occidentaux, notamment les peintres orientalistes apparus au XIXème siècle, soit des peintres marocains qui entrent en activité au XXème siècle. Elle est en effet apparue au XVIème siècle.
Curieusement, il ne s’agit pas d’un phénomène qui a été proposé ou imposé par des peintres venus de l’étranger ; mais il émane d’une demande marocaine venue de l’autorité suprême du pays, celle d’un sultan saâdien, Ahmed Al Mansour, qui se présentait comme étant le descendant du prophète.
C’est donc à l’instigation d’une des plus hautes autorités que la peinture à l’huile sur la toile a été introduite au Maroc. D’autant plus que le Maroc était déjà représenté, dans les peintures qui précédèrent la Renaissance, par des représentations en grande partie imaginaires (cf. Vies et miracles de ST. Antoine de Padoue à son arrivée au Maroc, de Jean Boachon). Et le cas n’est pas unique puisqu’au même moment les Turcs introduisirent cette mutation culturelle en faisant venir des peintres italiens pour réaliser de grands portraits : ce qui est vrai pour la Turquie est aussi observable dans l’Empire Moghol ; avec cette différence fondamentale que le chef d’Etat Juhangir, souhaitera devenir, lui-même, peintre.
Le chevalet a précédé les orientalistes
Ce qui est également curieux, c’est que dans le même temps où se produisaient des changements chez des musulmans sunnites, hanafites ou chaféits, ces appartenances n’ont pas été des variables discriminantes. De plus, la même chose s’est produite chez les malékites au Maroc. Il y eut un engouement à la fois pour la figuration et la peinture à l’huile sur toile.
Au Maroc, les choses ont commencé avec un peintre graveur venu de Grèce et passé par Venise. Ce n’est que par la suite que les peintres accompagnant des ambassades européens sont arrivés. Ce fut le cas d’Adrian Matham dont les tableaux marocains sont aujourd’hui conservés en Autriche, demeurent presque tous inconnus bien qu’ils aient été vus par le comte De Castries.
Observer ces faits, c’est relativiser les actuelles explications de l’absence de la peinture de chevalet au Maroc, de son apparition avec les peintres orientalistes au XXème siècle, car il y eut un peintre marocain au XVIème siècle d’ascendance marocaine possible d’être le premier peintre du Maroc dès le XVIIème siècle. Il s’agit de Juan De Pareja, disciple de Velasquez, même s’il a été éduqué en Espagne. Les documents disponibles prouvent difficilement qu’il est un homme précurseur.
Or, le véritable problème n’est pas de comprendre comment et pourquoi la peinture de chevalet serait apparue chez les uns au XIXème siècle et chez d’autres au XXème siècle. Il faut en finir avec cette idée fausse d’une double naissance récente. Et cela, même si cette idée est largement diffusée sans examen minutieux des archives, la vraie question est ailleurs. Pourquoi la peinture de chevalet a-t-elle été adoptée spontanément sans aucune pression étrangère par les souverains marocains euxmêmes ? Pourquoi cette mutation ne s’est-elle pas répandue dans tout le pays ? Pourquoi faudra- t-il attendre la seconde moitié du XXème siècle pour que ce phénomène se développe ? De telles questions touchent l’inconscient culturel du pays. Mais ce qui est enjeu est la part de la liberté dans la construction de l’identité individuelle par rapport aux identités collectives. Ce qui s’est donc passé fut une mutation interne à l’islam et non un phénomène lié à une violence colonialiste.
Ce qui a manqué au Maroc c’est le courage des intellectuels pour expliquer cette forme d’acculturation, c’est pourquoi, aussi, on a instrumentalisé quelques siècles plus tard la présence étrangère de peintres orientalistes d’abord, d’institutions pédagogiques locales ensuite afin de réussir à réaliser un désir qui est présent dès le XVIème siècle.
Au Maroc, on avait la possibilité de développer des peintures allégoriques ou mythologiques mais aussi de la peinture historique. Rien qu’à travers l’introduction de la peinture de chevalet limitée aux portraits et à la nature morte, ces voies n’ont pas été explorées faute d’analystes de la culture marocaine.
Enfin, c’est la lecture même de l’Histoire de l’art marocain qui peut être renouvelée. Ce qui paraît comme une innovation venue de l’étranger peut être compris comme une continuité, non comme une des formes de la modernité, mais comme l’expression la plus forte de la tradition marocaine.
En effet, Marrakech a été peinte bien avant Tanger et il y eut des peintres appelés par les élites marocaines qui ont précédé, de plusieurs siècles, les peintres voyageurs. De même, et depuis l’antiquité sans doute, il y eut des peintres sur le territoire actuel du Maroc.
Toni Maraini observe, à juste raison, qu’il y a 80.000 ans les hominidés qui précédèrent Homosapiens au Maroc passaient déjà des peintures ocre sur les os de leurs morts. Mais, il faut être précis. Il ne s’agissait pas de professionnels et ces peintres ne se pensaient pas comme artistes. Il s’agissait d’hommes ordinaires ou d’artisans qui produisaient des décors non signés sur des supports fonctionnels, poutres de plafonds, ou planches et murs constituant une maison, interstices dans des entrelacs de plâtre. On pourrait évoquer aussi les femmes qui décoraient des corps humains avec des formes produites au henné ou avec des tatouages.
Dans tous les cas, il s’agit bien des peintres puisque ces personnes utilisaient des pigments et des liants, jouant de formes et de couleurs. Simplement, ils ignoraient la toile, voire le papier apparu à la fin de la période appelée en Occident, l’huile, l’usage le plus fréquent du Maroc ancien étant celui de la tempera, et surtout la signature. Il ne s’agissait donc pas de peintres au sens occidental du terme et cette différence est tout à fait normale puisqu’on est ici en face d’un des indicateurs possibles d’identités culturelles.
Contrairement à ce qu’on lit couramment, la peinture de chevalet n’est pas une innovation radicale au Maroc qui daterait, soit des peintres occidentaux, notamment les peintres orientalistes apparus au XIXème siècle, soit des peintres marocains qui entrent en activité au XXème siècle. Elle est en effet apparue au XVIème siècle.
Curieusement, il ne s’agit pas d’un phénomène qui a été proposé ou imposé par des peintres venus de l’étranger ; mais il émane d’une demande marocaine venue de l’autorité suprême du pays, celle d’un sultan saâdien, Ahmed Al Mansour, qui se présentait comme étant le descendant du prophète.
C’est donc à l’instigation d’une des plus hautes autorités que la peinture à l’huile sur la toile a été introduite au Maroc. D’autant plus que le Maroc était déjà représenté, dans les peintures qui précédèrent la Renaissance, par des représentations en grande partie imaginaires (cf. Vies et miracles de ST. Antoine de Padoue à son arrivée au Maroc, de Jean Boachon). Et le cas n’est pas unique puisqu’au même moment les Turcs introduisirent cette mutation culturelle en faisant venir des peintres italiens pour réaliser de grands portraits : ce qui est vrai pour la Turquie est aussi observable dans l’Empire Moghol ; avec cette différence fondamentale que le chef d’Etat Juhangir, souhaitera devenir, lui-même, peintre.
Le chevalet a précédé les orientalistes
Ce qui est également curieux, c’est que dans le même temps où se produisaient des changements chez des musulmans sunnites, hanafites ou chaféits, ces appartenances n’ont pas été des variables discriminantes. De plus, la même chose s’est produite chez les malékites au Maroc. Il y eut un engouement à la fois pour la figuration et la peinture à l’huile sur toile.
Au Maroc, les choses ont commencé avec un peintre graveur venu de Grèce et passé par Venise. Ce n’est que par la suite que les peintres accompagnant des ambassades européens sont arrivés. Ce fut le cas d’Adrian Matham dont les tableaux marocains sont aujourd’hui conservés en Autriche, demeurent presque tous inconnus bien qu’ils aient été vus par le comte De Castries.
Observer ces faits, c’est relativiser les actuelles explications de l’absence de la peinture de chevalet au Maroc, de son apparition avec les peintres orientalistes au XXème siècle, car il y eut un peintre marocain au XVIème siècle d’ascendance marocaine possible d’être le premier peintre du Maroc dès le XVIIème siècle. Il s’agit de Juan De Pareja, disciple de Velasquez, même s’il a été éduqué en Espagne. Les documents disponibles prouvent difficilement qu’il est un homme précurseur.
Or, le véritable problème n’est pas de comprendre comment et pourquoi la peinture de chevalet serait apparue chez les uns au XIXème siècle et chez d’autres au XXème siècle. Il faut en finir avec cette idée fausse d’une double naissance récente. Et cela, même si cette idée est largement diffusée sans examen minutieux des archives, la vraie question est ailleurs. Pourquoi la peinture de chevalet a-t-elle été adoptée spontanément sans aucune pression étrangère par les souverains marocains euxmêmes ? Pourquoi cette mutation ne s’est-elle pas répandue dans tout le pays ? Pourquoi faudra- t-il attendre la seconde moitié du XXème siècle pour que ce phénomène se développe ? De telles questions touchent l’inconscient culturel du pays. Mais ce qui est enjeu est la part de la liberté dans la construction de l’identité individuelle par rapport aux identités collectives. Ce qui s’est donc passé fut une mutation interne à l’islam et non un phénomène lié à une violence colonialiste.
Ce qui a manqué au Maroc c’est le courage des intellectuels pour expliquer cette forme d’acculturation, c’est pourquoi, aussi, on a instrumentalisé quelques siècles plus tard la présence étrangère de peintres orientalistes d’abord, d’institutions pédagogiques locales ensuite afin de réussir à réaliser un désir qui est présent dès le XVIème siècle.
Au Maroc, on avait la possibilité de développer des peintures allégoriques ou mythologiques mais aussi de la peinture historique. Rien qu’à travers l’introduction de la peinture de chevalet limitée aux portraits et à la nature morte, ces voies n’ont pas été explorées faute d’analystes de la culture marocaine.
Enfin, c’est la lecture même de l’Histoire de l’art marocain qui peut être renouvelée. Ce qui paraît comme une innovation venue de l’étranger peut être compris comme une continuité, non comme une des formes de la modernité, mais comme l’expression la plus forte de la tradition marocaine.
Hassan LAGHDACHE,
Critique d’art