Je n’écris pas aujourd’hui pour remettre en question les propos d’un écrivain de renommée, non plus pour conférer de la définition du bonheur aussi ambiguë que relative. J’écris plutôt pour qu’on ne puisse jamais oublier, à la mémoire de ceux qui n’ont plus de mémoire.
Insoupçonné, plutôt incertain me semble le bonheur de ma grand-mère qui donne l’air d’oublier la raison de son sourire avant que ses lèvres ne se joignent, dissimulant ses dents gâtées. Ce sourire, depuis que l’Alzheimer s’est infiltré dans son cerveau, n’est plus la flamboyante illustration d’un esprit heureux, mais la résistance désespérée face à l’éphémérité d’une humeur qui se veut véridique, ne serait-ce que momentanément. Le silence règne dans le livre des souvenirs de ma grand-mère et celui de ses semblables, nulle cohérence n’y existe entre les faits, nulle cohésion entre ses paragraphes et les liens logiques s’y retrouvent en suspens.
En guise de consolation simulée, dont l’effet ne dépasse le clin d’œil que quand elle dort, j’essayais de persuader ma grand-mère que tout ce qu’elle a oublié était sans importance ou triste. Je lui disais par plaisanterie que c’était bien pour sa santé de prendre deux fois sa douche dans un intervalle d’un quart d’heure, que ses enfants ont grandi et ne fêtent plus leurs anniversaires – car elle vérifiait chaque matin sur son petit carnet, après l’avoir cherché pendant des dizaines de minutes, si c’était la date d’anniversaire de l’un de ses enfants-, et que, d’un ton sérieux cette fois-ci, les plantes qu’elle aimait entretenir avec… J’étais sur le point de lui parler de l’homme de sa vie ! L’assiette de mon grand-père, qui nous a quittés depuis des années, est toujours dressée à chaque repas avant que l’absence ne refroidisse la délicieuse nourriture que miraculeusement elle continue à préparer. Ne serait-elle pas exemptée de cette mélancolie générée par l’inexistence définitive de l’amour de sa vie ? Mieux vaut-il attendre dans le désespoir que se désespérer de l’attente ? Un labyrinthe de questions existentielles, que je me suis discrètement et constamment posées, à quoi moi, jeune homme avec une mémoire fidèle, avais du mal à trouver une issue.
Fuyant son destin fatal, ou plutôt s’y opposant, ma grand-mère faisait usage des quelques cours d’alphabétisation dont elle a bénéficié. Toutefois, le lien qui unit l’image acoustique ou graphique au sens ou concept – signifiant et signifié en termes de linguistique-, a déjà commencé à se découdre et il lui arrivait de ne plus comprendre des mots abondamment présents dans ses discours avant que la maladie ne les emporte vers le dictionnaire de l’oubli.
L’Alzheimer, panacée persistante et démence aiguë, fait endurer à ma grand-mère, et peut-être aux vôtres, une souffrance incomparable. Médecins, gouvernement, médias, associations et toute autre composante de la société doivent se mobiliser afin d’y remédier et mettre fin à ce cauchemar qu’on pourrait raconter… plus tard, on s’en souviendra.
« N’oubliez jamais ! », comme chantait Joe Cocker,
N’oubliez jamais, tant que vous en êtes capables !
Le 21 septembre, journée mondiale de la maladie d’Alzheimer.
Insoupçonné, plutôt incertain me semble le bonheur de ma grand-mère qui donne l’air d’oublier la raison de son sourire avant que ses lèvres ne se joignent, dissimulant ses dents gâtées. Ce sourire, depuis que l’Alzheimer s’est infiltré dans son cerveau, n’est plus la flamboyante illustration d’un esprit heureux, mais la résistance désespérée face à l’éphémérité d’une humeur qui se veut véridique, ne serait-ce que momentanément. Le silence règne dans le livre des souvenirs de ma grand-mère et celui de ses semblables, nulle cohérence n’y existe entre les faits, nulle cohésion entre ses paragraphes et les liens logiques s’y retrouvent en suspens.
En guise de consolation simulée, dont l’effet ne dépasse le clin d’œil que quand elle dort, j’essayais de persuader ma grand-mère que tout ce qu’elle a oublié était sans importance ou triste. Je lui disais par plaisanterie que c’était bien pour sa santé de prendre deux fois sa douche dans un intervalle d’un quart d’heure, que ses enfants ont grandi et ne fêtent plus leurs anniversaires – car elle vérifiait chaque matin sur son petit carnet, après l’avoir cherché pendant des dizaines de minutes, si c’était la date d’anniversaire de l’un de ses enfants-, et que, d’un ton sérieux cette fois-ci, les plantes qu’elle aimait entretenir avec… J’étais sur le point de lui parler de l’homme de sa vie ! L’assiette de mon grand-père, qui nous a quittés depuis des années, est toujours dressée à chaque repas avant que l’absence ne refroidisse la délicieuse nourriture que miraculeusement elle continue à préparer. Ne serait-elle pas exemptée de cette mélancolie générée par l’inexistence définitive de l’amour de sa vie ? Mieux vaut-il attendre dans le désespoir que se désespérer de l’attente ? Un labyrinthe de questions existentielles, que je me suis discrètement et constamment posées, à quoi moi, jeune homme avec une mémoire fidèle, avais du mal à trouver une issue.
Fuyant son destin fatal, ou plutôt s’y opposant, ma grand-mère faisait usage des quelques cours d’alphabétisation dont elle a bénéficié. Toutefois, le lien qui unit l’image acoustique ou graphique au sens ou concept – signifiant et signifié en termes de linguistique-, a déjà commencé à se découdre et il lui arrivait de ne plus comprendre des mots abondamment présents dans ses discours avant que la maladie ne les emporte vers le dictionnaire de l’oubli.
L’Alzheimer, panacée persistante et démence aiguë, fait endurer à ma grand-mère, et peut-être aux vôtres, une souffrance incomparable. Médecins, gouvernement, médias, associations et toute autre composante de la société doivent se mobiliser afin d’y remédier et mettre fin à ce cauchemar qu’on pourrait raconter… plus tard, on s’en souviendra.
« N’oubliez jamais ! », comme chantait Joe Cocker,
N’oubliez jamais, tant que vous en êtes capables !
Le 21 septembre, journée mondiale de la maladie d’Alzheimer.
Achraf EL OUAD