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Interview : Basma El Hijri, à la conquête des écrans


Rédigé par Houda BELABD Lundi 9 Septembre 2024

Véritable couteau-suisse de l'écriture, Basma El Hijri, une journaliste convertie en scénariste, crée des fictions alliant divertissement et réflexion sociale. Co-auteure de la série "Aâm o Nhar", elle a récemment écrit "Forsa Tania", un téléfilm sur l'influence des réseaux sociaux. Questions-réponses.



Photo: tous droits réservés.
Photo: tous droits réservés.
 
 
 
- Pouvez-vous nous parler de l'inspiration derrière votre nouveau téléfilm ? Qu'est-ce qui vous a poussée à raconter cette histoire en particulier ?
 
- Depuis l'émergence des réseaux sociaux, notre mode de vie a profondément changé. Beaucoup de personnes se mettent à suivre des influenceurs et des influenceuses qui embellissent souvent la réalité. Pourtant, leurs abonnés prennent ces apparences pour des vérités et envient leur train de vie. Dans le téléfilm « Forsa Tania », j'ai souhaité aborder cette problématique à travers l'histoire de Souad, une jeune femme naïve et comblée en ménage, qui rêve d'une vie de luxe et d'opulence, peu importe le prix à payer. Un jour, elle tente sa chance à un jeu de hasard et remporte le gros lot. Cependant, aveuglée par la cupidité, elle souhaite désormais mener une nouvelle existence, mais sans son mari. Pour parvenir à ses fins, elle utilise diverses ruses pour provoquer la séparation. Elle réussit finalement à divorcer d'Adil, son mari, mais découvre rapidement que sa nouvelle vie est un véritable fiasco. Elle regrette alors amèrement le foyer plein d'amour et de stabilité qu'elle a sacrifié par pur appât du gain.
 
- Comment décririez-vous le style narratif que vous avez choisi pour ce téléfilm ? En quoi diffère-t-il des travaux habituels ?
 
- Il s'agit avant tout d'une comédie légère qui, sous des airs divertissants, aborde des questions de fond bien plus sérieuses. À mes yeux, la fiction ne doit pas seulement remplir la fonction de divertissement. Elle a aussi le devoir de soulever des questions, d'interroger le quotidien et de nous inviter à réfléchir sur des sujets qui, parfois, nous échappent ou que nous préférons ignorer. Dans cette optique, j'ai tenté modestement de proposer deux niveaux de lecture. Le premier niveau, plus accessible et superficiel, repose sur la narration d'une tranche de vie : celle d'une protagoniste qui, à un moment clé de son existence, prend une décision lourde de conséquences. À travers ce choix, nous suivons son parcours, ses espoirs, ses erreurs et les répercussions de ses actes. Ce récit, tout en légèreté, permet de s'identifier à elle, de ressentir ses émotions, et de vivre avec elle les hauts et les bas de sa quête de bonheur. Mais au-delà de cette lecture première, j'ai cherché à en proposer une seconde, plus subtile et profonde. Celle-ci se construit autour de plusieurs références que les utilisateurs des réseaux sociaux reconnaîtront aisément. Elle nous interpelle sur notre manière de consommer le contenu numérique, sur notre rapport à l'image et aux apparences, et sur la facilité avec laquelle nous nous laissons parfois berner par une réalité fabriquée.
 
- Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec le réalisateur et les acteurs ? Comment avez-vous travaillé ensemble pour donner vie à votre scénario ?
 
- Le téléfilm « Forsa Tania » a marqué ma première collaboration avec le réalisateur Hicham El Jebbari, qui est également le producteur du projet. Dès le premier jour où je lui ai présenté mon idée, j'ai ressenti une véritable connexion. Hicham a fait preuve d'un grand intérêt en prenant le temps de m'écouter attentivement, de lire mon scénario avec soin et de me fournir des conseils précieux pour améliorer le texte. Tout au long du processus de création, j'ai été pleinement impliquée, notamment dans le choix des comédiens, des décors et d'autres aspects essentiels de la production. Pour moi, l'entente entre le scénariste et le réalisateur est cruciale. Une bonne collaboration permet de faire émerger la meilleure version du projet. Concernant les comédiens, j'ai pris beaucoup de plaisir à échanger avec eux sur le scénario et les dialogues. Leur sensibilité et leur interprétation ont enrichi le texte de manière significative. 
 
- Avant de devenir scénariste, vous avez eu une longue expérience en tant que journaliste. Comment cette transition s'est-elle opérée ?
 
- En tant que journaliste, j'ai toujours été profondément attentive aux évolutions de la société et aux histoires des personnes qui m'entourent. Raconter ces récits m'a toujours semblé naturel et essentiel. Au cours de mon travail, j'ai eu l'occasion de rencontrer de nombreux cinéastes et scénaristes, dont la sensibilité et l'amour pour le cinéma et la fiction m'ont fascinée. Ces rencontres ont éveillé en moi une passion grandissante pour ce métier, et j'ai longtemps nourri en secret le rêve de me lancer. Finalement, j'ai décidé de franchir le pas et de poursuivre ce rêve. J'ai quitté mon emploi pour plonger pleinement dans l'aventure du scénario. Les débuts ont été extrêmement difficiles et le chemin reste semé d'embûches. Cependant, ma passion pour l'écriture me pousse à persévérer malgré les obstacles. 
 
- Vous avez coécrit la série « Aâm o Nhar » diffusée en juin dernier sur la chaîne Al Aoula, et qui a connu un grand succès et a enregistré de très bonnes audiences. Parlez-nous de cette aventure.
 
- L'écriture d'une série se distingue considérablement de celle d'un téléfilm. En raison de son format plus long et plus complexe, elle est énergivore et chronophage. Contrairement aux téléfilms, qui se concentrent sur une histoire unique et autonome, une série, surtout lorsqu'elle compte 30 épisodes, exige une planification détaillée et une structure narrative étendue. Cela implique souvent la formation d'une véritable cellule d'écriture pour gérer les multiples arcs narratifs et assurer la cohérence tout au long des épisodes. Dans le cadre de la série « Aâm o Nhar », j'ai eu le privilège de collaborer avec des co-auteurs exceptionnels, tels que Jawad Lahlou, Ayoub Layoussifi et Ayoub Lahnoud, qui est également le réalisateur de la série. Travailler avec ces talents a été une expérience enrichissante, car chacun a apporté une perspective unique et des compétences complémentaires au projet. J'ai également eu la chance de collaborer avec Mounia Magueri, la dialoguiste, dont le travail a été crucial pour donner vie aux dialogues et aux personnages. Le tout a été sous la direction du producteur talentueux Amine Benjelloun d'Ali'n Productions, dont la vision et le soutien ont été essentiels pour la réalisation de la série. « Aâm o Nhar » est particulièrement chère à mon cœur, car elle aborde une problématique importante : la question du droit de garde des enfants, attribué systématiquement selon la loi au père en cas de remariage de la mère. 
 
- Quels sont les auteurs ou les œuvres qui vous ont le plus influencée dans votre carrière de scénariste ?
 
- Ma passion pour la fiction m'amène à explorer une grande diversité de styles narratifs, qu'ils soient égyptiens, américains, français, espagnols ou coréens. Chaque culture a son approche unique, mais on remarque aujourd'hui une tendance à l'uniformisation des codes d'écriture, en partie due aux plateformes de streaming et aux nouveaux modes de consommation. Parmi les auteurs et scénaristes qui m'inspirent le plus, je suis particulièrement fascinée par l'autrice américaine Shonda Rhimes, que le magazine Forbes qualifie de "Queen of Television". Son talent pour créer des personnages complexes et captivants, ainsi que sa capacité à aborder des thématiques sociétales d'actualité tout en maintenant une narration palpitante, me fascinent. J'admire également Aaron Sorkin, un scénariste réputé pour son style incisif et percutant, qui excelle dans l'art du dialogue vif et tranchant, tout en ayant une affinité particulière pour les intrigues politiques et les thrillers. 
 
- Quels ont été les plus grands défis que vous avez rencontrés lors de l'écriture de ce scénario ? Comment les avez-vous surmontés ?
 
- Le principal défi auquel est confronté chaque auteur ou scénariste réside dans la quête d'une idée originale et captivante, capable d'être développée en une œuvre de fiction. Cette idée doit non seulement posséder un potentiel narratif, mais également intégrer des éléments qui sauront captiver l'attention du public. Une fois cette étincelle créative trouvée, un autre obstacle se dresse souvent sur le chemin de l'auteur : le redoutable syndrome de la page blanche. Cet état, où l'inspiration semble se faire rare, peut paralyser même les esprits les plus créatifs. Pour surmonter ce défi, il est essentiel de s'imposer une discipline rigoureuse, se forçant à se plonger dans l'écriture même lorsque l'envie ou l'inspiration font défaut. L'écriture devient alors un acte de volonté autant que de créativité. Un professionnel du secteur m'a dit un jour : "Tout le monde peut avoir de bonnes idées de scénario. Ceux qui font vraiment la différence sont ceux qui s'engagent à développer leurs idées jusqu'au bout". Cette phrase résonne comme un rappel puissant de l'importance de la persévérance et de la détermination dans le monde de l'écriture. 
 
- En tant que scénariste marocaine, comment percevez-vous l'évolution de l'industrie audiovisuelle au Maroc ces dernières années ?
 
- Je suis convaincue que le secteur de la fiction télévisée se porte de mieux en mieux. Les chaînes publiques, principaux diffuseurs, offrent aujourd'hui une gamme plus variée d'opportunités. Elles élargissent leur offre en proposant une multitude de projets, ce qui contraste avec la situation d'il y a quelques décennies.
Aujourd'hui, les appels d'offres sont beaucoup plus complets et ouverts, permettant à un plus grand nombre de maisons de production de soumissionner. Cette évolution favorise l'émergence de nouveaux talents au sein des scénaristes.
 
- Quels conseils donneriez-vous aux jeunes scénaristes marocains qui aspirent à percer dans l'industrie audiovisuelle ?
 
- Je conseille vivement aux scénaristes qui débutent (un peu comme moi, rire) de faire preuve de patience et de persévérance. Ce métier est exigeant tant sur le plan intellectuel que moral, et il est crucial de ne jamais abandonner, même face aux défis. Il est également essentiel d'élargir constamment sa culture cinématographique en regardant des films et des séries télévisées.
 
Propos recueillis par Houda BELABD








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