-Donald Trump a pu se faire élire à nouveau avec une majorité plus grande qu’en 2016. Comment analysez-vous le phénomène du candidat républicain ?
Au-delà des extrémismes de langage auxquels nous avions assisté, lors de la campagne présidentielle aux Etats-Unis, Donald Trump s’est fait élire car il incarne l’Amérique anglo-saxonne populaire qui veut que les Etats-Unis restent américains. C’est le rejet de l’élite du parti démocrate qui ne s’est occupée que des minorités.
La défaite de Kamala Harris est le résultat de ce qu’est devenu le parti démocrate qui a subi un virage très à gauche. Ce sont des gens d’origine communiste, des trotskistes qui ont infiltré le parti démocrate alors que ce fut un parti modéré, sachant qu’il y a eu longtemps un consensus bipartisan aux États-Unis entre les Démocrates et les Républicains sur les valeurs essentielles. Le virage radical des démocrates a fait de cette formation politique une courroie de transmission du wokisme et de l’écologie radicale qui sont désormais la nouvelle expression du politiquement correct.
-Peut-on dire que les Etats-Unis sont un pays définitivement fracturé ?
Il y a, aujourd’hui, une fracture énorme aux Etats Unis. Ce qui est intéressant dans ces élections américaines, c’est que même au sein des minorités noires et hispaniques ainsi qu'arabo-musulmanes, que les démocrates considèrent comme chasse gardée, il y a eu un ras-le-bol de l'antiracisme primaire. C’est ce qui explique que de plus en plus d’électeurs de ces minorités votent pour Donald Trump.
Ils ont compris que les démocrates se servent opportunément de l’antiracisme pour avoir leur vote. Tout le monde sait maintenant qu’il s’agit d’un piège. En gros, le vote Trump est un rejet du wokisme et de l’idéologie LGBT qui commence à devenir inquiétant pour une grande partie de l’Amérique conservatrice, y compris les franges religieuses des minorités latino, afro-amércaines et arabo-muslmanes.
L’autre ressort du vote Trump est le refus de la globalisation dont se gargarisent beaucoup les Démocrates. Les délégations excessives ont créé ce que j’ai appelé dans un de mes livres « le quart-monde », pour désigner les pauvres d’Occident qui se sentent trahis par les élites occidentales.
« La victoire de Trump est un vote de réalisme et du rejet du wokisme et de la globalisation »
-Au Maroc, l'élection de Donald Trump a été positivement accueillie vu que c’est lui qui a reconnu le premier la marocanité du Sahara. Pensez-vous que son retour au Bureau ovale va accélérer la résolution définitive de ce conflit ?
Personnellement, je pense que pour ce qui est du conflit du Sahara, le Maroc a d’ores et déjà gagné définitivement pour autant que la majeure partie des pays occidentaux ont cédé en reconnaissant sa souveraineté sur provinces sahariennes. Cela fait des années que la thèse du Maroc prend le dessus sur celle que soutient l’Algérie aux Nations Unies.
Il y a même une sorte d’acceptation de la légitimité historique des revendications marocaines sur ce territoire. La position de l’ONU est très différente de ce qu’elle fut durant la guerre froide. Au niveau bilatéral, le Maroc a réalisé des victoires éclatantes en obtenant le soutien sans équivoque de pays européens, arabes et africains.
Avec Donald Trump à la Maison Blanche, ce mouvement ne manquera pas de s’accélérer. Les pays occidentaux encore indécis vont certainement aller dans ce sens. Il y a des mouvements dans l'Histoire qui sont irréversibles.
-La France a finalement reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara après des années d’hésitation. Qu’est-ce qui a fait fléchir, à votre avis, Emmanuel Macron ?
Il était difficile pour Emmanuel Macron de reconnaître la marocanité du Sahara, puisqu’une telle décision est synonyme d’une crise automatique avec l'Algérie qui, je rappelle, représente un gros problème en France. Nous avons une grande communauté d’origine algérienne que le régime algérien peut allumer comme une étincelle.
L’Algérie apprend à ses ressortissants la haine de la France du matin au soir depuis cinquante ans. C’est une bombe à retardement. Tout ça explique le dilemme de l’Hexagone au Maghreb. En fin de compte, Emmanuel Macron a fini par trancher en faveur du Maroc qui, à mon avis, a été très habile avec une politique discrète de « France Bashing » qui a énormément indisposé les Français.
A la fin, ils ont jugé utile de sauver le partenariat d’exception avec le Royaume. Le Maroc a fait clairement comprendre que la France serait indésirable et persona non grata tant qu’elle n’a pas reconnu la marocanité du Sahara. Paris a finalement franchi le cap. C’était une évidence puisque plusieurs pays l’ont fait sauf la France qui, pourtant, se déclarait ami historique du Maroc.
-Donald Trump fut l’artisan des accords d’Abraham qu’il a pu conclure bien que personne ne croyait au succès de sa démarche. Pensez-vous qu’il va les élargir davantage ?
Il ne vous a pas échappé que le Prince Mohammed Ben Salmane a félicité chaleureusement Donald Trump pour son élection et s’est dit prêt à rétablir les meilleures relations possibles comme ce fut le cas avant avec le partenaire américain. Il veut ainsi dire que l’Arabie Saoudite ne s’est pas brouillée avec les Etats-Unis mais elle s’est fâchée avec l’Administration démocrate avec laquelle elle entretient des relations exécrables depuis l’affaire Khashoggi.
Le leadership saoudien a, comme vous le savez, voulu punir les Démocrates d’avoir traité le pays comme ils l’ont fait lors de cet incident. MBS n’a jamais accepté l’affront de Biden et des Démocrates qui l’ont traité de criminel. La victoire de Donald Trump explique l’hésitation des Saoudiens à participer au dernier Sommet des BRICS.
Ils attendaient les résultats de l’élection. Il est fort probable que l’Arabie Saoudite emboîte le pas à l’Argentine qui n’a pas donné suite à sa demande d’adhésion. Maintenant que Trump est de retour, les Saoudiens pourraient ralentir leur rapprochement avec le camp sino-russe.
« Les leçons de morale ne fonctionnent plus en relations internationales »
-Quel sera le sort du Proche Orient et de l’Ukraine après le retour triomphal de Trump ?
En ce qui concerne le Proche Orient, les électeurs arabo-musulmans de Donald Trump risquent d’être déçus, ça aurait été aussi le cas si Kamala Harris avait été élue, parce que le président américain est tellement attaché aux évangéliques qui sont plus sionistes que les Israéliens. Trump ne peut pas être pro-palestinien et ne pourra pas empêcher le gouvernement israélien d’aller jusqu’au bout de sa guerre contre le Hamas et le Hezbollah.
Il demande aux Israéliens de finir le travail plus vite, ce qui les arrange. Rien n’exclut que la lutte sera encore plus dure contre l’Iran, considéré comme la tête du serpent. En Ukraine, il y a nulle certitude que Trump puisse imposer la paix rapidement.
N’oublions pas qu’il a changé par rapport à son premier mandat où il fut entouré de néo-conservateurs, comme John Bolton… Sa prochaine Administration serait peut-être moins hostile à la Russie que celle de 2016. Comme il a plaidé pendant toute sa campagne pour mettre fin à la guerre et a promis de ramener la paix.
Il est obligé de trouver une solution, même à la coréenne, qui prenne en compte la réalité du terrain en échange de garanties pour l’Ukraine, y compris une possibilité d’une adhésion à l’OTAN. En gros, on laisse les zones conquises pro-russes à la Russie. Trump, tout réaliste qu’il est, comprend bien que ces régions ne voudront pas redevenir ukrainiennes.
Aussi illégale du point de vue du droit international qu'une telle solution puisse paraître, elle demeure sur la table vu que le risque d’une escalade incontrôlable et d’une guerre nucléaire est tel qu’elle est désormais envisageable. On peut assister à un scénario semblable de la crise de la Crimée en 2014.
Pour ce qui est de l’Europe, les Européens seront finalement obligés de payer eux-mêmes pour leur propre défense sous la pression de la nouvelle Administration américaine. Trump peut aussi exiger des Européens de passer à la caisse en ce qui concerne la reconstruction de l’Ukraine après la guerre. Il demandera aussi sûrement à ce que l’Ukraine soit reconstruite par des entreprises américaines avec de l’argent européen. L’Amérique ne veut plus qu’elle paye toute seule la facture.