Badr Ikken, Manager Partner du Cabinet de Conseil en Transition Energétique et Président du Conseil d'Affaires Marocco-Allemand de la CGEM.
- On en parle beaucoup ces dernières années, l’hydrogène vert se présente comme l’une des options énergétiques les plus prometteuses pour le Royaume. Quels sont les atouts du Maroc en la matière ?
Le Maroc possède un potentiel considérable pour le développement de l'hydrogène vert et de ses dérivés, grâce à des conditions favorables exceptionnelles. Le pays bénéficie d'un accès illimité aux ressources renouvelables, avec des sites géographiques stratégiques combinant un ensoleillement abondant et des vitesses de vent élevées. Cela permet de produire de l'électricité verte nécessaire à la production d'hydrogène vert de manière quasi continue, 24 heures sur 24. De plus, la vision royale garantit une stabilité stratégique à long terme, rassurant ainsi les investisseurs, tandis que le Maroc s'appuie sur une expertise avérée dans le domaine des énergies renouvelables et une forte coopération à l’international avec plusieurs pays et partenaires, notamment l’Allemagne, l’Union Européenne…
Le pays dispose par ailleurs d'une plateforme unique de recherche appliquée, en cours de développement à Jorf Lasfar, portée par des acteurs majeurs comme le groupe OCP, l'UM6P, l'IRESEN et le GEP. Un des atouts majeurs du Maroc réside dans son modèle de gouvernance, reconnu aujourd’hui comme l'un des plus adaptés et efficaces à l'échelle internationale. Ce modèle, conçu dans le cadre de l'initiative "Offre Maroc Hydrogène", inclut tous les acteurs clés (ministères de l'Energie, de l'Investissement, de l'Equipement, de l'Industrie, de l'Intérieur, etc.) et est présidé par le chef du gouvernement. Il vise à soutenir le secteur privé dans la mise en œuvre de leurs projets, tout en assurant la mutualisation des infrastructures.
- Pourtant, les défis de cette filière ne sont pas suffisamment mis en exergue…
En effet, plusieurs défis persistent, notamment pour les développeurs, en raison de la complexité des projets qui intègrent divers éléments tels que des centrales solaires et/ou éoliennes, des unités de dessalement d’eau de mer, des électrolyseurs, ainsi que des installations de transformation et de stockage. Le défi principal demeure toutefois la disponibilité des électrolyseurs. Alors que le Maroc ambitionne d’installer plusieurs dizaines de milliers de mégawatts, la production mondiale actuelle d'électrolyseurs ne dépasse pas 25 GW, illustrant le classique dilemme de l’œuf et de la poule. Des obstacles subsistent également en ce qui concerne les réservoirs de stockage d'hydrogène et les infrastructures de transport.
Les développeurs désireux de produire du méthanol synthétique ou des carburants de synthèse (e-fuels) devront également élaborer de nouveaux modèles intégrés, leur permettant d’accéder à des sources de CO2 biogénique (biomasse, cimenterie fonctionnant à l’hydrogène…), une condition indispensable pour la production de ces dérivés de l’hydrogène pour répondre aux exigences des clients, particulièrement l'Union Européenne.
Du côté des infrastructures publiques, il sera crucial de développer les infrastructures portuaires, les réseaux de transport de gaz (pipelines et hydrogénoducs) ainsi que les capacités de stockage à grande échelle. Toutefois, avec les grands projets prévus au Maroc, il faudra attendre leur sélection et leur positionnement géographique pour faciliter la mise en place de ces infrastructures. Ces dernières pourront être développées dans le cadre de partenariats public-privé puisque la taille des projets permet de rentabiliser une grande partie des investissements.
Du côté des infrastructures publiques, il sera crucial de développer les infrastructures portuaires, les réseaux de transport de gaz (pipelines et hydrogénoducs) ainsi que les capacités de stockage à grande échelle. Toutefois, avec les grands projets prévus au Maroc, il faudra attendre leur sélection et leur positionnement géographique pour faciliter la mise en place de ces infrastructures. Ces dernières pourront être développées dans le cadre de partenariats public-privé puisque la taille des projets permet de rentabiliser une grande partie des investissements.
- Le développement de cette filière nécessite des quantités importantes d’eau. Dans un contexte de stress hydrique, le Maroc fait-il le bon choix ?
C’est une excellente question, et il est crucial de préciser que tous les projets liés à l'hydrogène vert au Maroc utiliseront exclusivement de l'eau de mer dessalée, sans affecter les nappes phréatiques ni l'eau potable. De plus, le coût du dessalement ne représente qu'environ 0,1 % du coût total de production de l'hydrogène vert. Cela signifie qu'il sera possible d'augmenter considérablement la capacité de dessalement (jusqu'à la doubler ou la tripler) sans altérer le modèle économique de ces projets intégrés.
Cette approche permettrait également de fournir de l'eau potable aux communautés locales, gratuitement ou à des prix compétitifs, créant ainsi des opportunités significatives pour le développement local. L'accès à l'eau potable ou à l'eau d'irrigation pourra ainsi bénéficier à des régions arides ou semi-arides, ce qui est un avantage non négligeable. En conclusion, le Maroc a fait un choix judicieux et stratégique pour ses projets d'hydrogène vert.
- Pour faire émerger l'écosystème marocain, certains analystes estiment que le Maroc mise principalement sur l’OCP comme client principal. Y a-t-il d’autres perspectives pour l’éventuelle offre marocaine ?
Le groupe OCP représente un atout stratégique pour le Maroc et la filière de l’hydrogène vert, en raison de son rôle clé en tant que consommateur d'ammoniac, un dérivé essentiel de l'hydrogène vert. Contrairement à d'autres pays qui doivent créer la demande en hydrogène à travers des processus longs et coûteux, comme la transition vers la mobilité à l'hydrogène nécessitant le remplacement des flottes de véhicules et la construction de stations de distribution onéreuses, le Maroc bénéficie déjà d'une application directe et prête à l'emploi. Il s'agit de remplacer l'ammoniac gris importé par de l'ammoniac décarboné, ce qui réduira également la dépendance du pays à ces importations.
Le Royaume mise non seulement sur cette filière pour satisfaire les besoins du groupe OCP, mais aussi pour l'exportation. Selon la feuille de route sur l'hydrogène vert, un tiers de la production d’ammoniac vert sera destiné à la consommation nationale, tandis que les deux tiers restants seront dédiés à l’exportation. De plus, les infrastructures existantes pour l’importation d’ammoniac peuvent être facilement adaptées pour permettre l’exportation d’ammoniac vert.
Prenons l'exemple de l'Allemagne, qui consomme plus de 37 TWh pour produire de l’ammoniac gris, de nombreuses industries allemandes sont déjà intéressées par l’importation d’ammoniac vert afin de décarboner leurs processus industriels. Ce secteur est appelé à évoluer, notamment avec les projets de recherche et développement en cours visant à utiliser l’ammoniac comme carburant maritime. Cela ouvrirait de nouvelles opportunités économiques majeures pour le Maroc.
Je suis convaincu qu’à moyen terme, le Maroc deviendra un hub mondial pour l’ammoniac vert. À plus long terme, les hydrogénoducs permettront d’exporter directement de l’hydrogène, répondant ainsi aux besoins croissants des secteurs européens du transport, de l’industrie et de l’énergie.
À mon humble avis, le développement de la filière du méthanol vert et des combustibles synthétiques au Maroc sera probablement plus limité en raison de la disponibilité restreinte de CO2 biogénique (CO2 provenant de la décomposition ou combustion de matières organiques renouvelables, qui s’intègre au cycle naturel du carbone, contrairement au CO2 fossile).
Prenons l'exemple de l'Allemagne, qui consomme plus de 37 TWh pour produire de l’ammoniac gris, de nombreuses industries allemandes sont déjà intéressées par l’importation d’ammoniac vert afin de décarboner leurs processus industriels. Ce secteur est appelé à évoluer, notamment avec les projets de recherche et développement en cours visant à utiliser l’ammoniac comme carburant maritime. Cela ouvrirait de nouvelles opportunités économiques majeures pour le Maroc.
Je suis convaincu qu’à moyen terme, le Maroc deviendra un hub mondial pour l’ammoniac vert. À plus long terme, les hydrogénoducs permettront d’exporter directement de l’hydrogène, répondant ainsi aux besoins croissants des secteurs européens du transport, de l’industrie et de l’énergie.
À mon humble avis, le développement de la filière du méthanol vert et des combustibles synthétiques au Maroc sera probablement plus limité en raison de la disponibilité restreinte de CO2 biogénique (CO2 provenant de la décomposition ou combustion de matières organiques renouvelables, qui s’intègre au cycle naturel du carbone, contrairement au CO2 fossile).
- Toujours dans le cadre des incitations, l’Offre Maroc prête une attention particulière au foncier. Comment évaluez-vous les mesures prises dans ce sens ? L’investissement du secteur privé est la clé pour la réussite de ce chantier. Le Maroc dispose-t-il de suffisamment d’incitations pour attirer les investisseurs ?
Le Maroc se positionne comme l'un des pays les plus prometteurs pour la production à grande échelle d’hydrogène vert et de ses dérivés, notamment grâce à l'initiative « Offre Maroc », qui garantit un accès transparent et efficace au foncier. De plus, l’initiative est soutenue par la charte de l’investissement, qui propose des incitations financières aux développeurs et investisseurs industriels, contribuant ainsi à la création de valeur ajoutée et à des emplois stables dans cette filière émergente et à fort potentiel.
La taille des projets à venir dans le secteur de l’hydrogène vert est un facteur clé. À moyen terme, les porteurs de projets préféreront naturellement s'approvisionner localement, ce qui constitue une opportunité considérable pour le développement du tissu industriel marocain et pour la création d’une chaîne de valeur nationale intégrée.