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Interview avec Fawzia Talout Meknassi : « Les Marocaines ont gagné leurs droits politiques et civils à travers différentes étapes historiques »


Rédigé par L'Opinion Samedi 8 Mars 2025

Nominée au Prix Nobel de la paix en 2005, FaouziaTalout Meknassi, autrice de « Brises et vents, Marocaines engagées », retrace plus d'un siècle de luttes et d'émancipation des femmes marocaines. À l'occasion du 8 mars, elle nous dévoile les coulisses de cet ouvrage et dresse un bilan des droits des femmes au Maroc.



  • Votre ouvrage, « Brises et vents, Marocaines engagées », retrace plus d'un siècle de luttes et d'émancipation des femmes marocaines. Quelle a été la genèse de ce projet ?

À l'origine, le projet consistait à publier un livre sur des femmes marocaines de la génération précédente. Une fois ce travail terminé, j'ai entamé des recherches pour rédiger l'introduction. C'est au cours de ces investigations que j'ai découvert l'histoire du mouvement Akhawat Essafa. J'ai été absolument fascinée par ces femmes marocaines qui, dès 1946, revendiquaient des changements que nous continuons à défendre aujourd’hui. Ce qui m'a le plus marquée, c'est qu'elles bénéficiaient du soutien du mouvement national et de l'université Al Quaraouiyine. Ce fut un véritable déclic, j'ai alors décidé de consacrer la première partie du livre à l’histoire du mouvement féminin marocain et aux événements marquants ayant jalonné la lutte pour l’émancipation des femmes dans notre pays.
 
  • Comment avez-vous sélectionné les figures féminines dont vous dressez les portraits dans votre livre ?

Je voulais rendre un hommage à des femmes que j’ai connues et avec lesquelles j’ai partagé à un moment donné des choses. Chaque portrait s'accompagne d'une justification personnelle où j'y explique les liens qui m'ont unie à ces femmes et le contexte de nos rencontres. J'ai eu la chance de croiser le chemin de femmes inspirantes, remarquables, et parfois même essentielles pour leur époque. Elles m'ont chacune apporté quelque chose d'unique. Certaines m'ont accompagnée dans des périodes charnières de ma vie. Je ne prétends évidemment pas que ce sont les seules femmes marocaines dignes d'hommage. Mon choix est assumé, même s'il peut sembler subjectif, il repose avant tout sur mes convictions et mon vécu.
 
  • En parcourant ces récits inspirants, quelles leçons la société marocaine pourrait-elle tirer aujourd'hui ?

Il faut d’abord réaliser que le mouvement des femmes du Maroc n’est pas récent, mais date de 1946. Presque toutes les femmes citées dans le livre ont joué un rôle majeur dans la lutte pour l'indépendance du Maroc et ont contribué à la construction et au développement du pays. Ce qui force l’admiration, c'est qu'elles l'ont fait sans réseaux sociaux, sans médias, dans une discrétion absolue. Il est souvent difficile de trouver des documents relatant leurs parcours. Nous devons leur témoigner de la reconnaissance pour leur rôle dans l'amélioration des conditions sociales, économiques, professionnelles et juridiques des femmes marocaines.

À travers chaque profil, j'ai mis en lumière les causes qu'elles ont défendues : l'éducation, l'âge du mariage, le droit, la polygamie, le viol conjugal, le désenclavement des zones rurales, ou encore l'accès aux métiers exclusivement masculins. Presque toutes étaient des pionnières dans leur domaine. Pour moi, 1946 marque le début effectif du mouvement féminin moderne au Maroc. Puis il y a eu le 9 avril 1947, lorsque la Princesse Lalla Aïcha, vêtue à l’occidentale et tête découverte, prononça son discours historique à Tanger, envoyant un message puissant sur les droits des femmes et leur rôle dans la lutte contre le protectorat. 1955 constitue également un tournant, lorsque Feu Sa Majesté le Roi Mohammed V approuva le droit de vote des femmes, à la suite d'une motion présentée par Feue Lalla Malika El Fassi.
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  • Bien que le choix soit difficile, y a-t-il des parcours qui vous ont particulièrement marquée et pourquoi ?

Il est effectivement difficile de choisir, car si j'ai décidé de raconter leur histoire, c'est justement parce qu'elles m'ont profondément marquée. Certaines de ces femmes, je ne les ai pas revues depuis des années, et pourtant leur souvenir reste vivace. Si je devais en citer quelques-unes, je mentionnerais Son Altesse la Princesse Lalla Fatema Zohra et Fatima Mernissi, que Dieu ait leur âme, ainsi que Lalla Aïcha Alaoui Terrab, à qui je souhaite une longue vie. Ces relations étaient empreintes d'affection et d'admiration, et ces femmes ont laissé une empreinte indélébile dans mon cœur et dans l'histoire.
 
  • Avec le recul, quels vous semblent être les principaux acquis du Maroc en matière de droits des femmes ?

Incontestablement, ce siècle a été pour les femmes du Maroc un siècle où elles ont pu améliorer leurs conditions sociales et faire aboutir un nombre important de leurs revendications ; d’aucuns ne peuvent nier les progrès réalisés dans le domaine de l’émancipation ou l’autonomisation des femmes. La condition de la femme marocaine a connu dans sa globalité des progrès assez significatifs. Plus encore, le Maroc a, en général, enregistré, durant les vingt-cinq ans de règne de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, des avancées majeures au niveau des cadres normatif, institutionnel et législatif relatifs à la protection et à la promotion des droits de l’Homme et des droits humains des femmes. La réforme du code de la famille, qui est entrée en vigueur en février 2003, a marqué un tournant historique dans la législation marocaine en matière de droits des femmes . La Constitution adoptée le 1er juillet 2011 a consacré la reconnaissance du principe de l’égalité entre les femmes et les hommes et l’engagement de le respecter. Cette consécration de l'égalité entre les hommes et les femmes est inscrite sans ambiguïté par l’article 19 de la Constitution. Ce dernier met l’émancipation de la femme au plus haut niveau de la hiérarchie des normes du droit national. Il se conforme ainsi au dispositif normatif international des Droits de l’Homme. Par ailleurs, le Maroc a ratifié plusieurs conventions internationales pour la protection des droits des femmes, notamment la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). Il a aussi procédé à la levée de toutes les réserves concernant la CEDAW et celles se rapportant au Pacte des droits économiques et sociaux. 

De ce fait, il est légitime pour toute femme marocaine d’être fière de ce qu’elle a pu atteindre grâce à sa participation effective pour faire avancer le principe de l’égalité homme-femme. Toutes les femmes, quelle que soit leur position, rurale ou citadine, cultivée ou illettrée, ont contribué à leur manière et selon leurs moyens à la construction de cet édifice. 

Les Marocaines ont ainsi gagné leurs droits politiques et civils à travers différentes étapes historiques. Quatre-vingt ans de combat et de persévérance à toute épreuve, leur ont permis de forger leur place dans la société. Ces acquis se sont certainement consolidés grâce au militantisme de la société civile, mais aussi grâce à la volonté et à l’engagement de Sa Majesté le Roi Mohammed VI qui, depuis son accession au trône, accorde une attention particulière au processus de modernisation du statut de la femme. 
 
  • Enfin, selon vous, quels défis restent encore à relever pour une égalité pleine et entière ?

Malgré la mise à niveau de l’arsenal juridique, de nombreux défis demeurent. La question des droits des femmes est une problématique nationale au même titre que l'éducation, la santé, la justice ou la lutte contre la corruption. Si les lois sont bien en place, leur application concrète dans la société pose encore problème. Il est essentiel de mesurer l'impact réel de ces réformes sur le quotidien des Marocaines. Si les instruments juridiques de renforcement de l’émancipation de la femme marocaine sont au plus haut niveau de la hiérarchie des normes du droit, qu’en est-il de la réalité ?  En fait, ces instruments n’ont de sens qu’en mesurant leur impact sur la société. La publication du rapport du Haut-Commissariat au plan (HCP) avec ses différents chiffres, fournit un éclairage sur la portée réelle de toutes ces réformes sur la société marocaine. L’analyse de ces résultats pour l’année 2018 est pour le moins mitigée. A la lecture de ce rapport, on est en droit de se poser la question si la société marocaine reconnaît réellement les capacités et les compétences des femmes aussi bien dans la sphère privée qu’au niveau des institutions ? Est-ce que les femmes ont vraiment leur place dans la sphère politique ? Quelle chance et quelle crédibilité les partis politiques accordent-ils aux femmes ? En 1946, les femmes du mouvement Akhawat Essafa avaient réussi à rallier le mouvement nationaliste et l'université Al Quaraouiyine à leur lutte. Ce soutien fait aujourd'hui cruellement défaut. Sans l'adhésion et l'implication des hommes, notre voix reste incomplète. Nous devons les convaincre que l'égalité et la justice ne sont pas des combats féminins, mais des valeurs fondamentales pour la construction d'un Maroc plus juste et équitable pour tous.







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