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Culture

Interview avec Kleber Mendonça Filho : « Malgré les plateformes, le cinéma reste un temple revisité par les fidèles »


Rédigé par Yassine ELALAMI le Mercredi 3 Janvier 2024

Le réalisateur brésilien Kleber Mendonça Filho offre une expérience cinématographique virtuose à travers son dernier documentaire « Portraits Fantômes », explorant les rues familières de sa ville natale, Recife. Cette métropole a été le théâtre des premiers succès cinématographiques de Mendonça Filho, aussi bien dans le format court que dans celui des longs métrages. Interview.



  • Vous avez parcouru un long chemin avec votre film, établissant ainsi une connexion avec la mémoire locale à chaque étape. Comment avez-vous ressenti cette résonance avec les différentes communautés lors de vos projections ?
     
- Cela a été une expérience extraordinaire de parcourir le monde avec mon film au cours des sept derniers mois. À chaque projection, le film a réussi à établir une connexion profonde avec la mémoire locale. Chaque ville a son Histoire unique avec le cinéma, et je ressens que mon film a réussi à susciter un attachement à la mémoire humaine dans tous les endroits qu'il a visités.
 
J'ai eu le privilège de venir au Maroc, à Marrakech, en tant que membre du jury du Festival international du film de Marrakech, une expérience enrichissante où j'ai eu le plaisir de visionner des films de la région. Les œuvres réalisées par des jeunes cinéastes ont particulièrement attiré mon attention, provoquant des réflexions sur mon propre pays, le Brésil, où une nouvelle génération de cinéastes prometteurs émerge, également avec des perspectives passionnantes.
 
En novembre, je suis retourné à Marrakech, cette fois pour présenter mon documentaire. J'ai reçu de nombreux messages après la projection de personnes ayant regardé le film. Mais même pendant la projection, je pouvais percevoir dans les yeux des spectateurs une lueur de la nostalgie, la nostalgie du cinéma.
 
  • Pensez-vous que le cinéma continue à exercer une fascination sur les esprits malgré la prolifération des plateformes de streaming ? 

- Nous parlons tous la même langue, la langue du cinéma. Même avec l’émergence des plateformes, telles que Netflix, cette salle nocturne reste un temple revisité par les fidèles. Le cinéma assure une part fondamentale de la mémoire humaine, car il parle de notre relation avec les images, par voie de conséquence, de notre imagination.
 
  • Comment le processus créatif a-t-il donné naissance à « Portraits Fantômes » ?
     
- Le cheminement créatif derrière « Portraits Fantômes » a été plutôt spontané. Contrairement à la perception commune, selon laquelle les films sont minutieusement planifiés, ce projet n'était pas à l'origine dans mes plans. J'avais conservé des archives sous  forme de cassettes pendant près de 30 ans, sans avoir une idée précise de leur utilisation future. Pendant que je travaillais simultanément sur « Aquarius » et « Bacurau », ce dernier initialement conçu comme une série télévisée, je n'étais pas à l'aise avec le format sériel.
 
Deux événements clés ont influencé la direction de ce projet. D'une part, mes pensées se tournaient beaucoup vers les salles de cinéma, et, d'autre part, notre déménagement et l'abandon de notre appartement ont suscité en moi une certaine nostalgie.
 
Cet appartement avait été le lieu de résidence pendant de nombreuses années et avait servi de décor à plusieurs de mes films, des petits films familiaux aux courts métrages primitifs en passant par des moments de fête avec des amis. Mes enfants y étaient également nés. L'idée de réaliser un film sur cet espace a émergé, se liant naturellement à ma réflexion sur les salles de cinéma.
 
En parallèle, travaillant sur le scénario de mon prochain long-métrage, « L'Agent secret », en 1977, les recherches pour ce film ont alimenté en informations le projet « Portraits Fantômes ». Le montage de ce dernier a ensuite renforcé mon énergie pour finaliser le scénario de « L'Agent secret ».
 
Ainsi, une série d'incidents fortuits a conduit à la création de « Portraits Fantômes ». Même la pandémie de Covid-19 a eu un impact, me fournissant le temps nécessaire pour examiner attentivement ces archives. J'ai personnellement numérisé toutes les cassettes et scanné les photos des négatifs.
 
Il n'y avait aucune stratégie derrière le choix de réaliser ce film après « Bacurau ». Il est simplement devenu le film qu'il est aujourd'hui, et je suis satisfait du résultat.

  • En quoi les images en mouvement peuvent-elles servir de témoignages visuels précieux pour documenter l'Histoire urbaine ?
     
- Les villes, en perpétuelle évolution, sont comme des livres ouverts, chacune offrant plusieurs pages qui documentent leur Histoire à travers les époques. Chaque page de cette chronique urbaine raconte une ère particulière, et cette réalité s'applique à toutes les villes du monde. Le cinéma, en tant que puissant moyen de documentation, joue un rôle essentiel dans la préservation de ces pages vivantes.
 
À travers le prisme cinématographique, les réalisateurs capturent l'essence des villes, immortalisant les moments significatifs et les transformations qui jalonnent leur parcours. Les rues animées, les architectures emblématiques et les visages des habitants deviennent des témoins visuels d'une époque révolue. Le cinéma offre une fenêtre sur le passé, permettant aux spectateurs de voyager dans le temps et de vivre l'Histoire des villes à travers les images en mouvement.
 
Chaque film devient ainsi une page tournée de l'Histoire urbaine, documentant les coutumes, les défis, les triomphes et les métamorphoses qui sculptent le caractère d'une ville. De Paris à Tokyo, de Recife à Marrakech, le cinéma devient un précieux archiviste visuel, préservant le patrimoine culturel et social des cités à travers les générations.
 
Cette relation intime entre les cités et le cinéma crée un dialogue intemporel, où les images capturées sur pellicule deviennent des fragments d'une mémoire collective. Les réalisateurs, en explorant les rues et les quartiers, dévoilent les couches successives de l'Histoire urbaine, tissant un récit visuel qui transcende les frontières temporelles.
 
Ainsi, le film devient un miroir réfléchissant la vitalité changeante des villes, permettant aux générations actuelles et futures de se connecter avec le passé, de comprendre le présent et d'anticiper l'avenir à travers la lentille magique du cinéma.

«Portraits Fantômes» : Une odyssée cinématographique à travers les rues de Recife

Le dernier documentaire du réalisateur brésilien Kleber Mendonça Filho offre un voyage multidimensionnel à travers la ville de Recife, capitale brésilienne de Pernambuco, explorant ses facettes à travers le prisme du temps, du cinéma, du son, de l’architecture et de l’urbanisme. Cette visite impressionniste combine archives, fiction, extraits de films et souvenirs personnels pour créer une cartographie de la ville et rendre hommage à la salle de cinéma. Cette dernière, tout au long du XXème siècle, a été un lieu de convivialité, un réceptacle des rêves, des espoirs et des émotions. Au cours de cette déambulation ludique, individus et personnages, lieux et décors, paroles et dialogues se confondent harmonieusement.

Pour Kleber, il s’agit d’un film qui prend la forme de chaque ville où il est projeté. « Nous étions en voyage avec le film ça fait presque 6 mois, et à chaque fois le film se trouve en connexion avec l’Histoire locale de la ville. Le documentaire a pu aboutir à une forme d’attachement à la mémoire humaine dans tous les endroits qu’il a visités », explique Kleber.

Il ajoute que « Les villes changent à travers le temps, qui leur offre plusieurs pages documentant leur Histoire. Chaque page raconte une ère, et c’est le cas pour toutes les villes du monde. Le film reflète cette relation entre les cités et le cinéma comme moyen de documentation ».



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