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Interview avec M. Benabdelkader, ministre de la Justice : le choix gagnant des peines alternatives


Rédigé par Anass MACHLOUKH Lundi 11 Janvier 2021

Le ministre de la Justice et des libertés Mohammed Benabdelkader nous a livré les détails du projet de loi de réforme du code et de la procédure pénale qui introduira les peines alternatives.



 Interview avec M. Benabdelkader, ministre de la Justice : le choix gagnant des peines alternatives
Pour la première fois au Maroc, le système judiciaire aura la possibilité d’appliquer des peines alternatives à l’emprisonnement avec de nouvelles mesures punitives tels que la surveillance par bracelet électronique et les travaux d’intérêts général. Une réforme attendue par plusieurs avocats et magistrats avec lesquels nous nous sommes entretenus dans un article précédent réservé à ce sujet. Afin de disséquer davantage les zones d’ombre de cette réforme profonde de la philosophie même de la justice dans notre pays, Mohammed Benabdelkader, ministre de le Justice et porteur de cette réforme, s’est confié à « L’Opinion » sur les détails de ce projet de loi, qui est soumis à l’examen législatif.

- Votre ministère veut introduire de nouvelles peines alternatives à la réclusion dans la réforme de la procédure du code pénal, mis à part l’enjeu du surpeuplement des prisons, existe-t-il d’autres motivations qui vous ont poussé à esquisser ce projet de loi ?
- Avant tout, il y a lieu de souligner que le sujet de réforme du code pénal a fait l’objet d’un projet qui a été présenté, au début, par le premier gouvernement présidé par M. Benkirane ; ce projet contient 80 articles qui ont été choisis parmi le projet intégral préparé auparavant par le ministère de la Justice en concertation avec ses différents partenaires. L’introduction de ces peines en droit pénal marocain a été recommandée à plusieurs  reprises par une élite de femmes et d’hommes du monde juridique et des droits de l’Homme intéressés par le sujet, et ce, pour la réalisation d’une meilleure réinsertion sociale des détenus.

- Le projet de loi veut instaurer le placement sous surveillance électronique par bracelet, s’agit-il d’une nouvelle forme d’assignation à résidence ?
- On doit, tout d’abord, faire la distinction entre la résidence obligatoire prévue par le  code pénal actuel et le placement sous surveillance électronique, puisqu’il s’agit de deux notions tout à fait différentes. La résidence obligatoire constitue une peine principale et ne se prononce par les tribunaux que pour des infractions bien déterminées, alors que le placement sous surveillance électronique prévu par le projet du code de procédure pénale est une mesure octroyée aux juges d’instruction en tant qu’alternatives à la détention provisoire. Ajoutons à cela que, contrairement à la peine de résidence obligatoire, la surveillance électronique permet au condamné de se déplacer dans un périmètre déterminé par le jugement.

- Les peines alternatives seront appliquées pour quel genre de crimes ou délits exactement ?
- Les peines alternatives seront réservées aux coupables de délits punis d’une peine  privative de liberté dont la durée ne dépasse pas deux ans, ce choix est justifié par la philosophie même de ces peines qui sont appliquées, dans tous les systèmes juridiques, comme réponse pénale aux infractions les plus simples. Aussi, en se référant aux données statistiques, on trouve que les personnes condamnées d’emprisonnement et dont la durée ne dépasse pas 2 ans présentent 49% de la population carcérale. En outre, et en vertu de l’article 35.3, les peines alternatives ne peuvent être appliquées si le coupable est accusé de détournement de fonds, de corruption ou d’abus de pouvoir, trafic de drogues et de psychotropes, trafic d’organes et exploitation sexuelle de mineurs. Soulignons que le législateur marocain, et à travers le principe de l’individualisation des peines, octroie aux juges un pouvoir d’appréciation souverain pour l’application des peines alternatives selon la nature de l’infraction et la personne du condamné.

- Le texte de loi ne définit pas encore les formes des travaux d’intérêt général, vous en avez prévu des exemples précis ?
- Sur ce point, un texte réglementaire serait élaboré éventuellement pour préciser la liste desdits travaux et le processus de leur exécution. En général,  l’article 35.7 du projet de code pénal précise que le travail d’utilité publique se fera au profit d’une personne morale ou d’une association à titre gracieux. Sa durée varie entre 40 et 600 heures, et est délimitée en fonction de la durée d’emprisonnement à laquelle le coupable a été initialement condamné. Chaque jour d’emprisonnement se verra substitué par deux heures de travaux d’intérêt général, sans dépasser 600 heures de travail au maximum.

- Avez-vous effectué des concertations avec les corporations d’avocats et de magistrats, sont-ils réceptifs à l’idée d’introduire de nouvelles peines non privatives de liberté compte tenu qu’ils sont les premiers concernés par cette réforme ?
- Le sujet des peines alternatives est un sujet à la fois ancien et nouveau au Maroc. Il a  été traité par les magistrats et les avocats à diverses occasions, surtout dans la conférence d’Ifrane de 2000 qui a été organisée en collaboration avec l’organisation de réforme pénale internationale, la rencontre de Meknès sur la politique pénale au Maroc en 2004, et dans le dialogue national pour la réforme du secteur de la justice. Et durant toutes ces occasions, les professionnels de la justice étaient tous unanimes sur la nécessité d’adopter les peines alternatives aux peines privatives de liberté afin de soulager les prisons du fardeau du surpeuplement.

- Vous avez parlé d’une commission chargée d’approfondir le débat sur cette réforme, pouvez- vous nous en parler davantage et précisément sur son apport et sur ses conclusions ?
- Dans le cadre de l’approche participative adoptée par le ministère de la Justice, ce dernier a entamé des discussions approfondies avec tous les secteurs concernés, et par conséquent nous avons créé une commission chargée de mettre en oeuvre une vision globale pour l’application des peines alternatives, dont la composition comprend tous les intervenants concernés par l’élaboration et l’exécution de la politique pénale (magistrats, avocats, professeurs universitaires et d’autres intervenants). De même, le projet de procédure pénale prévoit la création d’une commission nationale qui serait chargée de l’exécution des peines alternatives.

- La société civile risque de réagir négativement à cet assouplissement de la procédure pénale comme tenu de la violence que connaît la société et les demandes de plus de rigueur dans les sanctions ? Êtes-vous d’accord avec ce constat ?
- Je ne suis pas d’accord avec ce constat pour deux raisons. La première est que ces peines alternatives que nous voulons introduire seront réservées uniquement aux coupables de délits punis d’une peine privative de liberté de courte durée, c’est-à- dire pour les infractions qui ne présentent pas de grand danger pour la société. Et leur application reste tributaire du pouvoir d’appréciation souverain du juge pénal. Deuxièmement, même la société civile reconnaît que la politique actuelle basée sur la détention a échoué de contrecarrer le phénomène criminel. Le nombre de détenus dans les prisons marocaines pose une question inquiétante quant à l’évolution future de la situation. Les établissements pénitentiaires ont dépassé leur capacité d’hébergement face aux vagues de détenus affluant chaque jour. Ce qui complique davantage la situation est que la grande majorité des nouveaux détenus est condamnée à de courtes peines, ne dépassant pas 2 ans dans la plupart  des cas.

- Beaucoup d’observateurs estiment que le vote de cette loi n’aura lieu qu’après 2021, vous en convenez ?
- Après plusieurs stades de discussions approfondies autour de cette réforme, le projet de loi précité est entre les mains de la Chambre des Représentants. La discussion générale du texte au sein de la Commission de justice, de législation et des droits de l’Homme est achevée. Et c’est à l’institution parlementaire qu’incombe, actuellement, la tâche d’accélérer le processus d’adoption du texte vu les compétences qu’elle a en matière d’adoption des textes législatifs.
Recueillis par Anass MACHLOUKH

Encadré

Procédure pénale :  Changer la philosophie de la Justice marocaine
Introduire des peines alternatives veut dire opérer un changement majeur dans la philosophie même de la Justice marocaine. Celle-ci est très imprégnée de la logique de l’incarcération comme seul moyen de dissuasion, elle a clairement échoué compte tenu de l’inefficacité de la dissuasion et la montée de la criminalité et de la violence dans la société. Certains parlent même d’  « humanisation » ou d’assouplissement du Code pénal. Cette réforme pourrait satisfaire les attentes de beaucoup d’avocats qui ont dénoncé l’enracinement du réflexe de l’incarcération dans le système judiciaire marocain. 

D’autres estiment que la détention est la règle pour de nombreux juges d’instruction même dans les cas de garde à vue ou de détention provisoire. Le placement sous surveillance électronique va encourager les juges à recourir davantage à la poursuite en état de liberté durant la phase d’enquête ou de procès pour certains délits ou crimes dont les auteurs ne représentent aucun danger. Des experts en droit pénal, tel que Mohammed Bouzlafa, doyen de la Faculté de droit à l’université Mohammed Benabdellah à Fès, estiment qu’il est préférable que la poursuite en état de liberté dure jusqu’au verdict de la Cour d’appel au lieu du jugement de première instance.

La mise en place des peines de travail d’intérêt général serait plus utile à la réinsertion que l’emprisonnement, selon plusieurs experts. Encore faut-il fournir des efforts exceptionnels en matière de formation des juges et d’assistants sociaux pour l’application des nouvelles peines non-privatives de liberté. Des organisations, telle que l’Union Européenne, sont disposées à assister le Royaume en la matière.

A. M.








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