Sur trois jours, il dit attendre 15.000 personnes à Anfa Park et plus de 60.000 sur la scène BMCI. Ph. Sife El Amine.
- 15e édition, année du come-back, qu’est-ce qui continue à vous animer?
- Organiser Jazzablanca est un mélange de challenge, de risque mais aussi de fierté. Chaque édition est un nouveau sommet à gravir et comme je suis ambitieux pour le festival et pour ma ville, je mets la barre toujours plus haut. Lorsqu’on vous nomme ambassadeur de Casablanca, vous avez l’impression que vous n’avez pas fait ça pour rien. Que la réussite de Jazzablanca soit un modèle culturel et économique à dupliquer dans d’autres villes ! C’est un mélange de fidélité, de résilience, d’équilibre entre payant-gratuit, entre riches et moins bien gâtés.
On a tellement de choses à prouver aux gouvernements qui se succèdent pour qu’ils investissent le champ culturel. Je rêve d’ouvrir des salles dédiées aux jeunes talents qui n’ont pas de lieux pour se produire tous les jours, d’un lieu également pour accueillir les stars marocaines et internationales qui ne font pas de Casablanca une plateforme pour leurs tournées. Il faut donc que Jazzablanca réussisse pour continuer à investir ce champ culturel.
Il faudrait créer un département ministériel incluant la Culture et le Tourisme. »
- Comment se goupille une programmation qui évolue autour du jazz ?
- Je pense que chaque programmateur est bercé par sa propre éducation musicale, sa curiosité mais surtout par l’expérience live qu’il veut offrir à son public. Vous préparez des listes suivant les écoutes de l’année, des années précédentes, des artistes que vous auriez bien aimé présenter au public. Il y a aussi le timing, la disponibilité des artistes, la maturité de votre audience. J’agis énormément sur l’expérience. Je travaille de concert avec Cyril Foucault, notre directeur artistique. Nos envies et nos goûts sont tellement différents, mais notre critère principal est ce que l’artiste peut apporter comme expérience live.
Les gens savent qu’à Jazzablanca, il n’y a pas que la musique, il y a aussi une atmosphère, une ambiance, des saveurs, des rencontres et surtout des découvertes. Nous les invitons à venir le découvrir encore une fois du 1er au 3 juillet.
- Des années d’acharnement, qu’en retenez-vous ?
- Ma seule limite est le Covid et les événements naturels contre lesquels on ne peut rien. J’ai appris à mieux me connaître. Quand on va au bout de soi-même, c’est le moment où l’on se découvre. On a connu des grands échecs financiers mais un retour du public, des partenaires, des pros de notre secteur nous poussent à trouver les solutions. Plus on grandit, plus on trouve notre équilibre financier.
Enfin, notre secteur a beaucoup souffert durant cette pandémie et on se rend compte que c’est une économie très fragile qui a besoin d’énormément de soutien institutionnel pour la pérenniser, au niveau des lois, de la fiscalité, des infrastructures, de l’école et de l’éducation à l’art. C’est un secteur qui a besoin de subventions intelligentes pour réellement décoller. Les villes et les CRT doivent s’approprier ce champ essentiel de la vie qu’est la Culture. Il faudrait peut-être créer un seul département ministériel incluant la culture et le tourisme pour mettre en avant notre patrimoine et notre diversité culturelle et mieux le vendre aux Marocains et aux étrangers.
Je pense que chaque programmateur est bercé par sa propre éducation musicale. »
- Quels sont les moments forts de cette aventure jusqu’à aujourd’hui?
-La signature de la cession de la marque Jazzablanca avec mon prédécesseur. Je n’aurais jamais pensé organiser un festival et encore moins un festival de jazz. Si j’avais su dans quoi je m’embarquais… Mais si c’était à refaire, je le referais sans aucune hésitation. La signature avec la Fondation BMCI qui est devenue le sponsor officiel de Jazzablanca dès la deuxième édition. S’ils ne m’avaient pas fait confiance, j’aurais sans doute arrêté. 10 ans plus tard, ils sont encore là.
-Il y a eu beaucoup de rencontres et de doutes. Je pense à une de mes premières têtes d’affiche : Vaya Con Dios. Une semaine avant le concert, le taux de remplissage était de moins de 10%, deux heures avant le concert, les gens m’appelaient parce qu’ils ne trouvaient pas de places. J’ai cru qu’il y avait une erreur technique, mais en fait on était complet. C’était un grand soulagement.
-En 2018, j’ai invité Roberto Fonseca, et je voulais faire plaisir aux gens en embarquant deux trombonistes de Cuba qui n’étaient pas dans la tournée de l’artiste. Ils devaient arriver le matin du concert et ce jour-là, Air France entamait sa plus longue grève : 14 jours. Il y avait un vol qui décollait quelques heures plus tard sur une autre compagnie avec une arrivée à 20h30 à Casablanca. Les 2 billets coûtaient 150.000 DH.
Le concert était prévu à 21h00 à l’hippodrome d’Anfa. Je devais tenir en attente le public jusqu’à 21h30 en espérant qu’il n’y ait pas d’autres « complications ». Ils sont arrivés à 21h30, se s’ont changés dans la voiture et sont montés directement sur scène. Le concert était énorme. Le public en redemandait. J’ai perdu quelques kilos Jazzablanca, est mon régime annuel.
Notre budget cette année est de 15 millions de dirhams
- Vous faites du jazz -mouvement musical qui prend ses racines dans le blues- un rendez-vous de luxe. Comment voyez-vous sa réelle démocratisation au Maroc ?
- Nos VIP représentent moins de 4% du public global. Nous offrons une scène publique aux Casablancais, ce qui représente la grande majorité de l’affluence. Pour une entreprise privée, c’est un acte citoyen.
- Faire venir cette année Gilberto Gil -icône et légende vivante-, c’est à donner des frissons…
Patti Smith et Chick Corea auparavant, Gilberto Gil cette année, on aime faire découvrir aux Marocains des légendes vivantes qui ne sont pas forcément connues du grand public ici, et ce malgré leurs incroyables carrières. On pourrait sombrer dans la facilité des têtes d’affiches, mais on préfère créer un mélange de jeunes talents, de musiciens talentueux, et de légendes inconnues. On ne se prend pas la tête, on fait ce qu’on aime et ce qu’on pense que les Marocains vont aimer. Et si les Marocains aiment, le monde entier peut aimer.
- Vous avez repris les commandes de Tanjazz. Des nouvelles ?
- On y travaille. On va garder l’esprit de Tanjazz au sein du Palais des Institutions Italiennes et essayer d’y apporter notre touche en termes d’organisation, tout en respectant le travail fantastique de Philippe Lorin (ancien détenteur de la marque, ndlr). La programmation sera annoncée prochainement, juste après Jazzablanca. On y retrouvera de belles signatures Jazz, des rythmes latins mais pas que, des découvertes au coeur du Palais, et on espère nous étaler dans la ville.
- Ne seriez-vous pas un peu fou ?
- Sûrement (rires).
- Enfin, pouvons-nous parler budget ?
- Le budget de cette édition est supérieur à notre dernière édition, bien qu’il soit condensé sur 3 jours. Le budget artistique a été sensiblement relevé.
Pour vous donner un ordre d’idée, nous attendons 15.000 personnes à Anfa Park et plus de 60.000 sur la scène BMCI, pour un budget de 15 millions de dirhams HT, soit un budget de 1000 DH HT par place. Les places sont en vente à 400 DH HT. C’est grâce à ces 4% de VIP que nous pouvons offrir des places accessibles et des concerts gratuits, et donc, d’assurer notre rôle citoyen.
Propos recueillis par
Anis HAJJAM