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Interview avec Professeur Rachid Yazami : « Les premiers produits utilisant mon invention seront les motos électriques »


Rédigé par Safaa KSAANI Samedi 8 Février 2025

Un Brevet chinois s’ajoute à une longue liste de distinctions pour Rachid Yazami, dont plusieurs autres au Japon, aux États-Unis et en Europe. Son invention réduit considérablement le temps de charge tout en préservant la durée de vie de la batterie. Interview avec cet inventeur marocain, de renommée mondiale, qui contribue à faire avancer la science et la technologie.



  • Vous avez obtenu récemment un Brevet en Chine pour un chargeur rapide de batteries au lithium. Une invention qui s’inscrit dans les efforts mondiaux pour améliorer l’efficacité et la durabilité des batteries… Quel est votre sentiment de voir votre travail reconnu par des Brevets dans des pays aussi importants comme le Japon et la Chine ?

En fait, ce Brevet résume les travaux de recherche que j’ai menés ici à Singapour. En 2018, j’ai déposé des demandes de Brevets dans cinq régions : l’Europe, les États-Unis, la Chine, le Japon et la Corée. Tous ces pays ont accordé le Brevet, la Chine étant la dernière à le faire.

Pour moi, c’est une reconnaissance de notre travail par le bureau des brevets chinois. C’est toujours très positif. Je suis content car cette invention est protégée en Chine, ce qui est important car les entreprises chinoises ont parfois tendance à contourner ou copier les brevets. Avoir un Brevet en Chine me permet de les poursuivre en cas de contrefaçon. J’ai donc des droits intellectuels dans ce pays. En Europe, cela couvre les 27, y compris le Royaume-Uni. Aux États-Unis, la protection s’étend aux 50 États. Et la Chine, c’est un marché immense.

Je suis satisfait car ce processus a été long et complexe. Chaque bureau de brevet national désigne des examinateurs qui analysent la demande et peuvent refuser certaines revendications. Il y a eu de nombreux échanges avec le bureau chinois, mais nous avons finalement obtenu ce brevet grâce à des arguments solides.
 
  • A quel point ce Brevet pourrait-il révolutionner le domaine des voitures électriques ?

Le Brevet de la charge rapide concerne essentiellement les voitures électriques du futur. L’objectif est de réduire au maximum le temps de recharge de la batterie. Aujourd’hui, il n’existe aucune technologie permettant de charger une batterie aussi rapidement, en 10 minutes par exemple, et offrant une autonomie d’au moins 600 kilomètres. Nous sommes dans une phase de transition entre les voitures thermiques et électriques. Pour inciter les clients à acheter des voitures électriques, il est essentiel qu’ils y trouvent un avantage par rapport aux voitures thermiques. La possibilité de charger rapidement est un argument de poids.
 
  • Au-delà des voitures électriques, quels sont les autres domaines où votre invention pourrait avoir un impact significatif ?

Tout ce qui est mobile. Cela concerne non seulement les voitures, mais aussi les camions, les autobus, les bateaux, les avions électriques (qui arriveront bientôt), etc.

Tout ce qui est alimenté par une batterie peut bénéficier de notre technologie de charge rapide. Cela inclut également l’électronique mobile comme les téléphones portables, les tablettes, les outils électriques (perceuses, tondeuses, etc.), les robots, etc.
 
  • Quels sont les défis techniques ou économiques que vous avez rencontrés pour intégrer votre technologie dans les batteries de véhicules électriques et pensez-vous que cela pourrait être une réalité ?

Il s’agit d’une technologie de rupture. Actuellement, la méthode de charge utilisée est basée sur le courant constant. Le chargeur applique un courant constant à la batterie, ce qui fonctionne si l’on a suffisamment de temps (plus d’une heure pour un téléphone portable).

Notre méthode, basée sur une technologie de voltamétrie non linéaire, n’utilise pas un courant constant. Le courant s’adapte à ce que la batterie peut accepter à chaque instant. C’est une charge naturelle.

Imaginez un athlète qui court : sa vitesse s’adapte à la difficulté du terrain. Imposer une vitesse constante (courant constant) peut entraîner un épuisement, voire un accident. Notre méthode évite que la batterie ne s’emballe thermiquement, ce qui est un défi technique majeur.

Sur le plan économique, il n’y a pas de défis particuliers. Cependant, il faut être patient car le processus entre l’invention et la commercialisation est long. Nous avons des partenaires industriels (fabricants de batteries, de voitures électriques, de chargeurs) avec qui nous travaillons pour transférer notre technologie.

Nous prévoyons de fabriquer des chargeurs pour le marché de l’Asie du Sud-Est, où les motos électriques sont en plein essor. Je pense que les premiers produits utilisant mon invention seront les motos électriques. Celles-ci seront commercialisées dès cette année si tout va bien. Pour les voitures électriques, il faudra probablement attendre 2026 ou 2027.
 
  • Le Maroc se positionne de plus en plus dans le domaine des énergies renouvelables. Comment votre travail pourrait-il contribuer à renforcer cette position et à créer des synergies avec d’autres initiatives ?

Le Maroc a toujours été une priorité pour moi en ce qui concerne l’application de mes inventions. Cependant, le marché des voitures électriques y est encore limité. Il est donc un peu tôt pour introduire cette technologie de charge rapide.

D’ici 2030 ou 2035, lorsque le nombre de voitures électriques aura augmenté, nous pourrons envisager de développer l’infrastructure de charge rapide le long des routes et autoroutes marocaines.
 
  • Enfin, quels sont vos prochains objectifs de recherche et les défis que vous souhaitez relever dans les mois ou les années à venir ?

Nous avons de nombreux projets en cours. Le transfert de technologie est un aspect important : il faut transférer nos recherches aux industriels. Je travaille actuellement avec un producteur de voitures électriques au Vietnam pour implanter ma technologie dans leurs modèles. Un autre défi majeur concerne la sécurité des batteries.

D’ailleurs, j’ai obtenu un autre Brevet en Chine pour une méthode de diagnostic de l’état de santé et de sécurité des batteries. L’objectif est de réduire les risques d’emballement thermique, c’està-dire d’éviter que la batterie ne surchauffe, ne fume, ne prenne feu, voire n’explose. La sécurité des batteries est un facteur essentiel pour encourager l’adoption des voitures électriques. Malheureusement, il n’existe pas de solution simple et universelle pour réduire les risques thermiques.
 
Recueillis par
Safaa KSAANI 

Portrait : Rachid Yazami, un Marocain à la pointe de la technologie des batteries

Du jeune rêveur marocain à l’inventeur de renommée mondiale, la fascination de Rachid Yazami pour la science a commencé dès son plus jeune âge. « Je m’intéressais beaucoup aux sciences depuis très tôt. Un événement important est arrivé dans ma vie vers l’âge de 11 ans. Un de mes professeurs m’a pointé du doigt et a déclaré : Rachid, tu seras chimiste ! » , raconte-t-il.

Cette prédiction s’est réalisée lorsque Rachid Yazami a été admis à l’Institut polytechnique de Grenoble en France, où il a obtenu son Diplôme d’ingénieur en 1978. Un an seulement, plus tard, à l’âge de 26 ans, il a fait sa découverte révolutionnaire de l’anode en graphite, un composant clé des batteries lithium-ion.

« Ce fut un jour absolument inoubliable dans ma vie. J’avais l’impression de faire de l’alchimie, de transformer le noir en or ».

L’invention de l’anode en graphite par Yazami a eu un impact profond sur le développement et la prolifération des batteries lithium-ion. En 2019, 10 milliards de batteries ont été produites dans le monde. 98% utilisaient l’anode. Chaque téléphone portable, voiture électrique, stockage utilise mon anode. La sécurité est également une préoccupation majeure pour l’inventeur marocain. Se tournant vers l’avenir, Rachid Yazami a prédit l’essor des avions électriques à usage personnel dans les prochaines années. « Les avions électriques vont bientôt arriver », nous assure notre interviewé.








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