Ph.Nidal
- La légation suisse au Maroc célèbre cette année le centenaire des relations diplomatiques avec le Maroc, comment évaluez-vous le bilan d’un siècle de relations bilatérales et pouvez-vous nous en donner un aperçu ?
- Je puis vous assurer que nous entretenons d’excellentes relations avec le Maroc aussi bien au niveau gouvernemental qu’au niveau de la société civile. Nos relations sont séculaires, et tout au long de ce parcours, je suis ravi de dire que nos deux pays ont pu construire un partenariat solide et varié, surtout sur le plan économique et commercial. À cet égard, je rappelle que les deux pays ont signé un accord sur la promotion des investissements et un sur la non-double imposition. À cela s’ajoutent des conventions sectorielles, j’en cite plusieurs accords relatifs au transport, à l’énergie, à l’agriculture durable et au tourisme. Toute cette série d’accords permet de compléter le panorama de la coopération bilatérale, étoffé par une forte présence des entreprises suisses au Maroc. Il en existe une cinquantaine dans plusieurs secteurs qui vont du tourisme à l’industrie, l’énergie, la haute technologie et les services. Il convient aussi de souligner l’existence d’une coopération académique importante, sachant que les universités suisses ont signé plusieurs accords d’échanges avec leurs homologues marocaines telles que l’Université Mohammed VI-Ben Guérir, l’Université Euro-Med et l’Université Al Akhawayn. En gros, il s’agit d’un legs impressionnant sur lequel nous pouvons capitaliser pour construire l’avenir, d’autant qu’il y a une grande communauté suisse qui vit au Maroc et vice versa. Près de 2800 de nos ressortissants sont établis au Royaume et je vous assure qu’ils sont très actifs et impliqués dans la société civile. En revanche, 8000 Marocains vivent en Suisse et y sont bien intégrés. Ils occupent des postes importants aussi bien dans le monde de l’entreprise que dans le monde académique.
« Nous n’avons pas de passé colonial, ceci facilite énormément le dialogue entre nos deux pays ».
- Vous nous aviez dit lors de notre précédente entrevue, qu’un grand potentiel reste à exploiter entre les deux pays, pouvez-vous nous en parler davantage ?
- D’abord, il est préférable de consolider les acquis qu’il faut améliorer. Les relations entre Etats sont comme un téléphone, si vous ne le mettez pas à jour, il tombe en désuétude. Et c’est la tâche qui m’incombe. La question qu’on se pose est ce que peuvent apporter nos deux pays l’un à l’autre. La Suisse a, pour sa part, un fort potentiel dans le domaine de l’innovation et de la formation professionnelle qu’elle peut partager avec le Maroc. Pendant dix ans, la Suisse est classée comme le pays le plus novateur dans le monde. Ceci dit, un large potentiel de coopération est à exploiter dans les domaines de la recherche et développement et des énergies renouvelables, puisque le Maroc y investit massivement. Donc, l’OFPPT est un acteur majeur pour nous, afin de concrétiser notre stratégie en matière de coopération dans la formation professionnelle. Il convient de rappeler ici que le modèle suisse peut servir au Maroc, vu son attrait à l’échelle mondiale. Il est connu qu’en Suisse, le marché du travail et le monde de l’entreprise sont étroitement liés à l’université.
- Y a-t-il des contacts, projets ou accords en cours de préparation entre les deux pays ?
- Avant de répondre à votre question, j’insiste sur le fait que la Suisse est un Etat très libéral qui ne fait que créer les conditions propices pour le développement du secteur privé et ceci vaut également pour notre coopération internationale. Actuellement, il existe d’ores et déjà un accord de libre-échange entre le Maroc et la Suisse dans le cadre de l’association européenne de libre-échange. Je reconnais que ce n’est pas très connu du grand public. C’est un modèle qui nous a permis d’avoir des schémas de libre commerce avec plusieurs pays, dont le Maroc, qui ont des rapports privilégiés avec l’UE. Pour résumer, l’intelligence entre les responsables marocains et suisses est palpable et les contacts sont réguliers. À présent, nous sommes en cours de préparation de plusieurs conventions-cadres dans plusieurs domaines, à savoir le tourisme, l’agriculture, la migration et l’entraide judiciaire. Une façon d’étoffer le cadre global de coopération. Un partenariat entre l’Université Mohammed VI-Ben Guérir et l’école polytechnique de Lausanne est aussi en cours d’élaboration dans le domaine de la formation d’excellence. Dans le domaine culturel, une fondation suisse a créé récemment une école supérieure d’art visuel à Marrakech qui accueille des étudiants marocains et subsahariens.
- Est-ce que la francophonie et l’usage commun de la langue française facilitent le dialogue entre les deux pays, sachant que la Suisse est un pays multiculturel ?
- Effectivement, c’est une chance que l’une de nos langues nationales soit parlée couramment et largement répandue au Maroc. Il est évident que c’est un atout. Je vais aller plus loin en disant que le Maroc est un pays qui dépasse la francophonie du moment que la population marocaine est connue pour être capable de parler plusieurs langues, dont l’anglais et l’allemand. C’est ce que je n’ai de cesse de ressasser aux entrepreneurs suisses, intéressés par le marché marocain et qui pensent que le Maroc est une chasse gardée de la France. Evidemment que c’est faux vu que le Maroc est un pays très ouvert sur le monde.
- Est-ce que la francophonie et l’usage commun de la langue française facilitent le dialogue entre les deux pays, sachant que la Suisse est un pays multiculturel ?
- Effectivement, c’est une chance que l’une de nos langues nationales soit parlée couramment et largement répandue au Maroc. Il est évident que c’est un atout. Je vais aller plus loin en disant que le Maroc est un pays qui dépasse la francophonie du moment que la population marocaine est connue pour être capable de parler plusieurs langues, dont l’anglais et l’allemand. C’est ce que je n’ai de cesse de ressasser aux entrepreneurs suisses, intéressés par le marché marocain et qui pensent que le Maroc est une chasse gardée de la France. Evidemment que c’est faux vu que le Maroc est un pays très ouvert sur le monde.
- Comme vous l’avez mentionné dans votre allocution le jour de la conférence de presse, le Maroc est le troisième partenaire commercial de la Suisse en Afrique, la Suisse perçoit-elle le Royaume comme une plateforme d’expansion vers le marché africain et notamment celui de l’Afrique francophone ?
- Certainement, la Suisse a toujours eu un vif intérêt pour le Maroc vu que c’est un pays important en Afrique. Notre pays s’est intéressé depuis longtemps au continent noir, et comme nous n’avons pas de passé colonial, nos rapports avec l’Afrique sont moins compliqués et plus décomplexés que d’autres pays européens. Pour un pays de notre taille, nous sommes très présents en Afrique. En témoigne notre vaste réseau diplomatique dans le continent et la hausse continue des échanges commerciaux. Le Maroc est très important dans notre stratégie africaine, de par sa position stratégique en tant que trait d’union entre les deux rives de la Méditerranée et surtout en tant que pays fort enraciné économiquement et financièrement sur le marché africain. Pour ma part, je souhaite qu’on puisse construire avec nos partenaires marocains une coopération triangulaire en Afrique. À commencer par Casablanca Finance City qui peut constituer une plateforme d’expansion vers l’Afrique pour nos entreprises et nos opérateurs financiers. D’ailleurs, cinq entreprises suisses s’y sont déjà installées.
- Peut-on s’attendre à des alliances entre banques marocaines et suisses dans des pays d’Afrique subsaharienne, vu l’expertise incontestable des deux pays dans ce domaine ?
- En toute franchise, je n’ai pas d’informations sur des initiatives pareilles pour le moment, parce que, comme je l’ai dit précédemment, nous sommes un Etat libéral, nous laissons le soin de ce genre de décisions aux opérateurs économiques. Ce que nous pouvons faire c’est de rapprocher les points de vue et voir ce à quoi cela pourrait aboutir. Mais je reste optimiste sur ce point, il n’en faut pas moins du temps pour que ce genre d’initiatives murissent.
- Concernant la coopération commerciale, le volume des échanges atteint les 600 millions d’euros par an. Êtes-vous satisfait de cette performance et que comptez-vous faire pour passer à une vitesse supérieure ?
- En fait, le cadre juridique, comme je l’ai exposé tout à l’heure, est assez riche pour promouvoir le commerce bilatéral. Nous ne pouvons imaginer un cadre plus étoffé. Cependant, ce que nous pouvons faire mieux, c’est une meilleure connaissance l’un de l’autre. Donc, une meilleure prospection des opportunités. Bien que la Suisse soit bien perçue au Maroc, la perception des Marocains reste bornée à l’horlogerie, le chocolat, les services financiers et le fromage. Donc, il faut sortir un peu de ces préjugés, aussi chouettes soient-ils. Nous travaillons, en tant qu’ambassade, harmonieusement avec les acteurs institutionnels marocains concernés, à savoir la CGEM, les Chambres de Commerce régionales et leurs homologues suisses pour créer plus d’affinité et d’échanges sur les opportunités d’investissement et les débouchés commerciaux.
- D’après votre expérience, les milieux d’affaires marocains et suisses sont-ils assez conscients des vertus d’une alliance économique entre les deux pays ?
Il est indéniable que les entreprises suisses présentes au Maroc le sont. Il faut davantage de travail pour convaincre le reste, tous secteurs compris. Personnellement, j’estime qu’il vaut mieux commencer par les entreprises de l’export et je compte également sur les groupes installés et sur leurs « success story » pour promouvoir le label Maroc auprès des autres investisseurs suisses. Je suis enchanté du succès que réalisent plusieurs firmes multinationales suisses au Maroc, qui, en plus d’y produire localement, font du transfert de savoir-faire industriel et emploient des compétences marocaines. Il suffit de constater que la directrice de « Nestlé-Maroc » est une femme marocaine.
Portrait : Qui est Guillaume Scheurer, la voix de Berne à Rabat ?
maGuillaume Scheurer, né le 20 décembre 1963, a obtenu son diplôme en Droit de l’Université de Neuchâtel avant d’entamer un troisième cycle en politique de sécurité internationale à l’Institut Universitaire des Hautes Etudes Internationales de Genève. Après un passage dans le privé, Monsieur Scheurer a occupé le poste de Chef adjoint de la section de la Délégation suisse auprès de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) à Vienne, puis plusieurs autres fonctions dont, notamment, celles de Chef adjoint de la division politique pour la Sécurité Humaine au ministère des Affaires étrangères suisse entre 2003 et 2005, de premier collaborateur du chef de la mission de son pays à Washington en 2009, avant d’être promu chef de mission à Kiev entre 2015 et 2019.
- Comme vous le savez, le Maroc a légalisé le cannabis à des fins médicales, et comme la Suisse dispose d’une très forte industrie pharmaceutique, une coopération dans ce domaine est-elle envisageable ?
- Sincèrement, je n’ai pas une visibilité claire sur ce sujet, il n’empêche qu’un potentiel énorme existe dans le domaine de la transformation du cannabis à des fins médicales et thérapeutiques. La Suisse dispose d’une gigantesque industrie pharmaceutique et nous pouvons imaginer une coopération future dans ce domaine avec le Maroc. Pour autant, rien n’est encore envisagé à ce sujet, vu que nous avons également un débat sur la légalisation du cannabis en Suisse. Même les groupes pharmaceutiques ne se sont pas encore prononcés sur ce genre de production. Pour résumer, si les législations de nos deux pays permettent une coopération industrielle dans ce domaine, je ne vois pas pourquoi nous ne le ferons pas.
- Vous avez annoncé tout un programme dans le cadre des célébrations du centenaire des relations, à savoir des conférences, des ateliers, etc. La Suisse a déclaré vouloir intensifier la coopération dans le domaine de l’Innovation, pourquoi exactement l’innovation ?
- À l’occasion du centenaire des relations bilatérales, nous avons prévu d’organiser un cycle de conférences sur plusieurs domaines du savoir, avec l’innovation comme thème de cette édition. Comme nous sommes à l’avant-garde de l’innovation à l’échelle mondiale, nous avons envie de partager notre expérience et créer un dialogue entre la communauté savante et entrepreneuse suisse et les professeurs, étudiants et savants marocains. Ce cycle de conférences sera inauguré par un séminaire d’un professeur marocain qui s’appelle Rachid Guerraoui. Par ailleurs, le message que nous souhaitons faire passer est que « si la Suisse est si développée, c’est parce qu’elle est très ouverte au monde ». Nous voulons également ouvrir la porte aux chercheurs marocains et les inviter à venir bénéficier du cadre commode et incitatif qu’offre les universités suisses pour y passer leur séjour de recherche. L’objectif est de faire rencontrer des chercheurs suisses avec leurs homologues marocains. Il existe beaucoup de choses merveilleuses qui peuvent naître d’une telle initiative. Nous avons l’espoir de développer la recherche avec des instituts de recherche marocains dans les énergies renouvelables et notamment l’énergie issue d’hydrogène.
« Le Maroc a fait de sérieux efforts pour aboutir à une solution acceptable au conflit du Sahara ».
- Concernant l’affaire du Sahara qui est un dossier très sensible au Maroc, quelle est la position de votre pays sur ce sujet ? Vous aviez déclaré à 2M que vous saluez les efforts entrepris par le Maroc dans la résolution de ce conflit, le plan d’autonomie est en mesure de résoudre le conflit à votre avis?
Notre position est claire. Nous soutenons les efforts des Nations Unies et nous estimons que toute solution ne peut avoir lieu en dehors du cadre onusien. Nous soutenons une solution politique, négociée, respectueuse du droit international, tel que défini par les Résolutions du Conseil de Sécurité. Nous considérons que le Maroc a fait des efforts sérieux pour trouver une solution durable et mutuellement acceptable. Pour sa part, la Suisse encourage les parties à faciliter la nomination du nouvel envoyé personnel du Secrétaire Général des Nations Unies. C’est d’autant plus urgent que le processus des tables rondes est bloqué, depuis la démission d’Horst Köhler.
- Plusieurs candidats sont cités pour succéder à Horst Köhler, dont Stéphane Staffan De Mistura, très connu dans les cercles diplomatiques suisses. S’agit-il, à votre avis, d’un profil qui peut relancer le processus politique ?
M. De Mistura est un diplomate de grande qualité, avec lequel, nous les Suisses, avons beaucoup travaillé sur plusieurs conflits comme la Syrie. Il a organisé beaucoup de tables rondes à Genève. A mon avis, c’est un très bon choix. Pour autant, je ne suis pas encore certain s’il lui a été véritablement proposé d’occuper le poste d’envoyé spécial.
Notre position est claire. Nous soutenons les efforts des Nations Unies et nous estimons que toute solution ne peut avoir lieu en dehors du cadre onusien. Nous soutenons une solution politique, négociée, respectueuse du droit international, tel que défini par les Résolutions du Conseil de Sécurité. Nous considérons que le Maroc a fait des efforts sérieux pour trouver une solution durable et mutuellement acceptable. Pour sa part, la Suisse encourage les parties à faciliter la nomination du nouvel envoyé personnel du Secrétaire Général des Nations Unies. C’est d’autant plus urgent que le processus des tables rondes est bloqué, depuis la démission d’Horst Köhler.
- Plusieurs candidats sont cités pour succéder à Horst Köhler, dont Stéphane Staffan De Mistura, très connu dans les cercles diplomatiques suisses. S’agit-il, à votre avis, d’un profil qui peut relancer le processus politique ?
M. De Mistura est un diplomate de grande qualité, avec lequel, nous les Suisses, avons beaucoup travaillé sur plusieurs conflits comme la Syrie. Il a organisé beaucoup de tables rondes à Genève. A mon avis, c’est un très bon choix. Pour autant, je ne suis pas encore certain s’il lui a été véritablement proposé d’occuper le poste d’envoyé spécial.
Recueillis par Anass MACHLOUKH