8-Mars. Cela évoque certainement la Journée internationale des droits des femmes. Mais aussi le jour où l’homme d’Etat Abderrahman Youssoufi voit le jour à Tanger et que les militantes ne manquent jamais de le lui « rappeler ». Le 8 de ce mois commémore également la date de la parution en 1965 à Rabat du premier numéro du quotidien L’Opinion. Il est alors piloté par Abderrahmane Baddou rapidement remplacé par Mohamed ‘’Mao’’ Berrada, avocat et futur homme d’affaires.
Le journal revendique un récent ancêtre, La Nation Africaine (1962-1965), interdit quelques semaines auparavant. L’Opinion n’est pas pour autant intimidé. Ses prises de position sous la houlette d’un directeur samouraï poussent à sévir quelques gardiens du temple. Berrada est ensuite incarcéré pour atteinte à l’intégrité de l’armée. L’Opinion, organe du parti de l’Istiqlal, jeune frère de Al Alam né en 1946, évolue fièrement, brandissant son statut de grand quotidien francophone marocain bien avant le lent « démantèlement » de la presse Mas née au début du siècle dernier. Au fil des années, le journal devient une référence, un label. « Tout le monde » y fait ses premiers pas. Une école pour d’ultérieurs grandes signatures, voire de patrons de presse. Il y a certes dans le paysage Le Matin et Maroc Soir de Moulay Ahmed Alaoui, mais la connotation diffère et joue plus pour une publication pourtant partisane. Une réalisation crédible et patriotique, un projet perpétuel revendiquant la sincérité. On se forme à L’Opinion et on se développe ailleurs.
Le journal revendique un récent ancêtre, La Nation Africaine (1962-1965), interdit quelques semaines auparavant. L’Opinion n’est pas pour autant intimidé. Ses prises de position sous la houlette d’un directeur samouraï poussent à sévir quelques gardiens du temple. Berrada est ensuite incarcéré pour atteinte à l’intégrité de l’armée. L’Opinion, organe du parti de l’Istiqlal, jeune frère de Al Alam né en 1946, évolue fièrement, brandissant son statut de grand quotidien francophone marocain bien avant le lent « démantèlement » de la presse Mas née au début du siècle dernier. Au fil des années, le journal devient une référence, un label. « Tout le monde » y fait ses premiers pas. Une école pour d’ultérieurs grandes signatures, voire de patrons de presse. Il y a certes dans le paysage Le Matin et Maroc Soir de Moulay Ahmed Alaoui, mais la connotation diffère et joue plus pour une publication pourtant partisane. Une réalisation crédible et patriotique, un projet perpétuel revendiquant la sincérité. On se forme à L’Opinion et on se développe ailleurs.
Alimenter la différence
Avec ce 20.000e numéro et mon jeune âge de collaborateur de L’Opinion au début des années 1980, je ne peux qu’applaudir mes prédécesseurs, dans la boîte nécessairement, chercheurs de l’information à la source, sans l’Internet censé faciliter la tache et que les nouveaux « détenteurs de vérités » ne consultent pas.
A L’Opinion, Je croise des vedettes de la plume ou de l’approche. Mes souvenirs s’entrechoquent. J’écoute sans réfléchir les propos grandiloquents de Khalid Jamaï, véhément futur rédacteur en chef. Je pense à Noureddine Lakhrayfi dit Benmansour, responsable de la page de Rabat (Collectif Erribat) et créateur de tweets précoces à travers son incontournable rubrique « Télégramme ». Je revoie le journaliste politique Naïm Kamal, sa fougue istiqlalienne et ses recherches de mots qui font mouche. Je sursaute à chaque poussée de fièvre vocale de Najib Salmi, historique chef du service Sports. Je me gronde de ne pas avoir poussé ma relation avec Fatima Belarbi et Saïd Fatmi des pages internationales. J’ai un net souvenir de la talentueuse chroniqueuse judiciaire Aïcha Mekki.
Je me rappelle de Nadia Salah affalée sur son desk du rayon Economie, correspondante en outre d’une publication étrangère. Je suis déconcerté par la discrétion du caricaturiste Filali, lanceur de bombes qui n’éclatent jamais mou. J’observe avec curiosité Mounir Rahmouni (L’Opinion des Jeunes et autres rubriques artistiques), le journaliste marocain le plus célèbre de l’époque. Je me remémore Jamal Hajjam qui débute jeune à L’Opinion pour le quitter titre de directeur de la publication sous le bras.
Il y a aussi Khalil « Acid » Raïss à l’écriture passablement automatique, Abdallah Memmas et son imposant supplément culturel que récupère avec détermination Abdallah Bensmaïn, El Otmani (Eliot Mani) correcteur à la langue nourrie d’une rageuse médisance. La liste n’est certainement pas exhaustive… D’autres marquent de leur passage le journal : Fouad Nejjar, Abdelhay Abouelkhatib, l’insaisissable Sami Jaï, Salim Benamar futur Omar Salim, Ahmed Fadili et tous ceux que j’omets de citer. Des signatures externes viennent également renforcer l’ossature d’un titre déterminent et à la réputation indéniable d’ouverture. L’Opinion réussit avec magie l’alliance entre un journal partisan, une publication qui prône la réflexion et un quotidien d’informations générales.
Ce qui ne se dément jamais, ce qui continue de nos jours d’alimenter sa différence sous la direction de la publication de Majdouline Atouabi. Avec les développements technologiques que l’évolution impose. L’Opinion revendique plusieurs périodes, parfois en ces dents de scie qui tranchent avec munificence. Mais l’esprit perdure en se modernisant.
Anis HAJJAM
Aïcha Mekki : Reine de la chronique judiciaire
Elle est pionnière de l’investigation judiciaire au Maroc qu’elle inaugure au milieu des années 1970 à L’Opinion. Après un passage radiophonique à Rabat, Aïcha Mekki décide de s’occuper des populations évoluant au bord de la société, celles du « Maroc d’en bas » en intégrant ce seul quotidien qui accepte d’accueillir sa plume. Ses choix tranchent avec le fait divers, plongent dans le crime, le macabre, l’atroce, le réel dissimulé. Une approche qui trouve son public, pas forcément assoiffé de sang, mais éberlué de découvrir des réalités jamais auparavant dévoilées.
Aïcha Mekki agrémente ses récits d’une narration passablement empruntée au magazine français Détective, frôlant la fiction prenant ses racines dans une réalité furieusement dramatique, celle de l’enfance martyrisée, des prostituées, des criminels. Jusqu’en 1992, année de sa trouble disparition autour de 40 ans, elle tient les rubriques « Au ban de la société » puis « Société et justice ». Mekki est découverte inanimée dans son humble appartement casablancais des jours après sa mort, le corps dans une décomposition avancée. A croire qu’une partie de ses récits finit par se projeter sur son vécu, la violence physique d’autrui en moins. En 2001, Abdeljalil Lahjomri, Secrétaire perpétuel de l’Académie du royaume du Maroc, publie aux éditions Malika « Aïcha, pleure tes chroniques égarées », se basant sur plus de 800 articles de la défunte. Un hommage enfanté par quelqu’un qui ne connaît son « héroïne » qu’après sa mort tragique.
Aïcha Mekki agrémente ses récits d’une narration passablement empruntée au magazine français Détective, frôlant la fiction prenant ses racines dans une réalité furieusement dramatique, celle de l’enfance martyrisée, des prostituées, des criminels. Jusqu’en 1992, année de sa trouble disparition autour de 40 ans, elle tient les rubriques « Au ban de la société » puis « Société et justice ». Mekki est découverte inanimée dans son humble appartement casablancais des jours après sa mort, le corps dans une décomposition avancée. A croire qu’une partie de ses récits finit par se projeter sur son vécu, la violence physique d’autrui en moins. En 2001, Abdeljalil Lahjomri, Secrétaire perpétuel de l’Académie du royaume du Maroc, publie aux éditions Malika « Aïcha, pleure tes chroniques égarées », se basant sur plus de 800 articles de la défunte. Un hommage enfanté par quelqu’un qui ne connaît son « héroïne » qu’après sa mort tragique.
Pauvreté et maltraitance
Les journalistes qui croisent Aïcha Mekki dans les tribunaux rapportent qu’elle s’intéresse plus aux regards et aux attitudes des inculpés et des plaignants qu’aux déroulements proprement dits des plaidoyers. C’est qu’elle construit déjà ses récits. En fait, elle traduit les pulsations d’une société, les non-dits de tout un pan de la société. La native de Taza, Rokia Fetha de son vrai nom, connaît la pauvreté et la maltraitance dès son enfance, par son entourage immédiat. Sur les colonnes de L’Opinion, elle relate, à travers de nombreuses affaires qu’elle traite, ce vécu douloureux, s’imposant en tant que reine du journalisme judiciaire. Elle se nourrit de drames pour secouer un système aveugle et démissionnaire.
Khalid Jamaï : Le journalisme comme punchline
Plume redoutable, l’intrépide journaliste cogne à mains nues. Il connaît les recoins et les recoins de L’Opinion et pour cause(s) : il s’occupe de la page de Rabat qui lui vaut un bref passage derrière les barreaux, prend en charge le service international et se retrouve en 1984 Rédacteur en chef. Khalid Jamaï est, à ce stade, déterminé à faire bouger les lignes molles d’une profession habitée par l’auto-censure, un exercice privilégiant le sujet-verbe-compliment. Jamal Hajjam, qui accompagne Jamaï dans son combat en tant que Secrétaire général de rédaction et ultérieurement Directeur de la publication du journal, raconte au lendemain de la disparition -1er juin 2021 à 77 ans- de l’enfant terrible de la presse marocaine : « Son passage à la tête de la rédaction de L'Opinion est à marquer d'une pierre blanche. Ce fut l'âge d'or du journal où la liberté de ton favorisée et défendue par le Rédacteur en chef, associée au professionnalisme des journalistes émérites qui constituaient l'équipe du journal à l'époque, avait permis à l'aspect professionnel de prendre le dessus sur celui partisan, sans rien perdre des valeurs et principes fondateurs.
La vision défendue alors par Khalid Jamaï avait largement contribué à faire de L'Opinion une référence crédible dont les positions ne manquaient pas de faire bouger les eaux stagnantes à une époque où la liberté de presse dans le pays était en souffrance et où les scènes politique et médiatique étaient constamment en état de stress du fait de la volonté dominatrice du ministère de l'intérieur sous la houlette de l'omnipotent Driss Basri. C'est d'ailleurs contre ce dernier que Khalid Jamaï allait mener son plus important combat dans un contexte particulièrement sensible marqué par une volonté de domination, de mainmise, de dirigisme, voire par la tyrannie d'un ministre qui avait pris la démocratie et la liberté de la presse en otage. »
La vision défendue alors par Khalid Jamaï avait largement contribué à faire de L'Opinion une référence crédible dont les positions ne manquaient pas de faire bouger les eaux stagnantes à une époque où la liberté de presse dans le pays était en souffrance et où les scènes politique et médiatique étaient constamment en état de stress du fait de la volonté dominatrice du ministère de l'intérieur sous la houlette de l'omnipotent Driss Basri. C'est d'ailleurs contre ce dernier que Khalid Jamaï allait mener son plus important combat dans un contexte particulièrement sensible marqué par une volonté de domination, de mainmise, de dirigisme, voire par la tyrannie d'un ministre qui avait pris la démocratie et la liberté de la presse en otage. »
Phrase historique
Vient ensuite l’épisode « Chkoun n’ta », phrase que prononce le même Basri à l’endroit du journaliste en le convoquant dans son bureau-pavillon du ministère de l’Intérieur. Son tort ? Avoir dénoncé le truquage des élections au pays depuis plusieurs années. Cette même phrase, Khalid Jamaï ne manque pas de la renvoyer au flic suprême du pays dans une lettre ouverte publiée au lendemain de cette rencontre enveloppée de menaces. Après plus d’un quart de siècle à la tête de la rédaction, Jamaï quitte, retraité, L’Opinion en 2000. Mais son combat se poursuit à travers des chroniques dans différents supports, des essais et des commentaires politiques recueillis par plusieurs jeunes médias.
Témoignage : Que de mots !!!
Comment, diantre, est-il venu dans l'esprit de mon jeune et estimé confrère Anis Hajjam, de me coller un pensum en me demandant d'avoir la gentillesse de lui confier un témoignage pour le numéro 20 000 de L'Opinion, numéro que vous avez en main ce matin. On était mardi soir, le soir même où à Budapest le magnifique champion Soufiane Bakkali allait franchir les portes de l'histoire. Et justement, l'Opinion, qu'on le veuille ou non, fait partie de L'histoire du pays... Mais comment résumer un phénoménal pan de l'Histoire en quelques mots et surtout en si peu de temps. Anis déjà vieux routier de la presse avait pris soin d'ajouter : « Je te précise que l'article est de la plus grande urgence. C'est-à-dire pour hier. » Et pourquoi diable m'est-il venu au fil de la mémoire, d'évoquer un aspect méconnu de l’activité journalistique : la coquille. Terreur de celui ou celle qui écrit « Terreur » qui n'a plus cours aujourd'hui en ces temps d'intelligence artificielle du copier-coller où on cherche à travailler le moins possible pour gagner le plus possible.
La coquille c'est cette faute involontaire qui, pour un mot, un simple mot voire une lettre, pouvait bousiller le meilleur des articles. Et comme l'exemple vaut mieux que mille explications, je vais ici et maintenant vous narrez l'histoire d'une coquille...superbe. L'Académie Royale du Maroc avait choisi un jour pour thème « La conquête de l'espace ». Voilà ce qui fut annoncé en première page de L’Opinion : « La conquête de l'Espagne ». La rédaction du canard reçoit comme il se doit une mise au point de la part du pays concerné, rédigée par son excellence l'ambassadeur lui-même. « Dans mon jeune âge, nous disait-il, j'ai eu à travailler dans une imprimerie et je sais ce qui peut se produire dans le feu de l'œuvre quand les mots s'emballent. » Et l'ambassadeur d'ajouter finement : « D'ailleurs, j'avoue que j'ai été conquis. »
La coquille c'est cette faute involontaire qui, pour un mot, un simple mot voire une lettre, pouvait bousiller le meilleur des articles. Et comme l'exemple vaut mieux que mille explications, je vais ici et maintenant vous narrez l'histoire d'une coquille...superbe. L'Académie Royale du Maroc avait choisi un jour pour thème « La conquête de l'espace ». Voilà ce qui fut annoncé en première page de L’Opinion : « La conquête de l'Espagne ». La rédaction du canard reçoit comme il se doit une mise au point de la part du pays concerné, rédigée par son excellence l'ambassadeur lui-même. « Dans mon jeune âge, nous disait-il, j'ai eu à travailler dans une imprimerie et je sais ce qui peut se produire dans le feu de l'œuvre quand les mots s'emballent. » Et l'ambassadeur d'ajouter finement : « D'ailleurs, j'avoue que j'ai été conquis. »
Mounir Rahmouni : L’ODJ pour jeunes et moins jeunes
Avec un look pioché dans celui d’Abdelhalim Hafed qu’il côtoie comme Wadiî Essafi ou Ismaïl Ahmed entre autres, le journaliste marocain le plus célèbre des années 1970-1980 et au-delà évolue dans une discrétion absolue, rasant les murs des couloirs de L’Opinion sis au 11 boulevard Moulay Abdallah à Rabat. Il partage son bureau avec le caricaturiste star du quotidien, Filali. Dans cet espace relativement exigu s’amassent des milliers de lettres, dans les placards, à même le sol, sur le bureau du pauvre Mounir qui n’utilise qu’un petit carré lui servant de surface de travail.
La poste doit à cette époque beaucoup à Rahmouni qui lui fait écouler un nombre incalculable de timbres achetés à travers le pays. C’est que dans l’une des nombreuses histoires de L’Opinion, le journaliste a l’idée inédite de donner la parole aux sans-voix, de leur proposer de participer à la confection de pages (deux fois par semaine) faites pour et par eux : « L’Opinion des Jeunes, ODJ ».
Poèmes, nouvelles et différents autres textes pleuvent sans discontinuer. Des tonnes de courrier s’abattent sur la tête de ce cher rédacteur qui publie les écrits d’adolescents vite rejoints par des adultes. Le résultat est plus qu’intéressant, souvent amusant. Rahmouni tient parallèlement un billet empli de pureté d’esprit. Un jour, il annonce à sa rédaction en chef qu’il est capable de fournir de la matière quotidiennement !
C’est dire le succès sans cesse grandissant formulé par son lectorat, sachant que les ventes explosent les jours de parution de « L’Opinion des Jeunes ». Mounir ne s’arrête pas à cette belle aventure. Il crée également des pages s’intéressant essentiellement à la musique et au chant : « L’Opinion Variétés », une rubrique où il critique à tout va en donnant des informations artistiques et des nouvelles People. Parti en septembre 2017 à 70 ans, Mounir Rahmouni aura marqué par sa gentillesse, son humanité et que L’Opinion garde dans ses précieuses archives.
La poste doit à cette époque beaucoup à Rahmouni qui lui fait écouler un nombre incalculable de timbres achetés à travers le pays. C’est que dans l’une des nombreuses histoires de L’Opinion, le journaliste a l’idée inédite de donner la parole aux sans-voix, de leur proposer de participer à la confection de pages (deux fois par semaine) faites pour et par eux : « L’Opinion des Jeunes, ODJ ».
Poèmes, nouvelles et différents autres textes pleuvent sans discontinuer. Des tonnes de courrier s’abattent sur la tête de ce cher rédacteur qui publie les écrits d’adolescents vite rejoints par des adultes. Le résultat est plus qu’intéressant, souvent amusant. Rahmouni tient parallèlement un billet empli de pureté d’esprit. Un jour, il annonce à sa rédaction en chef qu’il est capable de fournir de la matière quotidiennement !
C’est dire le succès sans cesse grandissant formulé par son lectorat, sachant que les ventes explosent les jours de parution de « L’Opinion des Jeunes ». Mounir ne s’arrête pas à cette belle aventure. Il crée également des pages s’intéressant essentiellement à la musique et au chant : « L’Opinion Variétés », une rubrique où il critique à tout va en donnant des informations artistiques et des nouvelles People. Parti en septembre 2017 à 70 ans, Mounir Rahmouni aura marqué par sa gentillesse, son humanité et que L’Opinion garde dans ses précieuses archives.