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Le mystère de la mort-née loi sur l'usage des réseaux sociaux


Mardi 28 Avril 2020

Des copies d’une version annulée du projet de loi n°22.20 sur l’usage des réseaux sociaux au Maroc ont été diffusées sur la toile, lundi soir. Leur contenu liberticide suscite débat et interrogations.



Deux années jour pour jour, après la campagne de boycott de 2018, d'étranges réminiscences de cette campagne resurgissent en pleine période d'état d'urgence
Deux années jour pour jour, après la campagne de boycott de 2018, d'étranges réminiscences de cette campagne resurgissent en pleine période d'état d'urgence

La toile marocaine a été scandalisée ce lundi, par la publication d’extraits, apparemment annulés, du projet de loi n°22.20, portant sur l’utilisation des réseaux sociaux, des réseaux de diffusion et réseaux similaires.


Adopté en conseil du gouvernement, le 19 mars, à la faveur de l’instauration de l’état d’urgence sanitaire et de la floraison des fake-news sur les réseaux sociaux, ce projet de loi qui ambitionnait d’apporter un semblant d’ordre dans la jungle de l’Internet, aurait été entre temps annulé, puis soumis à examen par une commission technique chargée d’en revoir quelques-unes des dispositions les plus problématiques.


Au lendemain de la diffusion du projet controversé, un mémo signé par El Mostapha Ramid, Ministre PJDiste chargé des droits de l'homme et des relations avec le Parlement, daté du 2 avril, a également et opportunément refait surface. Ramid y liste ses griefs contre certaines dispositions instaurant des exceptions aux dispositions de la constitution marocaine relatives aux droits de l'homme.

En tête de ces dispositions, celle punissant de six mois à trois ans de prison toute personne incitant au boycott d’une marque commerciale. Cet aspect pour le moins étrange qui ressemble à s’y méprendre à une disposition légale taillée sur mesure pour répondre aux désidératas de riches et influents lobbies économiques, est celui qui a suscité le plus d’interrogations et de récriminations sur les réseaux sociaux. 

La bronca a commencé lorsque l’influenceur et youtubeur Mustapha El Fekkak, alias Swinga, a posté sur sa page Facebook un très pertinent statut où il s’interroge sur le devenir de cette loi, tout en publiant certaines de ses dispositions les plus problématiques.

Respecté pour son travail de fond qui le rapproche plus du journaliste que du tendanceur, Swinga qui s’est déjà démarqué dans un passé récent par ses vidéos sur les aides aux ménages affectés par le coronavirus et celles sur les marocains bloqués à l’étranger, met le doigt là où ça fait mal. Son statut est d’autant plus légitime qu’il fait lui-même partie des acteurs qui seraient les plus affectés par les dispositions de la future loi.   

Aussitôt après le post de Swinga, la contre-attaque s’organise. Une pétition est lancée lundi soir en vue d’exprimer le rejet total du texte controversé. Alors que l’objectif initial était de récolter 2000 signatures, le nombre de signataires dépasse en quelques heures les 2500. En parallèle, les hashtags dénonciateurs se multiplient à la vitesse d'un feu de brousse. Qu’est-ce qui explique une réaction aussi épidermique ? 

Pas de fumée sans feu

En plus de fouler un domaine jusqu’ici vierge où tout ou presque semblait permis, ce qui est en soi légitime, le texte de loi décrié, du moins les extraits qui en ont été fuités, prévoit clairement l’interdiction de tout appel au boycott de marques ou de produits. Ce qui n’a pas manqué de réveiller quelques suspicions et traumatismes d’un passé récent.

Cette prohibition injustifiée du boycott qui est en soi un acte relevant de la libre pensée et de la libre expression, est prévue dans l’article 14 qui stipule que «quiconque appelle intentionnellement, via les réseaux sociaux, les réseaux de diffusion ouverts ou des réseaux similaires, à boycotter certains produits, biens ou services, est passible d’une peine allant de six mois à trois ans et d'une amende de 5000 à 50000 dirhams ou l'une de ces deux sanctions». 

Une disposition disproportionnée par les peines exagérées qu’elle prévoit et totalement injustifiée car allant à l’encontre de tous les fondements constitutionnels de la liberté d’expression. Mais elle n’est pas la seule. D’autres dispositions, comme celles prévues par l’article 18 qui part certes de la bonne intention de contrecarrer le phénomène des fake-news, viennent compléter cet arsenal de sanctions lourdes pour des motifs vagues et une formulation qui en fait des articles fourre-tout.

L’article 18 prévoit en effet que «quiconque tente de publier ou promouvoir, sur les réseaux sociaux, un contenu qui comprend de fausses informations qui remettraient en cause la qualité de certains produits et marchandises et les présenteraient comme une menace pour la santé publique et la sécurité environnementale, risque une peine de six mois à trois ans et une amende de 2000 à 20.000 dirhams ou l'une de ces deux peines». Ce qui revient à taire toute velléité de critique de marque dans le futur. D'autres dispositions décriées imposent de remplir des formalités pour interagir en tant qu'influenceur sur le web, donnant à ce texte des allures de muselière juridique.

Réplique d’une vieille polémique 

En plus des critiques de fonds, la loi a été décriée pour la forme de son cheminement, ou non, dans le circuit législatif. En effet, contrairement à ce qui est de coutume, le texte de loi dont l’annonce de l’adoption en conseil du gouvernement avait été pourtant officiellement faite le 19 mars sur la MAP, demeure à ce jour introuvable sur le site web du secrétariat général du gouvernement connu pour sa promptitude lorsqu’il s’agit de publier la liste des lois en file d’attente.

Aucune trace également de cette loi dans le site du Parlement au bureau duquel elle devait être déposée après son adoption en conseil du gouvernement. Et comme pour épaissir davantage le mystère qui entoure cette loi fantôme, rares sont les réactions officielles qui ont tenté depuis hier d’éclairer l’opinion publique concernant cette affaire. Ni El Othmani pourtant très actif sur sa page Twitter et encore moins le néo-bombardé porte-parole du gouvernement Saïd Amzazi n’ont encore osé aborder ce terrain glissant et miné.

Première réaction, de surcroît officieuse, celle de Nizar Khaïroune, le conseiller en communication du chef du gouvernement qui a publié un post où il déclare que la loi objet de toutes les critiques avait été «retirée du circuit législatif pour examen approfondi devant une commission technique. Le projet fuité est une version préliminaire qui n’a rien d’officiel et qui est largement dépassée. Sa médiatisation en cette période n’a rien d’innocent». Fin de citation.

Cette déclaration qui a attisé les critiques amène le ministre de la Justice, Mohamed Ben Abdelkader, à s'exprimer à son tour, mais de manière détournée et officieuse, à travers une déclaration répercutée par les députés de sa formation politique. «Bien que le gouvernement ait approuvé le projet de loi le 19 mars, il n’a pas encore été soumis au Parlement», a souligné le ministre USFPéiste qui considère l'évaporation du texte de loi normale, comme c’est le cas pour tous les «projets qui ne font pas l’unanimité au sein du gouvernement et sont adoptés avec réserve. Il n’y a pas de version finale du projet, et lorsque cela sera fait, elle sera soumise au Parlement par le chef du gouvernement», a-t-il déclaré.

En attendant, la fièvre continue à monter sur les réseaux sociaux où l’on craint légitimement une exploitation de la période d’urgence sanitaire pour opérer un tour de vis sécuritaire sur la liberté d’expression dans le web qui demeure l'un des derniers bastions d'une parole plus ou moins libérée. Des épisodes comme celui de la condamnation récente du journaliste Omar Radi pour un Tweet irrévérencieux envers un juge restent vivaces dans les mémoires. On craint aussi qu’il ne s’agisse d’une vulgaire manipulation de l’opinion publique par la réouverture d’une plaie qui n’a pas encore cicatrisé, celle de la campagne de boycott et les luttes politiques intestines qu’elle avait impliqué.

Mais le consensus reste total autour du rejet d’un texte jugé régressif que le gouvernement aurait tenté de faire passer en catimini, sous couvert d’état d’urgence et de lutte contre les fake-news. C’est du moins l’avis de l’universitaire Omar Cherkaoui, pourfendeur de la première heure de ce texte de loi qui a posté sur sa page Facebook le commentaire suivant : «Le gouvernement a peur de révéler un projet controversé. C’est pour cette raison que ses dispositions sont gardées secrètes. A l’exception des ministres, personne n’est au courant de sa teneur».

Des critiques qui datent de 2013, de l’époque de la tentative d’adoption du très controversé projet de loi sur le code numérique sous le gouvernement de Benkirane qui avait été retiré sous la pression des médias et de la société civile. Sommes-nous en train de vivre une réplique de cette polémique à une période où l’état d’urgence sanitaire semble de plus en plus exploité non seulement pour gagner du terrain sur la pandémie du coronavirus, mais aussi sur les libertés publiques ?

 

Ci-dessous, le texte du projet de loi controversée qui a été retiré









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