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Actu Maroc

Légalisation du cannabis : les “high and low” d’une loi en pleine floraison


Mardi 2 Mars 2021

Le Royaume trace à petits pas son chemin vers la légalisation de l’usage médical du cannabis. En revanche, des améliorations doivent accompagner ce processus.



Vers la création d’une agence nationale de régulation des activités liées au cannabis
Vers la création d’une agence nationale de régulation des activités liées au cannabis
Le projet de loi sur la légalisation de la culture et l’usage légal du cannabis, que le Conseil de gouvernement s’apprête à discuter le 4 mars, représente une étape sans précédent pour le Royaume. Il vient poser les bases d’une industrie appelée à se hisser en locomotive économique du pays. Un secteur à forte valeur ajoutée dont les modes de production devront répondre à un cahier de charges exhaustif qui englobe une composante répressive non négligeable vu les spécificités de l’activité.

Vente directe : plus de gains pour le paysan

L’une des principales mesures du projet de légalisation de la culture du cannabis reste la création d’une agence nationale de régulation des activités liées au cannabis. 

Une institution publique qui, rappelons-le, sera dotée de la personnalité morale et de l’indépendance financière. Le régulateur sera chargé de la mise en œuvre de la stratégie gouvernementale de culture du cannabis, de sa transformation, de sa commercialisation et des activités d’import/ export. Malgré l’avancée que représente la création de cette Agence, certains points du projet de loi risquent de susciter des résistances sur le terrain.

En effet, le régulateur devrait jouir du monopole au niveau de l’achat des récoltes des cultivateurs, et ce, pour éviter toute spéculation sur les tarifs de vente. «Le marché légal du cannabis, tel qu’on le voit dans le monde, permet aux paysans d’atteindre 12% du chiffre d’affaires définitif», nous souligne une source proche du dossier. «Aujourd’hui, sur le terrain, l’agriculteur touche environ 1% du chiffre d’affaires. Pour sa vente à l’étranger, cette part peut monter jusqu’à 4%. Le chiffre d’affaires engrangé par le cannabis marocain illégal en Europe, est de 120 milliards de DH. Le chiffre d’affaires agricole, c’est-à-dire ce que le fellah reçoit, ne dépasse pas les 5 milliards de DH», ajoute notre interlocuteur

Ce projet de loi, qui vise à garantir des revenus raisonnables aux paysans, risque, selon cet expert, de ne pas entraîner une amélioration notable des rentrées des agriculteurs en adoptant ce modèle d’acheteur unique. « Il serait judicieux d’ajouter un amendement qui permet la vente entre investisseur et paysan. L’Agence pourra toujours vérifier les prix, fixer un minimum et contrôler le respect de ces mesures, tout en permettant une diversification de la demande. Je pense que ce volet de la loi gagnerait à être amélioré», avance notre interlocuteur. 

Assurer la durabilité de la culture 

Jusqu’en 2019, la culture du cannabis s’étendait sur une superficie de près de 55.000 ha, contre 134.000 ha en 2003. Une activité agricole qui ne bénéficiait pas des mesures de modernisation de l’outil agricole mis en place par l’Etat à cause de son illégalité. Une situation qui a permis aux modes de productions anarchiques et néfastes pour l’environnement de perdurer. En effet, la production actuelle repose sur la surexploitation des terres et des ressources en eau dans des régions souffrant de stress hydrique, le recours à des engrais et fertilisants qui peuvent être toxiques ou encore à la destruction des forêts avec la perte de 1.000 ha/an pour aménager de nouvelles parcelles. C’est justement pour introduire une approche eco-friendly que le régulateur aura le monopole en termes de choix d’intrants, de types de semences et de graines auxquels les cultivateurs auront recours.

Des motivations qui pressent

La loi prévoit la légalisation de la culture du cannabis jusqu’à la vente de produits de cannabis médicaux. Trois facteurs font de cette légalisation une urgence au Maroc. «Le premier facteur est que les produits à base de cannabis servaient à la base comme médicaments. Les grands médecins arabes en étaient conscients et y avaient recours dans leurs compositions pharmaceutiques», explique notre interlocuteur. Le deuxième facteur est lié au fait que le marché mondial du cannabis est en phase d’expansion. «Il ne faut pas être ébloui par les chiffres, car le marché mondial est très important et il est en forte croissance. Le marché marocain, malgré ses perspectives de croissance, reste encore très petit. Le Maroc a une capacité de production énorme, mais il ne faut pas qu’il tarde davantage à investir le marché. Il faut démarrer rapidement le processus vu que la régularisation de la culture devrait prendre un certain temps », rappelle l’expert.

Le troisième facteur est celui des conditions de culture du cannabis médical qui sont imposées par des normes internationales. Elles rentrent dans le cadre de l’agriculture durable (sans surexploitation de la terre). «C’est tout le contraire de l’agriculture intensive actuelle, qui est une menace très grave pour l’environnement. Le paysan du Nord, grâce à la légalisation du cannabis médical, va avoir une source de revenu plus importante, va pouvoir récupérer son statut de citoyen honorable qu’il mérite, tout en préservant son environnement».

En plus de cela, le trafic illégal du cannabis produit au Maroc nourrit un trafic international important, mobilisant des ressources humaines et financières importantes contre ses organisations criminelles et le blanchiment d’argent, sans pour autant que les saisies et les arrestations ne réduisent ce trafic. Le Maroc a plusieurs années de retard à rattraper pour se mettre au niveau des grands groupes de cannabis nord-américains et européens.

Hajar LEBABI

3 questions à Noureddine Moudian

Noureddine Moudian
Noureddine Moudian
«Au Royaume, la réouverture de ce dossier a tardé parce qu’il était considéré tabou»

Le président du groupe istiqlalien « Pour l’Unité et l’Egalitarisme » à la Chambre des Représentants, Noureddine Moudian, nous livre ses réflexions sur la légalisation de la culture médicale du cannabis.

- Quelle est la position du groupe istiqlalien sur la question de la légalisation du cannabis ?

- Le groupe « Pour l’Unité et l’Egalitarisme » a anticipé la discussion sur ce sujet en 1959. Depuis cette date, le parti tire la sonnette d’alarme sur la situation des agriculteurs qui cultivent le cannabis. Aucune alternative ne se présente à eux et ils vivent dans l’extrême pauvreté depuis des décennies. Leurs cultures sont abondantes, mais ne trouvent pas à qui les vendre.

La vente du cannabis était autorisée dans les souks et dans les régies de tabac, jusqu’au début de l’indépendance du Royaume. Plusieurs lois criminalisant sa vente ont été adoptées, dont celle du Dahir de 1974, qui classe le cannabis parmi les fortes et dures drogues.

En 2013, le groupe istiqlalien a proposé un projet de loi relatif à la réglementation de la culture du cannabis. En effet, il y a plus de 30.000 personnes recherchées dans ce cadre. On ne peut pas rester silencieux devant une telle situation. Aujourd’hui, le champ de culture du cannabis s’est élargi et ne se réduit plus aux trois zones historiques. Actuellement, le champ s’est élargi pour se produire dans toute la région Nord du Royaume, puis à Taounate.

- Pourquoi est-il nécessaire de trouver une solution à la question de la culture du cannabis ?

- Quand on criminalise sa commercialisation à l’international, la plupart des exportateurs sont des étrangers. Cette situation profite à ceux qui collectent ces produits chez des agriculteurs, à savoir les exportateurs qui, majoritairement, ont des nationalités étrangères, au grand dam des petits agriculteurs. Au Royaume, la réouverture de ce dossier a tardé parce qu’il était considéré tabou. Maintenant, il devient essentiel d’en parler pour résoudre des problèmes sociaux et économiques.

- Quels sont les points sur lesquels le projet de loi devrait mettre l’accent ?

- Ce projet de loi est un terrain de discussion pour exposer ces questions en concertation avec les agriculteurs, les autorités locales, les élus, les spécialistes et la société civile. Il faut d’abord légaliser la culture du cannabis, limiter les terrains de sa culture et amnistier les agriculteurs poursuivis.
 
Recueillis par H. L.

Encadré

Culture du cannabis : Le Liban, un exemple arabe de la légalisation

A l’instar du Maroc, le Liban est un pays producteur historique de cannabis. Le parlement libanais a adopté mardi une loi visant à légaliser la culture du cannabis à -1% de THC, pour des usages médicaux et industriel, devenant ainsi le premier pays arabe à légaliser, en partie, la culture du cannabis. Le projet de loi a été déposé en juillet 2018, puis approuvé par les commissions parlementaires et attendait le vote du Parlement. Le Hezbollah, souvent accusé de se financer notamment par la culture du cannabis, s’est, lui, opposé à ce projet de loi.

Selon la nouvelle loi, la culture du cannabis à -1% de THC sera autorisée pour les coopératives agricoles spécialisées établies au Liban, à des citoyens libanais tels que des agriculteurs ou des propriétaires fonciers, ainsi qu’à des laboratoires et centres de recherche qualifiés pour travailler avec des substances contrôlées.

Des licences pourront être accordées aux sociétés pharmaceutiques libanaises, aux industries en capacité de traiter les fibres de chanvre ou d’extraire des huiles et aux sociétés étrangères qui ont une licence pour travailler dans l’industrie du cannabis dans leur pays d’origine.

La nouvelle loi ne légalise en revanche ni le cannabis à haute teneur en THC ni le cannabis à usage adulte. Le Liban vise pour l’instant à promouvoir une nouvelle industrie légale de produits pharmaceutiques à base de cannabis, dont des produits de bien-être et de l’huile de CBD. Des produits industriels, tels que des fibres textiles, pourront également être fabriqués à partir de la plante.

Repères

Régulateur et police du cannabis
Selon le projet examiné par «L’Opinion», toute culture hors des cahiers de charges de l’Agence à venir sera lourdement sanctionnée. Preuve en est : quiconque cultive du cannabis en dehors des zones spécifiées, ou d’une manière qui dépasse ces zones, est passible d’une peine d’emprisonnement de trois mois à deux ans et d’une amende de 5.000 à 100.000 dirhams. Il en va de pair pour quiconque fournit de fausses données et informations pour l’octroi de la licence, ainsi que pour quiconque ne livre pas la totalité de la récolte aux coopératives, ou ne déclare pas les cultures endommagées ou détruites dans les délais légaux.
Plusieurs raisons pour légaliser 
Selon une étude publiée par l’institut Prohibition Partners, le Maroc pourrait drainer 100 milliards de DH de revenus de la culture du cannabis en cas de légalisation et de régulation du secteur. Ce n’est pas tout. A l’horizon 2023, le potentiel en termes de chiffre d’affaires pour le seul continent africain est évalué à 7,1 milliards de dollars, un peu plus de 70 milliards de DH. C’est le cas de plusieurs pays africains intéressés par la filière du cannabis et de sa légalisation dont l’Afrique du Sud, le Lesotho, le Nigeria, le Malawi, le Ghana et la Zambie.








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