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Licenciements économiques, plans sociaux…Ahmed El Majdi nous parle des responsabilités de l’entreprise en temps de Covid

Interview


Rédigé par Anass Machloukh Mardi 6 Octobre 2020

Avec les ravages causés par la crise sanitaire, les entreprises sont souvent poussées à procéder à des réductions de salaires, voire même des licenciements dans des cas extrêmes. Ahmed El Majdi, avocat au Barreau de Rabat, nous explique le volet légal de cette situation.



Ahmed El Majdi
Ahmed El Majdi
- Dans le contexte de la crise sanitaire, beaucoup d’entreprises ont procédé à des plans sociaux entraînant des licenciements. Dans quelles mesures la loi permet-elle ces procédures ?
- D’abord, il convient de préciser que les plans sociaux concernent les entreprises qui ont connu une quasi-paralysie de leur activité économique suite à la crise de la Covid 19, et qui, par besoin de survie ou de réaménagement de leurs effectifs, ont recours à des procédures spécifiques (administratives et judiciaires) afin de réduire leurs effectifs. A l’heure actuelle, il n’existe aucune disposition légale ou réglementaire spécifique, relative à la relation employeur/employé en temps de crise qui pourra donner des réponses claires et effectives à ces nouvelles situations juridiques. Néanmoins, le législateur a prévu, au niveau de l’article 66 du code du travail, la mise en place d’un mécanisme qui permet de réduire les effectifs en entreprise. Il s’agit du licenciement pour motifs structurels ou économiques.

Cela dit, le recourt à ce mode de licenciement n’est pas possible pour toutes les entreprises. Certains critères doivent être réunis pour s’en prévaloir. Ainsi, la procédure est, en premier lieu, d’ordre interne et implique une négociation entre les deux parties (employeur/employé). Deuxièmement, la procédure de licenciement d’une partie ou l’ensemble des salariés employés d’une entreprise pour motifs technologiques, structurels ou économiques, est d’ordre administratif. Cette procédure est subordonnée à une autorisation délivrée par le gouverneur de la préfecture ou de la province au chef d’entreprise, dans un délai maximum de deux mois à compter de la date de la présentation de la demande, par l’employeur, au délégué provincial du travail.

Il est aussi à signaler qu’un licenciement économique, non suffisamment justifié par l’employeur, peut être qualifié comme étant un licenciement abusif et donnera lieu à une réparation pécuniaire du préjudice et aux indemnités de dommages et intérêts en faveur l’employé.

- Le gouvernement a adopté un projet de décret autorisant les employeurs à licencier 20% de l’effectif de leurs entreprises, quelle est votre lecture à l’égard de cette décision ?
- Selon un rapport lancé par le ministre du Travail daté du 02 avril 2020, la pandémie aurait causé une rupture d’activité pour 700.000 employés dans le secteur privé, et la cessation de la continuité du fonctionnement de 113.000 entreprises, et cela à partir du 15 Mars 2020.

Dans cette traversée du désert, accompagnée par cette montée vertigineuse des chiffres de licenciements, et dans une optique d’assurer la survie de l’entreprise, les pouvoirs publics ont privilégié l’entreprise par rapport aux considérations sociales. Ils ont présenté, le lundi 6 juillet 2020 au Conseil des ministres, le projet de loi de finances rectificative visant à l’appui continu du gouvernement aux entreprises touchées par la crise. Ce dernier a mis en place des conditions aux aides qu’il compte attribuer aux entreprises dans un cadre contractuel, en mettant la condition de préserver au moins 80% des salariés déclarés à la CNSS, pour obtenir l’appui à la reprise économique. Ceci selon les dires du ministère de tutelle, comme cela a été annoncé lors de la présentation du projet de loi. Certes, c’est une excellente nouvelle pour les chefs d’entreprises touchées par la crise du fait que cette mesure se veut une démarche en faveur de la préservation de l’emploi. Par contre, c’est un appui implicite aux plans sociaux que comptent déclencher plusieurs entreprises.

Avant d’autoriser les entreprises à licencier massivement, il serait prudent de prévoir des filets de protection sociale, dont le but serait de protéger les familles les plus fragiles et amortir les conséquences du choc économique qu’elles subissent.

- Dans cette conjoncture particulière, les entreprises peuvent-elles procéder à des réductions de salaires au lieu des licenciements ?
- En vertu de l’article 185 du code de travail, il est permis, en cas de crise économique passagère ayant affecté l’entreprise, que l’employeur procède à la réduction de la durée normale de travail pour une période continue ou interrompue à condition de ne pas dépasser soixante jours par an, et ce, après consultation des délégués des salariés ou les représentants des syndicats au sein de l’entreprise. Dans ce cas, le salaire est payé pour la durée effective de travail et ne peut, en aucun cas, être inférieur à 50% du salaire habituel, sauf dispositions « plus favorables » pour les salariés. Il convient de préciser également que si la réduction de la durée de travail est supérieure à soixante jours par an, la période de cette réduction doit être fixée par accord entre l’employeur et les délégués des salariés et, le cas échéant, les représentants des syndicats dans l’entreprise. En dehors de ces modalités, et à défaut d’un texte spécial, il n’est pas admis de sortir du cadre légal et de baisser volontairement les salaires de ses employés. Toute atteinte pourra donner lieu à une action judiciaire en réparation du dommage causé devant le juge compétent.

- Y a-t-il une possibilité de procéder à un accord à l’amiable entre l’employeur et l’employé ?
- Le code du travail a institutionnalisé deux modes de règlement des conflits collectifs : la conciliation et l’arbitrage, deux mécanismes relevant du règlement des conflits collectifs du travail. La conciliation est prévue par l’article 551 du code du travail qui dispose que tout différend de travail, susceptible d’entraîner un conflit collectif, fait l’objet d’une tentative de conciliation devant le délégué chargé du travail auprès de la  préfecture ou de la province, de l’agent chargé de l’inspection du travail, de la commission provinciale d’enquête et de conciliation ou devant la commission nationale d’enquête et de conciliation. La procédure d’arbitrage est prévue par l’article 567 qui prévoit que si les parties ne parviennent à aucun accord devant la commission provinciale d’enquête et de conciliation et devant la commission nationale d’enquête et  de conciliation, ou si des désaccords subsistent sur certains points, ou encore en cas de non comparution de toutes ou de l’une des parties, la commission concernée peut soumettre le conflit collectif du travail à l’arbitrage, après accord des parties concernées.

Il était souhaitable que les entreprises ayant récemment entamé des procédures de licenciement économiques, aient le bon réflexe de choisir la médiation ou l’arbitrage pour régler, sur la base d’une communication non violente, le litige en explorant les solutions possibles. Ceci, en évitant d’aller prendre les sentiers du conflictuel par l’envoi de mise en demeure de licenciement pour motif économique ouvrant, ainsi, la voie aux affres procédurales qui s’en suivent. A mon sens, le choix d’une justice privée volontairement choisie ne fera que renforcer le climat de confiance entre les différents partenaires sociaux, et alléger le nombre de dossiers judiciaires ouverts devant nos tribunaux.

- Pour lutter contre le Coronavirus, les entreprises ont mis en place des protocoles sanitaires en milieu professionnel, est-ce que le non-respect des mesures sanitaires par les employés peut les exposer au risque de licenciement ?
- En temps de crise pandémique, le non-respect des règles sanitaires mises en place par l’employeur par le biais de protocoles sanitaires (règlement intérieur), tout comme le silence en cas de maladie, pourraient porter atteinte à l’intégrité physique du personnel de l’entreprise. Cela constitue en effet une faute grave de l’employé.

La faute grave peut résulter d’un fait ou d’un ensemble de faits, imputables au salarié, qui constituent une violation du règlement intérieur ou de son contrat, d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de l’intéressé dans l’entreprise. Le contrat de travail, comme tout engagement contractuel, doit obéir donc aux règles de bonne foi. Le salarié doit l’exécuter dans une situation conforme au droit et la conscience sans léser les droits d’autrui, et ce, conformément à l’article 231 du dahir des obligations et des contrats qui dispose que : tout engagement doit être exécuté de bonne foi, et oblige, non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que la loi, l’usage ou l’équité donnent à l’obligation d’après sa nature.

Au regard de la loi, le non-respect des mesures sanitaires par les employés peut les exposer au licenciement pour faute grave, car le code du travail prévoit, dans son  article 39, que si un salarié compromet la sécurité des autres travailleurs ou des locaux de travail, intentionnellement ou par négligence, il est dans l’erreur.

En temps de Covid-19, le silence du salarié peut avoir des conséquences dramatiques, non seulement sur la santé et la sécurité des collaborateurs, mais aussi sur l’ensemble de la population. Par ailleurs, il sied de noter que la loi devra s’adapter à cette situation inconfortable, et prévoir par un texte l’obligation d’informer son employeur sur son état de santé. Pour rappel, en 2015, le défaut d’information de l’employé à son employeur avait coûté la vie à 150 personnes, lors de l’accident du vol Germanwings 9525 à cause d’un co-pilote dépressif qui n’avait pas informé son employeur de sa maladie.  Ceci montre à quel point la situation pourrait empirer au cas où il y a un manque de responsabilité de la part des salariés, d’où la nécessité de mettre un texte clair qui dicte les procédures à suivre dans ce genre de situations.








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