Partie, la fée. Partie, la comédienne et l’auteure. Partie l’amie, la sœur et la compagne de quelques générations depuis la série « Hiya Whouwa » qui vient caresser le petit écran dans les années 1970. Partie celle qu’on n’évoque pratiquement jamais sans citer son partenaire et homme de sa vie Aziz Saâdallah. Partie le retrouver aux cieux, laissant derrière elle des millions d’orphelins. Khadija Assad est cette belle âme au grand cœur. Au théâtre (d’abord sous la houlette de Tayeb Saddiki dans « Maqamat Badie Zamane Al Hamadani »), à la télévision mais également au cinéma, elle prend le public par la main, l’entraîne dans un monde où l’art et la délicatesse se font amants, l’humour en pole position. Et avec cela, un bel amour pour la jeunesse qu’elle encadre sans compter. Au théâtre, on se rappelle du phénoménal succès au Maroc et à l’international de « Costa Ya Watan », pièce écrite par elle. A la télévision où elle sévit le plus, elle enchaîne : « Lalla Fatéma », « Bent Bladi », « Machi Bhalhoum », « Kissariyat Oufella » … Au cinéma, la voilà en 1998 dans « Les Casablancais » de Abdelkader Laktaâ, « Number One » en 2007 de Zakia Tahiri… Elle se soucie autrement de la situation théâtrale dans le pays en créant en 1993 avec son mari le Syndicat national des professionnels du Théâtre.
Faire rire les anges
Pour mieux nous narrer l’artiste sans la dissocier de son époux, nous contactons l’écrivain, critique et ancien directeur de l’Institut supérieur d’art dramatique et d’animation culturelle (ISADAC), Ahmed Massaia : « Rares sont les couples au théâtre comme Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud, par exemple, qui sont aussi célèbres l’un que l’autre et qui ont cheminé sur les planches comme dans la vie, côte à côte, se confondant l’un dans l’autre, se complétant l’un l’autre, avec la même passion, le même investissement et la même notoriété. Ce fut le cas, chez nous, de Khadija Assad et Aziz Saâdallah. Khadija Assad n’a pas survécu à la mort de son compagnon de vie comme dans l’art. Elle vient de le rejoindre là où leurs âmes se donneront sans doute la réplique pour faire rire les anges. Le couple Khadija Assad- Aziz Saadallah ne se sont jamais séparés au théâtre (avec Tayeb Saddiki puis dans leur propre troupe ‘’Le Théâtre 80’’). Dans la vie aussi. En supportant les frasques d’un mari volage, Khadija a toujours su redresser la barre d’un bateau qui tanguait et qui risquait à tout moment de chavirer. Khadija était sage. Khadija était coriace avec douceur. Khadija avait toujours eu la tête sur les épaules. Même quand le succès les avait menés au firmament de la célébrité (succès phénoménal de ‘’Costa ya Watan’’ avec des centaines de représentations et une tournée mondiale), le couple était toujours resté humble, pragmatique et serein car Khadija Assad avait toujours su séparer le grain de l’ivraie afin de maintenir la flamme de la création qui éclaire le chemin de l’acteur car elle savait qu’il est semé d’embuches et qu’il fallait lutter avec calme et sérénité pour survivre. » Et on imagine Assad acquiescer.
Une soirée mémorable
Quant au cinéaste Abdelkrim Derkaoui, frère de Mostafa, incessamment de retour avec le long métrage « Hmida Ejayeh », il prend son élan, remonte le temps en baissant le ton : « Au Maroc, Mostafa et moi, nous avons et reconnaissons deux Maîtres, pas trois : Abderrahmane Khayat et feu Nour-Eddine Saïl. Le premier que nous connaissons depuis son retour de l’IDHEC en 1963, avec sa fiancée mademoiselle Naîma Elmcherqui. À notre retour de Pologne en septembre 1972, c’est lui qui a guidé nos premiers pas pour nous intégrer dans notre domaine... Le second nous a protégés et veillé sur nous depuis Septembre 1972 et tout au long de sa vie. Abderrahmane Khayat nous a séquestrés chez lui pendant une petite semaine. Il nous éclairait sur ce qui s’est passé pendant les sept années que nous avions passées en Pologne... Mme Naïma Elmcherqui pendant ce séjour-là a dû préparer au minimum une trentaine d’une grande cafetière... Durant les ‘’tribulations’’ engagées par Abderrahmane pour nous mettre dans le bain, il a tenu à nous faire connaitre les gens avec lesquels nous serions obligés de travailler. C’était une valse de plusieurs semaines entre Latif Lahlou, Hamid Benchérif, Nour Eddine Ayouch, difficile de tous les énumérer... et nous avons finalement atterri chez un couple (Hiya Whouwa). Je peux tout oublier dans ma vie, mais je n’oublierai jamais cette soirée passée chez Aziz Saâdallah et Khadija Assad, une soirée mémorable. Aziz est devenu l’alter-ego de Mostafa. Il exprimait dans ‘’Titre provisoire’’ ce que Mostafa ne pouvait ou ne voulait dire. Khadija, elle, qui faisait mille choses à la fois vu son talent et ses multiples dons a finalement été ‘’kidnappée’’ avec son Aziz par Hamid Benchérif qui en a fait les vedettes de son émission TV-3. Cela a duré longtemps, plusieurs années de collaboration que j’ai vécue avec un immense intérêt et plaisir et surtout une admiration sans limite pour Khadija. Tous les adjectifs superlatifs de la belle langue de Molière seraient insuffisants pour la décrire. Un adjectif quand même lui irait bien : Fascinante. Elle inspirait l’envie et la joie de vivre. En Égypte où nous avons passé deux semaines de tournage et où nous avons rencontré presque tout le monde artistique, y compris la sublime Sabah et le grand Youssef Chahine, tous et toutes n’avaient d’yeux que pour elle... Je suis obligé de m’arrêter parce que j’ai la gorge serrée et les larmes aux yeux ! » Elle doit essuyer les siennes en assistant en plongée à ce qui se dit et s’écrit sur sa joyeuse personne par ses compagnons de lutte… artistique.
Anis HAJJAM