Concentrons-nous sur un nouveau venu, un venu bien venu. Ce garçon est une arrière-pensée, un fort en thème, un douteux besogneux, un troublant créateur. Il aime se déclarer, sans pour autant se déclarer. Il croit que le monde ne l’interpelle pas, et c’est toute sa force. A trente ans, Yahya n’est ni Chraïbi ni Dakhama. Il est lui-même. Ce qu’il dévale est un fracas d’œuvres à l’inspiration dite et assumée. Un OVNI pictural à la noyade belle comme l’insubmersible définitive reconnaissance. Yahya fait et défait. Lorsqu’on observe ses œuvres, il est recommandé de bien les scruter : des conflits multiples jonchent ces tas de réalisations. Bien des voix s’élèvent créant un brouhaha indéfinissable et bienvenu. Seulement, l’art n’a besoin de personne lorsqu’il a envie de tout le monde.
Le passé maître du futur
Cette série, dite « The Radiant Child », renvoie en référence au documentaire de Tamra Davis consacré à Basquiat que Yahya revendique en appelant sa série du même nom. La galerie qui le loge, Shart pour la nommer dans le sens du poil, le délie ainsi : « Dès son enfance, il se plonge dans la lecture de bandes dessinées et la découverte dès l’adolescence de la culture japonaise des mangas lui donne le gout du dessin et surtout l’appartenance à un style. Original dans son approche narrative où les rôles s’inversent, le mal dominant exclusivement les compositions et faisant deviner l’existence du bien, les recherches de Yahya portent aussi sur la notion de paradoxe, matérialisée ici par une contradiction entre la luminosité de la palette et le machiavélisme des personnages. » Cet artiste se trouble en cognant le mur qui lui livre son inspiration première. Il n’a peut-être besoin de personne et envie de tout le monde. Mais c’est le passé qui lui dicte son futur.
Il est d’une incroyable minutie, conjuguée à une approche bouleversante comme la vie. Il s’en va croyant s’installer, il retourne en décidant de s’en aller. Yahya est une claque, une belle gifle qu’il peut s’administrer à outrance. A lui-même, si cela ne lui rappelle que de belles caresses. La galerie Shart continue : « Peinture, encre, pastel, feutre, tous les moyens sont bons pour assouvir cette frénésie d’esquisses, cette liberté de gribouiller, de se plaire dans les coins et les recoins du support entre expressionisme abstrait et expressionisme figuratif. » A l’endroit de ce jeune et prometteur artiste, une grosse envie d’y croire s’impose. Qu’il quitte Basquiat en le gardant comme frère du club des 27, qu’il l’oublie pour aller de l’avant, son avenir est bien devant lui. Et la galerie Shart qui tonne : « Yahya Chraïbi Dakhama est un artiste libre qui veut partager sa propre histoire de l’art.
Polyglotte et mélomane, souvent extravagant, il propose une œuvre en phase avec son vécu, toujours entre doute et convictions, définitivement en rupture avec les lignes établies, une expression artistique chaotique et soignée. » Yahya n’est pas seul au monde. Il se conjugue en s’imposant le pluriel. Ses toiles crient pour lui, se taisent lorsqu’il se surpasse devant. Son travail, absolument inédit, fait de lui un futur ancien grand créateur. Il peint en bâtonnant, colorie en giclant, gribouille en dessinant. Un artiste en format évolutif, un garçon à surveiller comme le lait sur le feu.
Anis HAJJAM