Comment évoquer ce personnage sans aborder ses nombreuses dévotions, littéraires d’abord et journalistiques ensuite ? Il est l’une des fines pépites de ce pays. Il hurle à voix basse et actionne avec grandiloquence ses mécontentements face à l’incongruité de ce qui s’agite autour de lui.
Boubker Monkachi se construit en dévorant méticuleusement moult sortes d’ouvrages. Il est le gourmet de la lecture. Plus qu’un lecteur, un liseur. Il se ballade avec nonchalance entre poésie, romans, essais et oeuvres théâtrales. Pour lui, un mot n’a pas de synonyme, «chaque mot a sa subtilité, sa spécificité».
En somme, le terme juste à affecter à l’endroit qu’on lui choisit dans la broderie d’une phrase. Il se laisse amoureusement emporter par la beauté de la langue française jusqu’à enivrement. Lorsqu’il écrit, il est ensorcelé par la magie du verbe, par le sens qui en découle.
Tiraillé entre ce qui se dit légèrement et ce qui s’archive à jamais, il préfère porter sa voix en apnée, sortir la tête de l’eau lorsque la réflexion est mûre. Sa vie faussement tranquille est également celle d’un militant intransigeant, celle d’une bête de la revendication baignée dans une gauche farouche. Boubker Monkachi est un politic-victim. Il y trempe tôt, très tôt. Son parcours journalistique le confirme, la vague à l’âme, le coeur battant au rythme de solides désirs de changement et de développement. Il quitte ce monde, le corps fragilisé, l’esprit en folle fertilité.
Sa défunte femme Ninette lui donne des enfants dont il est religieusement fier. Forts en connaissances et en diplômes, ils lui rendent la pareille avec douceur et sagesse. Boubker les ajuste dans leurs véritables préoccupations qu’il saupoudre de savoir et de culture.
L’un de ses amis, Khalil Hachimi Idrissi, incisive plume francophone, actuel patron de Maghreb Arab Press (MAP), conte avec délicatesse la belle âme qu’il a connue : «Boubker était un gentleman. D’une culture générale réelle, d’un pacifisme andalou concret, d’une voix posée et des convictions chevillées au corps. Un journaliste de cette trempe, on n’en fait plus. Avec Boubker Monkachi ce n’était pas uniquement une question de métier ou de professionnalisme. C’était un homme de culture dans sa puissance intellectuelle et, aussi, dans sa faiblesse intrinsèque et ses doutes fondateurs qui font de lui un vrai homme de réflexion.»
UNEM, UNFP, UMT, Maghreb Informations
Boubker Monkachi est un façonneur de l’écrit. Son nom colle aux plus belles histoires marocaines du métier de journaliste, avec quelques déceptions en cours de route. Mais, pareilles portes, il sait les claquer non sans élégance.
Le jeune homme, natif d’Ouezzane en 1943, met cap sur la capitale au milieu des années 1950 et intègre en interne le collège Moulay Youssef. Il décroche son baccalauréat au lycée Les Orangers et rejoint les rangs de l’UNEM, l’Union marocaine des étudiants du Maroc.
Après un séjour au Sénégal où il lance un magazine donnant la parole aux sans-voix, Boubker Monkachi rentre au bercail et rallie l’Union nationale des forces populaires (UNFP) qu’il délaisse suite à une scission au sein de ses instances. Direction l’UMT, l’Union marocaine des travailleurs, où il est chargé de la communication de la centrale syndicale. Une occasion s’offre en filigrane au doux trublion de pousser définitivement la porte du journalisme. Nous sommes dans les années soixante.
La Centrale crée le journal L’Avant-garde et installe Monkachi au poste de Secrétaire de rédaction. Quelques années plus tard, en 1972, l’UMT rachète le quotidien Maghreb Informations né en 1966 sur les cendres de Maroc Informations d’Ahmed Benkirane, repris par Mohamed Loghlam et Zakya Daoud (Lamalif) qui s’associent déjà à l’UMT. C’est à Boubker Monkachi que revient le siège de directeur. L’aventure prend fin deux années plus tard.
MAP, Maroc Hebdo et CGEM
En 1976, le journaliste est approché par la MAP de Abdeljalil Fenjiro. Il s’occupe alors d’économie et de social jusqu’à son départ en 1982.
Abdallah El Amrani, son ancien directeur au bureau de l’Agence à ExpositionCasablanca raconte (lire plus loin son intéressant témoignage) : «Boubker était un écrivain perfectionniste qui avait horreur du subalterne et produisait les mots à l’aune du sublime. La plume devient entre ses doigts une once d’or. C’est pourquoi la créativité qu’il recelait explosait parfois à partir de faits qui nous paraissent, à nous autres journalistes ordinaires, des phénomènes anodins qui ne méritent pas un traitement particulier. Je me rappelle dans ce contexte la période que le regretté défunt avait vécu à mes côtés au bureau de la MAP à Casablanca que j’ai dirigé entre 1975 et 1980. Il était en charge de la réalisation du mensuel ECONOMAP, mais cela ne m’empêchait pas de lui demander de soutenir la rédaction dont la ‘productivité’ était scrutée par une hiérarchie rbatie peu clémente et surtout peu confraternelle. Sur ces interventions improvisées, Boubker Monkachi était inégalable. Je me rappelle à ce propos que nombre de dépêches signées BM ont été reprises par les agences internationales, AFP en tête, et reçurent un accueil retentissant. C’était, je m’en souviens, le cas de sujets que je lui avais proposés comme l’histoire de cet agriculteur de Tit Melil qu’une fois mort, on lui découvrit cinq épouses légales, la femme doukalie polyandre ou ce ‘fait divers’ d’un couple de dauphins venus échouer sur les rivages de Aïn Diab que la plume de Boubker chargea d’intenses sentiments amoureux. Au point d’en faire pleurer des journalistes, dont Fadela Rkaïna, peu habitués à ce type de journalisme qui ne s’enseigne nulle part.»
Au début de la décennie 1990, Monkachi est entraîné dans la création du news magazine Maroc Hebdo de l’ancien collaborateur de Jeune Afrique Mohamed Selhami. Il y tient une rubrique où le littéraire bat à plates coutures le journalisme cru. Une expérience qui fait long feu puisque les promesses éditoriales ne sont pas respectées. Refusant de baisser pavillon, Boubker -rédacteur en chef- quitte le navire avec son habituel flegme. Il fait un grand tour ensuite chez les acteurs du patronat, la CGEM, jusqu’à son départ à la retraite.
Aujourd’hui, il refait l’au-delà en compagnie du beau monde qui est le sien : Mehdi Ben Barka, Larbi Essakalli, Mohamed M’jid, Abdessamad Kenfaoui, Saïd Saddiki, Mahjoub Ben Seddik, Abderrahim Bargach, Mustapha El Khaoudi, Abdelkader Chabih, Mohammed Khaïr-Eddine, Fouad Nejjar, Mao Berrada, Mustapha Iznassni, Mustapha Berrada… et Ninette. Là où les écrits s’envolent et les paroles restent.
Boubker Monkachi se construit en dévorant méticuleusement moult sortes d’ouvrages. Il est le gourmet de la lecture. Plus qu’un lecteur, un liseur. Il se ballade avec nonchalance entre poésie, romans, essais et oeuvres théâtrales. Pour lui, un mot n’a pas de synonyme, «chaque mot a sa subtilité, sa spécificité».
En somme, le terme juste à affecter à l’endroit qu’on lui choisit dans la broderie d’une phrase. Il se laisse amoureusement emporter par la beauté de la langue française jusqu’à enivrement. Lorsqu’il écrit, il est ensorcelé par la magie du verbe, par le sens qui en découle.
Tiraillé entre ce qui se dit légèrement et ce qui s’archive à jamais, il préfère porter sa voix en apnée, sortir la tête de l’eau lorsque la réflexion est mûre. Sa vie faussement tranquille est également celle d’un militant intransigeant, celle d’une bête de la revendication baignée dans une gauche farouche. Boubker Monkachi est un politic-victim. Il y trempe tôt, très tôt. Son parcours journalistique le confirme, la vague à l’âme, le coeur battant au rythme de solides désirs de changement et de développement. Il quitte ce monde, le corps fragilisé, l’esprit en folle fertilité.
Sa défunte femme Ninette lui donne des enfants dont il est religieusement fier. Forts en connaissances et en diplômes, ils lui rendent la pareille avec douceur et sagesse. Boubker les ajuste dans leurs véritables préoccupations qu’il saupoudre de savoir et de culture.
L’un de ses amis, Khalil Hachimi Idrissi, incisive plume francophone, actuel patron de Maghreb Arab Press (MAP), conte avec délicatesse la belle âme qu’il a connue : «Boubker était un gentleman. D’une culture générale réelle, d’un pacifisme andalou concret, d’une voix posée et des convictions chevillées au corps. Un journaliste de cette trempe, on n’en fait plus. Avec Boubker Monkachi ce n’était pas uniquement une question de métier ou de professionnalisme. C’était un homme de culture dans sa puissance intellectuelle et, aussi, dans sa faiblesse intrinsèque et ses doutes fondateurs qui font de lui un vrai homme de réflexion.»
UNEM, UNFP, UMT, Maghreb Informations
Boubker Monkachi est un façonneur de l’écrit. Son nom colle aux plus belles histoires marocaines du métier de journaliste, avec quelques déceptions en cours de route. Mais, pareilles portes, il sait les claquer non sans élégance.
Le jeune homme, natif d’Ouezzane en 1943, met cap sur la capitale au milieu des années 1950 et intègre en interne le collège Moulay Youssef. Il décroche son baccalauréat au lycée Les Orangers et rejoint les rangs de l’UNEM, l’Union marocaine des étudiants du Maroc.
Après un séjour au Sénégal où il lance un magazine donnant la parole aux sans-voix, Boubker Monkachi rentre au bercail et rallie l’Union nationale des forces populaires (UNFP) qu’il délaisse suite à une scission au sein de ses instances. Direction l’UMT, l’Union marocaine des travailleurs, où il est chargé de la communication de la centrale syndicale. Une occasion s’offre en filigrane au doux trublion de pousser définitivement la porte du journalisme. Nous sommes dans les années soixante.
La Centrale crée le journal L’Avant-garde et installe Monkachi au poste de Secrétaire de rédaction. Quelques années plus tard, en 1972, l’UMT rachète le quotidien Maghreb Informations né en 1966 sur les cendres de Maroc Informations d’Ahmed Benkirane, repris par Mohamed Loghlam et Zakya Daoud (Lamalif) qui s’associent déjà à l’UMT. C’est à Boubker Monkachi que revient le siège de directeur. L’aventure prend fin deux années plus tard.
MAP, Maroc Hebdo et CGEM
En 1976, le journaliste est approché par la MAP de Abdeljalil Fenjiro. Il s’occupe alors d’économie et de social jusqu’à son départ en 1982.
Abdallah El Amrani, son ancien directeur au bureau de l’Agence à ExpositionCasablanca raconte (lire plus loin son intéressant témoignage) : «Boubker était un écrivain perfectionniste qui avait horreur du subalterne et produisait les mots à l’aune du sublime. La plume devient entre ses doigts une once d’or. C’est pourquoi la créativité qu’il recelait explosait parfois à partir de faits qui nous paraissent, à nous autres journalistes ordinaires, des phénomènes anodins qui ne méritent pas un traitement particulier. Je me rappelle dans ce contexte la période que le regretté défunt avait vécu à mes côtés au bureau de la MAP à Casablanca que j’ai dirigé entre 1975 et 1980. Il était en charge de la réalisation du mensuel ECONOMAP, mais cela ne m’empêchait pas de lui demander de soutenir la rédaction dont la ‘productivité’ était scrutée par une hiérarchie rbatie peu clémente et surtout peu confraternelle. Sur ces interventions improvisées, Boubker Monkachi était inégalable. Je me rappelle à ce propos que nombre de dépêches signées BM ont été reprises par les agences internationales, AFP en tête, et reçurent un accueil retentissant. C’était, je m’en souviens, le cas de sujets que je lui avais proposés comme l’histoire de cet agriculteur de Tit Melil qu’une fois mort, on lui découvrit cinq épouses légales, la femme doukalie polyandre ou ce ‘fait divers’ d’un couple de dauphins venus échouer sur les rivages de Aïn Diab que la plume de Boubker chargea d’intenses sentiments amoureux. Au point d’en faire pleurer des journalistes, dont Fadela Rkaïna, peu habitués à ce type de journalisme qui ne s’enseigne nulle part.»
Au début de la décennie 1990, Monkachi est entraîné dans la création du news magazine Maroc Hebdo de l’ancien collaborateur de Jeune Afrique Mohamed Selhami. Il y tient une rubrique où le littéraire bat à plates coutures le journalisme cru. Une expérience qui fait long feu puisque les promesses éditoriales ne sont pas respectées. Refusant de baisser pavillon, Boubker -rédacteur en chef- quitte le navire avec son habituel flegme. Il fait un grand tour ensuite chez les acteurs du patronat, la CGEM, jusqu’à son départ à la retraite.
Aujourd’hui, il refait l’au-delà en compagnie du beau monde qui est le sien : Mehdi Ben Barka, Larbi Essakalli, Mohamed M’jid, Abdessamad Kenfaoui, Saïd Saddiki, Mahjoub Ben Seddik, Abderrahim Bargach, Mustapha El Khaoudi, Abdelkader Chabih, Mohammed Khaïr-Eddine, Fouad Nejjar, Mao Berrada, Mustapha Iznassni, Mustapha Berrada… et Ninette. Là où les écrits s’envolent et les paroles restent.
Anis HAJJAM