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Culture

Magazine : Noureddine Bikr, satire vers le haut


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 11 Septembre 2022

Le 28 janvier dernier, alors que quelques «poètes» des réseaux sociaux avaient décidé d’arracher -pendant plusieurs mois- la vie au comédien, nous rendions ici-même hommage à l’enfant terrible de la dramaturgie. Un interprète de fond, une des rares perles du paysage artistique marocain. Il séduisait et convainquait dans plusieurs registres. Il aimait rire et affectionnait la vie qu’il a quittée le 1er septembre à 70 ans. Voici de larges passages revisités de l’oeillade jetée à une personne humainement nantie.



Le comédien apprend à faire du théâtre avec exigence.
Le comédien apprend à faire du théâtre avec exigence.
L’homme est un surexcité-né. Une boule de nerfs qui n’abdique que lorsque le sommeil l’envahit. Et encore… On ne sait pas s’il secoue ses rêves, s’il gronde ses cauchemars, s’il s’extrait des deux pour scénariser lui-même sa léthargie. Il rit de tout, certainement pas avec tout le monde, mais rit de tout son être. S’il ne tient pas en place, c’est parce que son fin physique mêlé à un esprit sans cesse en mouvement le lui permettent. Avec l’ironie qui lui sert de socle. Un amuseur ? Plutôt un comique de caractère, adepte de la médisance des mots et des gestes, l’autodérision en belle position. Et avec cela, une fierté qui ne se dément pas. L’affable personne, amoureuse de la vie et de ceux qui l’irriguent avec passion, n’aspire qu’à une chose : ne jamais trahir son public, nombreux et diversifié. Et puis, la maladie prend ses aises, le mal s’installe.

Couteau suisse

L’enfant du quartier casablancais Derb Soultane est encore adolescent lorsqu’il goûte aux plaisirs des planches. On est en 1967 quand Noureddine Bikr rejoint la troupe Al Oukhouwa Al Arabiya dirigée par Abdeladim Chennaoui. Des balbutiements qui le conduisent plus tard à l’école Tayeb Saddiki à qui on doit l’encadrement de plusieurs futures stars. Le jeune homme séduit et bénéficie de petits rôles qui le propulsent rapidement au-devant de la scène. Avec son «maître» Tayeb, il apprend à faire du théâtre avec exigence.

Farceur inconsolable, il dit devoir son « amour pour le théâtre au cinéma, même s’il m’arrivait, encore enfant, de fréquenter les halqas ». Le comédien -et pas acteur !- élargit son expérience à la télévision et au cinéma. Le voici en 1984 dans « Zeft » de l’omni Saddiki et d’autres aventures s’enchaînent.

En vrac, on énumère, entre téléfilms, longs métrages, séries et sitcoms : « Assarab », « Serb la7mam », « Al Moussaboune », « Al Haribane », « 3andak a Miloud », « Hakada ourid », « Stagiaire », « Saken wmeskoune », « 3emmi », « Braquage Bel maghribiya », « Coeur généreux »… Au théâtre dans les années 1990, Bikr plafonne en notoriété avec la troupe Masrah El Hay grâce à des pièces fédératrices comme « Cherre7 melle7 » et « 7eb wtben ».

Mais le comédien peut évoluer tel un couteau suisse pour différentes productions. Son génie lui permet de s’adapter en bluffant professionnels et public. Les accents, il en use avec maestria convoquant ceux du Berbère, de l’Aâroubi, du Marrakchi, du Souiri, du Fassi, avec une éternelle référence à l’héritage vocal de Tayeb Saddiki -encore lui!

Au service de l’Autre

Noureddine Bikr, à qui Mohamed El Jem aurait chapardé sa façon de soulever le pantalon vers le nombril (sur scène), est un comédien collectif professionnellement et un one-man-show acerbe dans la vie. Dès qu’il se retrouve entouré, il s’arrange pour faire cavalier seul, attirant l’attention même de ceux qui ne l’entourent pas. Il est ainsi ce trublion, capable de faire rire avant de libérer sa bouche de la moindre phrase assassine. Un tueur vous dit-on ! Un tueur à la retraite, un tueur qui prend de l’âge sans vieillir pour autant. Ce garçon, à qui la vie ne réserve pas que des moments d’extase, rend heureux des millions de ses compatriotes. De par ses multiples rôles, il fait rêver, réfléchir, rire, vivre.

Depuis que son corps perd de sa superbe, on l’annonce enlaçant l’au-delà, le déclarant rejoindre la terre depuis près d’une année. Noureddine en rit et en a ri jusqu’à son véritable dernier souffle. A soixante-dix printemps dont plus de cinquante au service de l’art et de l’Autre, il aura vaguement vécu en paix. Avec l’empreinte indélébile «Made in Morocco». Bikr, l’homme drôle et émetteur de bonnes ondes, traverse les années en les caressant de sa délicatesse artistique et créative. Les personnages qu’il campe le nourrissent sans discontinuer, lui rappellent qu’il y a un passé, un présent et un futur, la suite étant jonchée de néant.




Anis HAJJAM



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