C’est une lourde défaite pour le Parti socialiste qui vient de subir l’une des débâcles électorales les plus cuisantes depuis son arrivée au pouvoir en 2018. Dimanche 28 mai, le parti de Pedro Sanchez a essuyé un revers majeur à l’issue des élections régionales. La droite a remporté une victoire éclatante en gagnant six des dix régions disputées. Idem pour les élections locales où le Parti populaire (PP) est arrivé en tête du podium avec 31% des voix (7 millions) loin devant les socialistes qui se sont contentés de 28,1% de bulletins (6,3 millions). L’extrême droite, incarnée par VOX, s’est bien sortie de ce scrutin en confirmant son statut de troisième force politique du pays, en obtenant deux fois plus de voix que lors des élections précédentes. La formation de Santiago Abascal a obtenu 1,5 million de voix aux municipales (7,19%), doublant ainsi son score en quatre ans.
La droite frappe à la porte de la Moncloa
La déroute électorale a été tellement dure que Pedro Sanchez a dû annoncer des élections législatives anticipées. Prévues initialement en décembre prochain, elles ont été avancées à juillet. Il s’agit d’un coup dur pour un gouvernement en cours de mandat, compte tenu de l’importance de ce genre de scrutin dans un pays où l’autonomie des Régions est poussée à son comble. La défaite est telle que le futur de Pedro Sanchez à la tête du gouvernement semble menacé, à en croire ce qui circule dans la presse ibérique. Des médias espagnols, comme la presse internationale, ont d’ores et déjà commencé à parler d’un « virage à droite ».
Ainsi, à la veille du scrutin législatif, prévu le 23 juillet, le bloc conservateur se dirige à pas assurés vers la Moncloa et ouvre la porte à un éventuel retour au pouvoir tant attendu après le départ humiliant de l’ex-Premier ministre, Mariano Rajoy, de la Primature à l’issue d’une motion de censure en 2018. Pour sa part, le leader du Parti populaire, Alberto Núñez Feijóo, en est convaincu parce qu’il a immédiatement annoncé «un nouveau cycle politique » après le triomphe électoral de son parti. S’il dit cela, c’est parce qu’il est convaincu que les élections locales sont un laboratoire du scrutin législatif, sachant que les sondages sont, depuis des mois, favorables aux conservateurs. Un sondage, effectué pour El País et la radio Cadena SER, a donné le PP gagnant aux élections législatives avec 124 sièges au Parlement.
Quel impact sur les relations avec le Maroc ?
Comme la droite s’approche au pouvoir, bien que rien n’est encore acquis, le scénario d’une vague conservatrice ne manquera pas d’avoir des implications sur les relations entre Rabat et Madrid, lesquelles se sont remarquablement raffermies au cours du mandat de Pedro Sanchez, malgré la crise liée au scandale Brahim Ghali. Depuis la réconciliation en 2022, les relations bilatérales n’ont jamais été aussi amicales et la coopération jamais aussi étroite. En témoignent la réussite de la Réunion de Haut niveau, tenue en février 2023, et le succès des forums d’affaires dont un nouveau round est prévu le 6 juin à Casablanca.
Ceci a poussé le ministre des Affaires étrangères, José Manuel Albares, à dire que « le Maroc n’est pas un simple voisin, mais un partenaire stratégique pour l’Espagne ». Si le chef de la diplomatie espagnole s’évertue à combler le Maroc de louanges à intervalles réguliers, c’est parce qu’il veut garder cette dynamique au moment où il se montre inquiet de ce qu’il a qualifié de « radicalisation » du discours de la droite à l’endroit du Maroc.
Albares est allé jusqu’à reprocher à la droite, dans une interview accordée au site « The Objective », de vouloir ramener l’Espagne à un choc avec le Maroc. Il a ainsi réagi aux nombreuses sorties médiatiques de plus en plus musclées des figures emblématiques de la droite dure, dont le chef du PP qui voit dans la politique de Pedro Sanchez envers le Maroc une « humiliation pour l’Espagne ». D’autres figures emblématiques telles que l’ex-Premier ministre, José Maria Aznar, continuent de percevoir le Maroc comme un adversaire systématique de l’Espagne. Pour sa part, le leader de VOX, Santiago Abascal, a fait savoir que le soutien espagnol au plan d'autonomie n'engage que le gouvernement de Pedro Sanchez.
Sahara : le legs sulfureux de Pedro Sanchez
Ceci laisse croire que le retour des conservateurs peut faire planer le doute sur le futur du soutien espagnol au plan d’autonomie pour le Sahara, surtout dans un scénario d’alliance entre VOX et le PP. Le revirement diplomatique historique de Pedro Sanchez, rappelons-le, a été fortement décrié par les députés du PP au Parlement comme c’est le cas de l’ensemble de l’opposition. Il est probable que la droite rejette le legs de Pedro Sachez au sujet du Sahara, estime Emmanuel Dupuy, Président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), qui pense qu’il est évident que le PP, maintenant à l’opposition, s’oppose par rivalité politique à la politique étrangère des socialistes. Toutefois, poursuit notre interlocuteur, il est également possible que le Parti populaire, en cas de retour aux commandes, maintienne la décision de Sanchez sans le dire ouvertement dans un scénario à l’américaine. En gros, tout dépendra des circonstances et des intérêts communs.
Concernant le discours musclé de la droite à l’endroit du Maroc, Emmanuel Dupuy estime que cela fait partie du jeu politique en Espagne. En effet, durant la campagne électorale, les partis de droite n’ont pas manqué de surfer sur plusieurs controverses liées au Maroc, dont l’achat des voix à Mellilia - que le gouvernement marocain a démentie officiellement - et la récente polémique sur la lettre qu’aurait envoyée le Maroc à la Commissaire européenne sur les deux présides. Muscler le discours à l’encontre du Maroc est une carte qui peut paraître parfois utile pour mobiliser l’électorat de droite. Raison pour laquelle VOX et le PP en usent le maximum possible. Cela ne veut pourtant pas dire, aux yeux d’Emmanuel Dupuy, que la droite espagnole est foncièrement hostile au Maroc puisque l’attitude du Parti populaire à l’endroit du Royaume dépend des présidents qui se succèdent à sa tête. Pour sa part, l’actuel président a d’ores et déjà montré le bout du nez en durcissant son discours vis-à-vis de son voisin du Sud.
Anass MACHLOUKH
Trois questions à Emmanuel Dupuy « Les relations entre la droite espagnole et le Maroc dépendent de la personnalité du président du PP »
Emmanuel Dupuy, Président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), a répondu à nos questions.
La droite a durci son discours contre le Maroc ces deniers temps au point que José Manuel Alabres s’en est inquiété. S’agit-il d’une simple stratégie électorale ?
- La victoire du Parti populaire aux élections législatives est probable. Le PP se sent électoralement supérieur au Parti socialiste et éprouve le besoin d’entrer dans des lignes clivantes en assumant des positions contraires aux socialistes. Il est clair que le PP ne peut gouverner seul. En dépit de son poids électoral, il devrait composer avec l’extrême droite, incarnée par VOX, qui pèse 13 ou 14%. Un scénario à l’italienne. Cela dit, le PP doit donner des gages à son éventuel allié pour former une coalition. Pour cette raison, il sera obligé de centrer le débat sur la question migratoire en durcissant le ton contre les pays du Sud, dont le Maroc. VOX est tellement nationaliste qu’il ne serait pas très soucieux d’avoir une relation d’équilibre avec le Maroc. Ces éléments justifient, à mon avis, la radicalisation du discours de la droite espagnole, à laquelle vous faites allusion.
Trouvez-vous qu’il y a une animosité foncière chez la droite espagnole envers le Maroc ?
- Les relations entre la droite espagnole et le Maroc dépendent étroitement de la personnalité du président du PP et il est clair que Alberto Núñez Feijóo est plus dur à l’endroit du Maroc que son prédécesseur Pablo Cassado. Mais ce n’est pas une raison pour dire que la droite est foncièrement hostile. Rappelons-nous que la dimension marocaine a la même charge émotionnelle en Espagne que la dimension algérienne en France. Cela dit, il y a des gens qui ont intérêt à muscler ou attendrir leur discours vis-à-vis du Royaume pour des raisons politiques au gré des échéances électorales. Foncièrement, la droite espagnole n’est pas anti-marocaine. Comme elle est conservatrice, elle trouve au sein du Maroc des partenaires comme le RNI et le Parti de l’Istiqlal.
En cas de retour au pouvoir, la droite sera-telle tentée de révoquer le soutien espagnol au plan d’autonomie ?
- De mon point de vue, il y aura certainement un changement. Alberto Núñez Feijóo s’est montré réticent à la démarche du gouvernement socialiste de soutenir le plan d’autonomie pour le Sahara. Si, un jour, il y a un vote au Cortes, je pense que le PP ne votera pas en faveur du soutien. Par contre, il est aussi possible que les conservateurs, s’ils le jugent nécessaire, maintiennent cette ligne de soutien au Maroc sans le dire ouvertement, à l’image de l’attitude des démocrates aux Etats-Unis qui n’ont pas révoqué la décision de Donald Trump. Il faut garder que la droite n’est pas un bloc totalement hétéroclite. La droite andalouse est beaucoup plus proche des positions pro-marocaines que la droite basque par exemple.
Trouvez-vous qu’il y a une animosité foncière chez la droite espagnole envers le Maroc ?
- Les relations entre la droite espagnole et le Maroc dépendent étroitement de la personnalité du président du PP et il est clair que Alberto Núñez Feijóo est plus dur à l’endroit du Maroc que son prédécesseur Pablo Cassado. Mais ce n’est pas une raison pour dire que la droite est foncièrement hostile. Rappelons-nous que la dimension marocaine a la même charge émotionnelle en Espagne que la dimension algérienne en France. Cela dit, il y a des gens qui ont intérêt à muscler ou attendrir leur discours vis-à-vis du Royaume pour des raisons politiques au gré des échéances électorales. Foncièrement, la droite espagnole n’est pas anti-marocaine. Comme elle est conservatrice, elle trouve au sein du Maroc des partenaires comme le RNI et le Parti de l’Istiqlal.
En cas de retour au pouvoir, la droite sera-telle tentée de révoquer le soutien espagnol au plan d’autonomie ?
- De mon point de vue, il y aura certainement un changement. Alberto Núñez Feijóo s’est montré réticent à la démarche du gouvernement socialiste de soutenir le plan d’autonomie pour le Sahara. Si, un jour, il y a un vote au Cortes, je pense que le PP ne votera pas en faveur du soutien. Par contre, il est aussi possible que les conservateurs, s’ils le jugent nécessaire, maintiennent cette ligne de soutien au Maroc sans le dire ouvertement, à l’image de l’attitude des démocrates aux Etats-Unis qui n’ont pas révoqué la décision de Donald Trump. Il faut garder que la droite n’est pas un bloc totalement hétéroclite. La droite andalouse est beaucoup plus proche des positions pro-marocaines que la droite basque par exemple.
Propos recueillis par Anass MACHLKOUKH
Maroc - Espagne : Quand les relations sont plus fortes que les alternances…
Depuis leur réconciliation, le Maroc et l’Espagne ont renforcé leur coopération économique en passant à la vitesse supérieure avec la multiplicité des forums d’affaires. Si les deux pays accordent une telle importante l’un à l’autre, c’est parce qu’ils partagent des intérêts communs majeurs et un partenariat solide. L’Espagne est le premier partenaire commercial du Maroc depuis 11 ans. Le voisin ibérique semble désormais indétrônable au sommet des partenaires du Royaume avec un volume d'échanges de 20 milliards d’euros. Le commerce bilatéral ne cesse de progresser, étant donné que son volume a doublé au cours des dix dernières années, avec une croissance annuelle supérieure à 10% depuis 2011.
Le marché espagnol demeure également une destination de premier plan pour les produits marocains. En fait, l’Espagne reste le premier client du Maroc qui est son treizième fournisseur. Le Maroc y a exporté environ 7,3 milliards d’euros en 2021. Ceci fait du Royaume le 2ème partenaire non-européen et le 1er partenaire africain de l’Espagne.
Le marché espagnol demeure également une destination de premier plan pour les produits marocains. En fait, l’Espagne reste le premier client du Maroc qui est son treizième fournisseur. Le Maroc y a exporté environ 7,3 milliards d’euros en 2021. Ceci fait du Royaume le 2ème partenaire non-européen et le 1er partenaire africain de l’Espagne.
L’info...Graphie
Extrême-droite : Une animosité anti-Maroc banalisée
Le parti d’extrême-droite Vox a, depuis sa création en 2013, adopté un discours qui flirte souvent avec le racisme. Théorie du grand remplacement, islamophobie, rejet de l’immigration, le parti dirigé par Santiago Abascal reprend tous les codes et toutes les thèses en vogue au sein des partis d’extrême-droite européenne. Une des cibles préférées de Vox n’est autre que son voisin marocain, vu comme un pays qui aurait un agenda caché visant à déstabiliser la société espagnole.
En 2021, lors d’une séance au Parlement espagnol, le Parti avait même demandé de ne plus accorder de visas aux Marocains et d’imposer des sanctions au pays car il était, selon lui, responsable d’une invasion migratoire. Ce discours de haine s’est intensifié depuis la crise migratoire de mai 2021. Le Parti avait alors proposé de construire des murs autour de Sebta et Mellilia, ou encore de mettre les deux villes sous la protection de l’OTAN.
Durant la campagne pour les élections locales, le président de Vox, Santiago Abascal, avait déclaré que la ville de Sebta subissait “une marocanisation” orchestrée par les autorités marocaines qui souhaiteraient annexer l’enclave. Le Parti a attaqué son rival au pouvoir, le PSOE, en l’accusant d'être soumis et corrompu par le Maroc, et d’avoir cédé au chantage en se réconciliant avec Rabat.
En 2021, lors d’une séance au Parlement espagnol, le Parti avait même demandé de ne plus accorder de visas aux Marocains et d’imposer des sanctions au pays car il était, selon lui, responsable d’une invasion migratoire. Ce discours de haine s’est intensifié depuis la crise migratoire de mai 2021. Le Parti avait alors proposé de construire des murs autour de Sebta et Mellilia, ou encore de mettre les deux villes sous la protection de l’OTAN.
Durant la campagne pour les élections locales, le président de Vox, Santiago Abascal, avait déclaré que la ville de Sebta subissait “une marocanisation” orchestrée par les autorités marocaines qui souhaiteraient annexer l’enclave. Le Parti a attaqué son rival au pouvoir, le PSOE, en l’accusant d'être soumis et corrompu par le Maroc, et d’avoir cédé au chantage en se réconciliant avec Rabat.