La vidéo est saisissante : des agriculteurs espagnols en colère bloquent un camion, déchargent sa cargaison de tomates marocaines avant de les piétiner avec rage. Depuis plus d’un mois, des protestations d’agriculteurs traversent toute l’Union Européenne (UE). Ayant débuté en Allemagne fin décembre 2023, ce mouvement a gagné en peu de temps les Pays-Bas, la Roumanie, la Pologne puis la France et l'Espagne.
La cible de cette colère est avant tout l’UE, avec ses réglementations trop contraignantes, et surtout ses accords de libre-échange signés avec plusieurs pays. Pour les agriculteurs européens, ces produits agricoles venus de l’extérieur leur font de la concurrence déloyale. Et la tomate marocaine est devenue le symbole de cette concurrence. D’où les actes de vandalisme contre ce produit, en Espagne mais aussi en France et ailleurs.
La cible de cette colère est avant tout l’UE, avec ses réglementations trop contraignantes, et surtout ses accords de libre-échange signés avec plusieurs pays. Pour les agriculteurs européens, ces produits agricoles venus de l’extérieur leur font de la concurrence déloyale. Et la tomate marocaine est devenue le symbole de cette concurrence. D’où les actes de vandalisme contre ce produit, en Espagne mais aussi en France et ailleurs.
Coût de la main-d’œuvre
La vidéo du camion en provenance du Maroc, attaqué par les manifestants sur l'autoroute reliant Séville à Cadix, ne fait que mettre en lumière un symptôme d'un problème plus profond, ainsi que d'un malentendu persistant concernant les exportations marocaines vers l'UE.
“Les producteurs agricoles en Espagne et en France considèrent que nous sommes leurs ennemis. Ils estiment être en concurrence directe avec nous. Mais en réalité, ce n'est pas vraiment le cas”, insiste Oussama Machi, exportateur et producteur de fruits et légumes au Maroc.
Les producteurs européens soulignent que le Maroc bénéficie d'un avantage significatif grâce à des coûts de main-d'œuvre nettement inférieurs, ce qui alimente une machine de production à bas coût. Cela les met en difficulté en entravant l'écoulement de leurs tomates sur le marché.
Sur le marché français, le Maroc occupe une position dominante avec une part de 51%. Cette suprématie s'explique largement par les coûts de main-d'œuvre au Maroc, où le salaire horaire d'un ouvrier est de 7,99 dirhams, contre 13,64 euros en France. Cette disparité se traduit par des écarts de prix significatifs, surtout pour des produits comme la tomate-cerise.
“Les producteurs français et espagnols estiment qu'avec le coût de sa main-d'œuvre, le Maroc leur fait de la concurrence déloyale. Mais les chiffres montrent une réalité différente concernant cette main-d'œuvre puisqu’on a besoin de 4,7 à 5 personnes par hectare, comparé à seulement 1,25 en France”, nous révèle Oussama Machi.
“Ainsi, si l'on considère cette différence, en multipliant les salaires pratiqués ici par cinq pour les comparer aux leurs, et en effectuant tous les calculs nécessaires, on réalise que cet argument du coût de la main-d'œuvre est largement compensé, voire dépassé”, poursuit notre interlocuteur.
Viabilité économique
Mais cet argument ne convainc pas les syndicats agricoles européens, qui réclament une meilleure protection de l’UE en abandonnant purement et simplement l’accord agricole Maroc-UE. Grâce à cet accord, environ 300 tonnes de tomates sont importées chaque année en France depuis le Maroc sans droits de douane.
Selon eux, cette situation met en péril la viabilité économique des producteurs locaux. Les droits de douane, censés compenser les écarts salariaux entre les pays, ne font que renforcer cette compétition sans amortisseur, où le perdant est désavantagé avant même de commencer le combat.
“L’accord entre le Maroc et l’UE fixe des contingents pour l’exportation de fruits et légumes par type de produit, comme les tomates, qui représentent notre principale exportation vers les pays de l’UE. Les autorités locales cherchent à maintenir un équilibre lors de la prise de telles décisions ou de la conclusion de tels accords”, commente Oussama Machi.
“Origine Maroc“
Les producteurs français réclament également une réglementation plus stricte en matière d'étiquetage, incluant une mention claire du pays d'origine et du lieu d'emballage, afin d'assurer une transparence totale et de favoriser des choix éclairés pour leurs consommateurs.
Les producteurs de tomates en France ont récemment lancé une action visant à sensibiliser le public aux fruits et légumes importés, en particulier les tomates, qui sont disponibles en grande quantité dans les supermarchés pendant cette période de l'année.
Cette mobilisation s'est traduite par la mise en place d'une campagne dans les grandes surfaces, où des étiquettes clairement identifiables avec la mention "Origine Maroc" ont été apposées sur les barquettes de tomates-cerise.
Cette démarche vise à attirer l'attention des consommateurs sur la provenance des produits qu'ils achètent, une information parfois négligée lors des achats quotidiens. En mettant en évidence l'origine marocaine des tomates-cerise vendues en grande surface, les producteurs français espèrent encourager les consommateurs à réfléchir davantage à leurs achats et à considérer le soutien aux producteurs locaux.
Impact limité
Selon les autorités marocaines, les manifestations n'ont eu qu'un impact marginal sur les exportations du pays. Le ministre de l'Agriculture, Mohamed Sadiki, a souligné que malgré les perturbations routières causées par les manifestations, les exportations agricoles marocaines n'ont pas été significativement affectées jusqu'à présent.
Bien que des retards aient été observés dans la livraison des marchandises, le commerce entre le Maroc et l'Europe n'a subi qu'un impact mineur. Le ministère a également signalé quelques actes de vandalisme contre des camions transportant des produits agricoles marocains, mais a précisé que ces incidents étaient limités et ne constituaient pas une source de préoccupation majeure.
“En ce qui concerne nos exportations, elles se poursuivent comme d'habitude. Cependant, le seul problème rencontré est celui des blocages des camions, qui entraînent des files d'attente sur place. Lorsque les camions sont enfin libérés, ils arrivent en même temps sur les marchés de destination, impactant ainsi les prix locaux en raison de la surabondance de produits”, explique Oussama Machi.
3 questions à Oussama Machi : “Notre seul avantage compétitif réside dans nos conditions climatiques favorables”
Oussama Machi, directeur et associé dans une entreprise d'import-export de fruits et légumes à partir du Maroc et de l’Afrique de l'Ouest, a répondu à nos questions concernant la crise autour des exportations de la tomate marocaine.
- Comment interprétez-vous les manifestations des agriculteurs européens ?
Le mouvement des agriculteurs a mis en lumière diverses préoccupations, bien que la question des produits marocains n'ait pas été au centre de leurs revendications initiales.
L'Espagne, quant à elle, a été plus sensible aux produits marocains, en particulier les tomates, qui entrent en concurrence directe avec leurs produits locaux, selon leurs dires. Cela a conduit à des blocages de camions marocains en Espagne et en France, retardant les livraisons.
Bien que quelques destructions aient été signalées, elles sont restées limitées. Cependant, le principal problème réside dans les retards causés par l'accumulation des camions dans certains endroits, entraînant une arrivée simultanée sur le marché de destination et une baisse des prix pour les producteurs marocains.
L'Espagne, quant à elle, a été plus sensible aux produits marocains, en particulier les tomates, qui entrent en concurrence directe avec leurs produits locaux, selon leurs dires. Cela a conduit à des blocages de camions marocains en Espagne et en France, retardant les livraisons.
Bien que quelques destructions aient été signalées, elles sont restées limitées. Cependant, le principal problème réside dans les retards causés par l'accumulation des camions dans certains endroits, entraînant une arrivée simultanée sur le marché de destination et une baisse des prix pour les producteurs marocains.
- Peut-on considérer le coût de la main-d’œuvre marocaine comme anticoncurrentiel ?
Pour la production de tomates chez nous, cela requiert environ 4,7 à 5 personnes par hectare. En comparaison, la production de tomates en France, sous serre, nécessite seulement 1,25 personne par hectare. Ainsi, si l'on considère cette différence, en multipliant les salaires pratiqués ici par cinq pour les comparer aux leurs, et en effectuant tous les calculs nécessaires, on réalise que cet argument du coût de la main-d'œuvre est largement compensé, voire dépassé.
Notre avantage compétitif réside dans nos conditions climatiques favorables pour la production de tomates, point final. Pour le reste, cet argument ne tient pas.
- Comment résoudre cette équation, selon vous ?
L'Union Européenne doit définir clairement ses priorités. Veut-elle importer des tomates en provenance du Maroc ? Ou préfère-t-elle ouvrir ses portes à des travailleurs immigrés qui pourraient être tentés de traverser la Méditerranée ? Ceci est une question essentielle à aborder.
Personnellement, dans notre exploitation, nous comptons un pourcentage significatif de travailleurs originaires d'Afrique subsaharienne. Si ces travailleurs ne trouvent pas d'emploi au Maroc, ils chercheront simplement à traverser la Méditerranée. Les Européens semblent prêts à accueillir cette main-d'œuvre qui travaille dans les champs de tomates au Maroc, sur leur propre marché, souvent de manière clandestine et illégale.
Tomate marocaine : Un succès mérité
En 2022, le Maroc a supplanté l'Espagne pour devenir le premier fournisseur de tomates en Europe, une transition majeure qui témoigne de la montée en puissance des exportations agricoles marocaines sur la scène internationale, principalement sur le Vieux Continent.
L'année 2022 a marqué un tournant décisif pour le Maroc dans le secteur de l'exportation de tomates. Avec plus de 740.000 tonnes exportées vers l'Europe, le pays a surpassé notre voisin ibérique, lequel a exporté un peu plus de 600.000 tonnes au cours de la même période. Ce succès du Royaume a été largement salué par les observateurs du marché agricole.
La France s'est révélée être le principal acheteur de tomates marocaines en 2022, important près de 375.000 tonnes, suivie du Royaume-Uni avec 141.000 tonnes. Cette percée significative s'explique par la qualité constante des produits marocains, leur coût compétitif et la proximité géographique avec les marchés européens.
L'année 2022 a marqué un tournant décisif pour le Maroc dans le secteur de l'exportation de tomates. Avec plus de 740.000 tonnes exportées vers l'Europe, le pays a surpassé notre voisin ibérique, lequel a exporté un peu plus de 600.000 tonnes au cours de la même période. Ce succès du Royaume a été largement salué par les observateurs du marché agricole.
La France s'est révélée être le principal acheteur de tomates marocaines en 2022, important près de 375.000 tonnes, suivie du Royaume-Uni avec 141.000 tonnes. Cette percée significative s'explique par la qualité constante des produits marocains, leur coût compétitif et la proximité géographique avec les marchés européens.
Accord agricole : La COMADER dénonce une stigmatisation
Dans un communiqué, la Confédération Marocaine de l'Agriculture et du Développement Rural (COMADER) a exprimé son inquiétude suite aux attaques récurrentes et infondées dont les produits marocains font l'objet ainsi que la stigmatisation médiatique dont les agriculteurs marocains sont les victimes collatérales.
Les échanges commerciaux agricoles entre le Maroc et l’UE se font, rappelle la Confédération, dans le cadre des protocoles agricoles précités qui ont subi plusieurs modifications depuis 2000 et dont les dernières datent de 2010 avec une mise en œuvre le 1er octobre 2012.
À cet effet, elle a expliqué que les exportations marocaines de produits agricoles vers l’UE bénéficient de quelques préférences tarifaires. Il en va de même pour les exportations de produits agricoles de l’UE vers le Maroc.
«Il ne s’agit en aucun cas de libéralisation totale des échanges agricoles. Ainsi, durant la période 2021/2022, les exportations marocaines de produits agricoles ont progressé de 15% vers l’UE, et de 2% vers l’Espagne», ajoute le même communiqué.
Le communiqué rappelle que les relations commerciales entre le Maroc et l’UE sont régies par l’Accord d’Association Maroc-UE de 1996, mis en œuvre en 2000, qui comporte différents protocoles (y compris les protocoles de produits agricoles et de pêche fixant les conditions d’accès aux marchés desdits produits).
La COMADER affirme que “les produits agricoles marocains exportés vers l'Union Européenne sont des produits de qualité qui se conforment strictement, et sans exception, aux exigences réglementaires des marchés de destination”. Celles-ci portent notamment sur les normes commerciales, sanitaires et phytosanitaires.
Les échanges commerciaux agricoles entre le Maroc et l’UE se font, rappelle la Confédération, dans le cadre des protocoles agricoles précités qui ont subi plusieurs modifications depuis 2000 et dont les dernières datent de 2010 avec une mise en œuvre le 1er octobre 2012.
À cet effet, elle a expliqué que les exportations marocaines de produits agricoles vers l’UE bénéficient de quelques préférences tarifaires. Il en va de même pour les exportations de produits agricoles de l’UE vers le Maroc.
«Il ne s’agit en aucun cas de libéralisation totale des échanges agricoles. Ainsi, durant la période 2021/2022, les exportations marocaines de produits agricoles ont progressé de 15% vers l’UE, et de 2% vers l’Espagne», ajoute le même communiqué.
Le communiqué rappelle que les relations commerciales entre le Maroc et l’UE sont régies par l’Accord d’Association Maroc-UE de 1996, mis en œuvre en 2000, qui comporte différents protocoles (y compris les protocoles de produits agricoles et de pêche fixant les conditions d’accès aux marchés desdits produits).
La COMADER affirme que “les produits agricoles marocains exportés vers l'Union Européenne sont des produits de qualité qui se conforment strictement, et sans exception, aux exigences réglementaires des marchés de destination”. Celles-ci portent notamment sur les normes commerciales, sanitaires et phytosanitaires.