- Le mauvais lecteur c'est celui qui ne lit pas comme vous, c'est un lecteur vu à travers la lorgnette de celui - un autre lecteur, bien entendu - qui le juge ?
L’un des constats à l’origine d’Éloge du mauvais lecteur est en effet que la lecture a été soumise de longue date à une évaluation et à des jugements. Très tôt, on a eu peur du mauvais lecteur, et plus exactement d’un type bien particulier de lecture : la lecture par identification. Qu’on songe seulement à Don Quichotte et à Emma Bovary : ces personnages s’immergent à tel point dans les livres qu’ils n’arrivent plus à séparer le réel et la fiction, et en viennent à calquer leur existence sur la littérature. C’est ce type de lecture qui a été perçu comme dangereux, et qui fut stigmatisé aussi bien par l’Église que par la société, et parfois même par la littérature.
Les oeuvres se sont toutefois intéressées avec constance à ces mauvaises lectures dont elles ont peu à peu diversifié les formes, et cela principalement à partir de la charnière du XIXe et du XXe siècle. Ces lectures ont joué un rôle de premier plan dans l’évolution de la littérature qui a représenté avec insistance d’autres façons de lire, désinvoltes, rebelles, partisanes, jubilantes.
Or ces mises en scène de lectures irrégulières et transgressives jouent pour nous le rôle d’une invitation à lire autrement les textes. C’est pourquoi j’ai voulu réhabiliter le mauvais lecteur, en étudiant la richesse de ses pratiques et en soulignant leur potentiel créatif. Le mauvais lecteur, celui qui lit différemment, est celui qui refuse de se soumettre à ce que le texte attend de lui et qui le recrée à partir de ses désirs et de ses envies.
C’est la raison pour laquelle Éloge du mauvais lecteur a été conçu comme un manuel de la mauvaise lecture destiné à mon propre lecteur. L’objectif était double : lui permettre de ne pas se sentir coupable lorsqu’il lit de travers et lui permettre d’inventer de lui-même des manières de mal lire personnelles et fertiles.
- Peut-on dire qu’il n’y a pas de mauvais lecteur mais des perceptions ou, plus exactement, des réceptions différentes d’une oeuvre… Cette extension vous paraît-elle pertinente par rapport à la problématique du mauvais lecteur que vous développez ?
- Ce qu’on peut d’abord affirmer est que la notion de mauvaise lecture ne peut pas être opposée frontalement à celle de bonne lecture. En effet, si l’on considère que la mauvaise lecture peut enrichir une oeuvre, elle peut devenir, à être pratiquée avec talent, une excellente mauvaise lecture. Il convient ainsi de prendre conscience que le concept de mauvaise lecture est principalement destiné à interroger des manières de lire qui font entorse aux normes couramment admises. Or ces attitudes font jaillir dans les textes des significations inattendues et mettent de la sorte en lumière la diversité des façons de lire un texte. À cet égard, Éloge du mauvais lecteur est un éloge de la vie intérieure propre à chaque lecteur et de sa liberté créatrice.
L’un des constats à l’origine d’Éloge du mauvais lecteur est en effet que la lecture a été soumise de longue date à une évaluation et à des jugements. Très tôt, on a eu peur du mauvais lecteur, et plus exactement d’un type bien particulier de lecture : la lecture par identification. Qu’on songe seulement à Don Quichotte et à Emma Bovary : ces personnages s’immergent à tel point dans les livres qu’ils n’arrivent plus à séparer le réel et la fiction, et en viennent à calquer leur existence sur la littérature. C’est ce type de lecture qui a été perçu comme dangereux, et qui fut stigmatisé aussi bien par l’Église que par la société, et parfois même par la littérature.
Les oeuvres se sont toutefois intéressées avec constance à ces mauvaises lectures dont elles ont peu à peu diversifié les formes, et cela principalement à partir de la charnière du XIXe et du XXe siècle. Ces lectures ont joué un rôle de premier plan dans l’évolution de la littérature qui a représenté avec insistance d’autres façons de lire, désinvoltes, rebelles, partisanes, jubilantes.
Or ces mises en scène de lectures irrégulières et transgressives jouent pour nous le rôle d’une invitation à lire autrement les textes. C’est pourquoi j’ai voulu réhabiliter le mauvais lecteur, en étudiant la richesse de ses pratiques et en soulignant leur potentiel créatif. Le mauvais lecteur, celui qui lit différemment, est celui qui refuse de se soumettre à ce que le texte attend de lui et qui le recrée à partir de ses désirs et de ses envies.
C’est la raison pour laquelle Éloge du mauvais lecteur a été conçu comme un manuel de la mauvaise lecture destiné à mon propre lecteur. L’objectif était double : lui permettre de ne pas se sentir coupable lorsqu’il lit de travers et lui permettre d’inventer de lui-même des manières de mal lire personnelles et fertiles.
- Peut-on dire qu’il n’y a pas de mauvais lecteur mais des perceptions ou, plus exactement, des réceptions différentes d’une oeuvre… Cette extension vous paraît-elle pertinente par rapport à la problématique du mauvais lecteur que vous développez ?
- Ce qu’on peut d’abord affirmer est que la notion de mauvaise lecture ne peut pas être opposée frontalement à celle de bonne lecture. En effet, si l’on considère que la mauvaise lecture peut enrichir une oeuvre, elle peut devenir, à être pratiquée avec talent, une excellente mauvaise lecture. Il convient ainsi de prendre conscience que le concept de mauvaise lecture est principalement destiné à interroger des manières de lire qui font entorse aux normes couramment admises. Or ces attitudes font jaillir dans les textes des significations inattendues et mettent de la sorte en lumière la diversité des façons de lire un texte. À cet égard, Éloge du mauvais lecteur est un éloge de la vie intérieure propre à chaque lecteur et de sa liberté créatrice.
Éloge du mauvais lecteur est un éloge de la vie intérieure propre à chaque lecteur et de sa liberté créatrice.
- Le lecteur fait l’oeuvre. Ce paradoxe apparent a retenu l’attention de Barthes, Eco avec son « lecteur modèle » et Riffaterre, par exemple, qui a parlé de l’archi-lecteur. A oeuvres multiples, lecteurs multiples. Une lecture unique pour une oeuvre unique est-elle de l’ordre du possible ?
- Le propre d’une oeuvre littéraire est en effet de donner lieu à un grand nombre d’interprétations, qui peuvent même parfois être contradictoires. Là se tient la principale différence entre la littérature et des textes informatifs, comme par exemple une recette de cuisine. Néanmoins, ce qu’on peut noter est que la théorie littéraire, de Sartre à Riffaterre en passant par Umberto Eco, a plutôt envisagé un lecteur idéal conçu comme un partenaire du texte. Ce lecteur est, selon Sartre, un co-créateur.
Il est, selon Eco, un Lecteur Modèle dont les réactions et les interprétations sont élaborées par le texte. Toutes ces pensées se penchent sur la collaboration avec le texte. Mais elles laissent de côté les attitudes réelles du lecteur qui peut s’ennuyer à mourir, penser à autre chose, faire erreur sur le sens, sauter des pages, lire en diagonale, se jeter sur la fin du livre dès le début... La notion de mauvaise lecture permet, elle, d’ausculter ces dysfonctionnements de la coopération textuelle et de reconnaître leur place prépondérante dans nos relations avec les oeuvres.
- Comment « lire un texte comme le texte le veut », sinon par des outils communs aussi bien à l’auteur qu’au lecteur dans leur pluralité. Plus simplement, la subjectivité du lecteur n’est-elle pas une réponse désordonnée à celle de l’auteur ?
- C’est exactement cela. Lire un texte comme un texte le veut, revient à endosser le costume du Lecteur Modèle. Cela suppose donc de réagir et de faire signifier l’oeuvre conformément à ce qu’elle postule. Si la subjectivité a évidemment un rôle dans cette coopération, elle demeure en partie contrôlée par le texte.
Avec la mauvaise lecture, les choses se déroulent autrement. Le mauvais lecteur, refusant de collaborer pleinement avec le texte, laisse libre cours à ses fantasmes, à ses pulsions, à sa liberté. Il donne toute sa place à sa propre subjectivité. Certains cas sont très parlants. En particulier celui du lecteur interventionniste, c’est-à-dire du lecteur qui en arrive à modifier une oeuvre, imaginairement et parfois même très concrètement, pour la faire correspondre avec ses désirs.
Ce type de lecture a été pratiqué aussi bien par Valincour sur La Princesse de Clèves, par Rousseau sur Le Misanthrope que par Balzac sur La Chartreuse de Parme. Il a aussi été mis en scène dans de nombreux romans, comme Mac et son contretemps de Villa-Matas, Les Fragments de Lichtenberg de Pierre Senges, Demain s’annonce plus calme d’Eduardo Berti – ou même Misery de Stephen King dans lequel une lectrice séquestre et torture un écrivain pour qu’il réécrive le manuscrit de son futur roman.
Lire un texte comme un texte le veut, revient à endosser le costume du Lecteur Modèle.
- Dans cet ordre d’idées, le mauvais écrivain serait celui qui n’écrit pas comme les autres, à tout le moins ne s’intègre à aucune esthétique ou courant littéraire, vivant ou passé ? Peut-on être unique dans l’écriture d’une oeuvre quand il s’agit de fiction littéraire ou de poésie, par exemple?
- Je ne suis pas certain qu’on puisse concevoir de manière symétrique le mauvais lecteur et le mauvais écrivain. En effet, penser la mauvaise lecture comme une pratique subversive implique de le faire par rapport à des attentes qui sont celles de l’oeuvre. Les choses ne fonctionnent pas de la même façon du côté de la production des textes.
Dans ce cas, le mauvais écrivain serait plutôt celui qui écrit pour satisfaire les attentes du public, alors que le bon écrivain serait celui qui va à l’encontre de celles-ci. Voyez par exemple comment Madame Bovary de Flaubert a été reçu : outre le procès que le roman déclenche, le texte est beaucoup moins lu que Fanny de Feydeau qui paraît à la même époque. Car le texte de Feydeau est plus accessible : il répond aux attentes du public. Mais celui qui a fini par s’imposer dans l’histoire littéraire est le roman de Flaubert, parce qu’il a bouleversé les attentes du lecteur. Ce qui veut dire qu’une oeuvre vaut par sa pluralité tout comme par sa manière de renouveler les formes littéraires et les questions dont elles sont porteuses.
- Les recherches sur l’intertextualité ont montré que l’on écrit par imitation si l’on peut dire, pour ne pas dire emprunt, à la limite plagiat. Comment être singulier dans un monde où tout se transforme ? Assumer l’imitation n’est-ce pas réduire l’écriture à un acte de copie dont le génie consiste à en oublier le statut d’imitation en contradiction avec la revendication créatrice des auteurs ?
- Avec Qui a peur de l’imitation ?, j’avais voulu sonder la façon dont l’imitation engendre des réactions contrastées chez les écrivains, réactions qui vont du plaisir à la peur. S’il est avéré que l’imitation est un phénomène naturel de la création, cela ne veut pas dire que l’écrivain l’accepte sans problème et assume d’être un imitateur.
À cette peur de l’imitation, on peut attribuer deux principales causes. La première est que la littérature est souvent pensée à l’aune d’une valeur supérieure, l’originalité, entraînant un discrédit sur ce qui relève de l’imitation. La seconde repose sur le fait que l’utilisation des mots des autres met en question l’identité singulière que l’auteur s’octroie à travers son oeuvre et son écriture.
À partir du moment où l’écrivain dérobe ses mots à autrui, il n’en est plus le créateur et peut avoir le sentiment d’être un simple copiste. Néanmoins, toute imitation comporte une dimension créative. La copie elle-même peut relever de l’invention, comme l’avait très bien montré Borges dans sa nouvelle « Pierre Ménard, auteur du Quichotte ». C’est pourquoi j’ai souhaité ausculter cette peur de l’imitation pour montrer comment elle a eu un rôle déterminant dans les choix d’écriture, notamment à travers les manières paradoxales dont les textes se sont efforcés de concevoir une imitation qui ne soit pas antagoniste de la création.
- A la question de Sartre « Qu’est-ce que la littérature ? », il est possible d’en formuler une autre sur le modèle : « Qu’est-ce que la lecture ? ». La réponse serait-elle d’ordre sociologique, psychologique ou un ensemble de paradigmes hétérogènes pour être ramenés à une définition stricte, à une logique ignorée aussi bien par l’auteur que par le lecteur mais qui travaille l’acte de lecture ?
- « Qu’est-ce que la lecture ? » : une telle question traverse Éloge du mauvais lecteur. Seulement, cette question, il est impossible de lui fournir une réponse. On peut lui apporter des réponses qui varieront selon les démarches adoptées. Comme vous le dites très bien, s’interroger sur ce qu’est la lecture peut se faire depuis un point de vue sociologique, psychologique, historique... D’autant mieux que la lecture est un phénomène pluriel, extrêmement variable, lié à des subjectivités et des cultures. Il y a donc bien quelque chose d’une logique ignorée tant par l’auteur que par le lecteur, et qui travaille l’acte de lecture. Et c’est certainement ici que la critique littéraire a un rôle essentiel à jouer en mettant au jour ces dynamiques contrastées, complexes et souvent souterraines.
C’est en tout cas cette diversité qui m’a amené à faire un certain nombre de choix pour Éloge du mauvais lecteur. Le premier a été de me centrer sur les lectures hétérodoxes et non conformistes. Le second a été de déchiffrer la lecture à partir de ses mises en scène à l’intérieur des oeuvres. C’est de la sorte qu’il devient possible d’examiner la façon dont la littérature s’est elle-même représentée à travers ses relations au lecteur tout comme la manière dont elle cherche parfois à être lue.
- Le lecteur est un terme générique qui est souvent, dans son parcours de lecteur, confronté à des genres littéraires. Le lecteur du roman policier est-il celui du roman d’espionnage, pour rester dans des genres plus ou moins proches en termes de typologie ? Quels traits partage-t-il avec le lecteur du Nouveau Roman, de Joyce ou des grands classiques français et russes, pour prendre ces exemples ?
- C’est tout à fait exact : chaque genre construit un type de lecteur bien particulier. L’exemple du polar est très révélateur, et c’est d’ailleurs ce qui m’a poussé à m’y intéresser tant dans Pouvoirs de l’imposture que dans Éloge du mauvais lecteur. Ce genre a donné naissance aussi bien à des oeuvres fortement « littéraires » (Poe, Borges, Nabokov, Robbe-Grillet, Butor, Perec, Queneau, Roubaud...) qu’à des oeuvres plus « populaires » (Agatha Christie, Conan Doyle, Simenon, Ellery Queen, Manchette...).
Au-delà de ce partage qui demeure discutable, le succès du polar tient à une chose : il est le genre qui a le plus manifestement mis le lecteur au coeur du texte. Car tout roman policier déclenche en vous le désir de résoudre le mystère. Il fomente une rivalité souterraine entre le lecteur et le détective. Lire un roman policier implique donc que vos facultés interprétatives soient mises à l’épreuve. D’autant qu’une sanction ou une évaluation vous attend : au moment de la révélation du fin mot de l’histoire, le texte vous dit si votre lecture a été bonne ou mauvaise. Le polar est bien l’un des rares genres à évaluer la lecture en termes de réussite ou d’échec. Sa manière singulière de mettre en cause nos capacités de déchiffrement en a fait une matrice qui a nourri la littérature depuis la fin du XIXe siècle et qui la nourrit encore aujourd’hui.
Dans ce cas, le mauvais écrivain serait plutôt celui qui écrit pour satisfaire les attentes du public, alors que le bon écrivain serait celui qui va à l’encontre de celles-ci. Voyez par exemple comment Madame Bovary de Flaubert a été reçu : outre le procès que le roman déclenche, le texte est beaucoup moins lu que Fanny de Feydeau qui paraît à la même époque. Car le texte de Feydeau est plus accessible : il répond aux attentes du public. Mais celui qui a fini par s’imposer dans l’histoire littéraire est le roman de Flaubert, parce qu’il a bouleversé les attentes du lecteur. Ce qui veut dire qu’une oeuvre vaut par sa pluralité tout comme par sa manière de renouveler les formes littéraires et les questions dont elles sont porteuses.
- Les recherches sur l’intertextualité ont montré que l’on écrit par imitation si l’on peut dire, pour ne pas dire emprunt, à la limite plagiat. Comment être singulier dans un monde où tout se transforme ? Assumer l’imitation n’est-ce pas réduire l’écriture à un acte de copie dont le génie consiste à en oublier le statut d’imitation en contradiction avec la revendication créatrice des auteurs ?
- Avec Qui a peur de l’imitation ?, j’avais voulu sonder la façon dont l’imitation engendre des réactions contrastées chez les écrivains, réactions qui vont du plaisir à la peur. S’il est avéré que l’imitation est un phénomène naturel de la création, cela ne veut pas dire que l’écrivain l’accepte sans problème et assume d’être un imitateur.
À cette peur de l’imitation, on peut attribuer deux principales causes. La première est que la littérature est souvent pensée à l’aune d’une valeur supérieure, l’originalité, entraînant un discrédit sur ce qui relève de l’imitation. La seconde repose sur le fait que l’utilisation des mots des autres met en question l’identité singulière que l’auteur s’octroie à travers son oeuvre et son écriture.
À partir du moment où l’écrivain dérobe ses mots à autrui, il n’en est plus le créateur et peut avoir le sentiment d’être un simple copiste. Néanmoins, toute imitation comporte une dimension créative. La copie elle-même peut relever de l’invention, comme l’avait très bien montré Borges dans sa nouvelle « Pierre Ménard, auteur du Quichotte ». C’est pourquoi j’ai souhaité ausculter cette peur de l’imitation pour montrer comment elle a eu un rôle déterminant dans les choix d’écriture, notamment à travers les manières paradoxales dont les textes se sont efforcés de concevoir une imitation qui ne soit pas antagoniste de la création.
- A la question de Sartre « Qu’est-ce que la littérature ? », il est possible d’en formuler une autre sur le modèle : « Qu’est-ce que la lecture ? ». La réponse serait-elle d’ordre sociologique, psychologique ou un ensemble de paradigmes hétérogènes pour être ramenés à une définition stricte, à une logique ignorée aussi bien par l’auteur que par le lecteur mais qui travaille l’acte de lecture ?
- « Qu’est-ce que la lecture ? » : une telle question traverse Éloge du mauvais lecteur. Seulement, cette question, il est impossible de lui fournir une réponse. On peut lui apporter des réponses qui varieront selon les démarches adoptées. Comme vous le dites très bien, s’interroger sur ce qu’est la lecture peut se faire depuis un point de vue sociologique, psychologique, historique... D’autant mieux que la lecture est un phénomène pluriel, extrêmement variable, lié à des subjectivités et des cultures. Il y a donc bien quelque chose d’une logique ignorée tant par l’auteur que par le lecteur, et qui travaille l’acte de lecture. Et c’est certainement ici que la critique littéraire a un rôle essentiel à jouer en mettant au jour ces dynamiques contrastées, complexes et souvent souterraines.
C’est en tout cas cette diversité qui m’a amené à faire un certain nombre de choix pour Éloge du mauvais lecteur. Le premier a été de me centrer sur les lectures hétérodoxes et non conformistes. Le second a été de déchiffrer la lecture à partir de ses mises en scène à l’intérieur des oeuvres. C’est de la sorte qu’il devient possible d’examiner la façon dont la littérature s’est elle-même représentée à travers ses relations au lecteur tout comme la manière dont elle cherche parfois à être lue.
- Le lecteur est un terme générique qui est souvent, dans son parcours de lecteur, confronté à des genres littéraires. Le lecteur du roman policier est-il celui du roman d’espionnage, pour rester dans des genres plus ou moins proches en termes de typologie ? Quels traits partage-t-il avec le lecteur du Nouveau Roman, de Joyce ou des grands classiques français et russes, pour prendre ces exemples ?
- C’est tout à fait exact : chaque genre construit un type de lecteur bien particulier. L’exemple du polar est très révélateur, et c’est d’ailleurs ce qui m’a poussé à m’y intéresser tant dans Pouvoirs de l’imposture que dans Éloge du mauvais lecteur. Ce genre a donné naissance aussi bien à des oeuvres fortement « littéraires » (Poe, Borges, Nabokov, Robbe-Grillet, Butor, Perec, Queneau, Roubaud...) qu’à des oeuvres plus « populaires » (Agatha Christie, Conan Doyle, Simenon, Ellery Queen, Manchette...).
Au-delà de ce partage qui demeure discutable, le succès du polar tient à une chose : il est le genre qui a le plus manifestement mis le lecteur au coeur du texte. Car tout roman policier déclenche en vous le désir de résoudre le mystère. Il fomente une rivalité souterraine entre le lecteur et le détective. Lire un roman policier implique donc que vos facultés interprétatives soient mises à l’épreuve. D’autant qu’une sanction ou une évaluation vous attend : au moment de la révélation du fin mot de l’histoire, le texte vous dit si votre lecture a été bonne ou mauvaise. Le polar est bien l’un des rares genres à évaluer la lecture en termes de réussite ou d’échec. Sa manière singulière de mettre en cause nos capacités de déchiffrement en a fait une matrice qui a nourri la littérature depuis la fin du XIXe siècle et qui la nourrit encore aujourd’hui.
À partir du moment où l’écrivain dérobe ses mots à autrui, il n’en est plus le créateur et peut avoir le sentiment d’être un simple copiste.
- A lire les titres de vos ouvrages (En toute mauvaise foi. Sur un paradoxe littéraire, Qui a peur de l’imitation?, Pouvoirs de l’imposture, Eloge du mauvais lecteur), il y a quelque chose de pourri au royaume de la littérature aurait peut-être dit Hamlet ? Que lui répondriez-vous en substance ?
- Je lui répondrais ceci : nulle inquiétude, il n’y a rien de pourri au royaume de la littérature. Bien au contraire. La mauvaise foi, l’imitation, l’imposture, la mauvaise lecture : toutes ces notions partiellement réprouvées, j’ai voulu en redorer le blason parce que, justement, les oeuvres les revalorisent elles aussi souvent. Les textes nous font découvrir comment ces attitudes, qu’on condamne un peu trop vite, recèlent en réalité des forces créatrices inouïes.
La littérature a cette audace qui explique qu’elle nous fascine toujours autant : braver le prêt-à-penser, défier les doxas, dissoudre nos habitudes et notre confort intellectuel, nous forcer à regarder d’un oeil neuf ce que nous tenions pour des évidences. J’ai voulu l’accompagner dans cette tâche en montrant comment des notions tenues pour négatives, comme la mauvaise foi, l’imposture ou la mauvaise lecture, peuvent se révéler d’une fécondité insoupçonnée.
Propos recueillis par
Abdallah BENSMAÏN
Portrait du scientifique en littéraire
Les scientifiques sont de bons, d’excellents littéraires même… l’histoire le montre avec André Breton qui a fondé le Surréalisme et Alain Robbe- Grillet considéré comme le père du Nouveau Roman. Le chimiste Driss Chraïbi a donné une oeuvre dense et profondément littéraire. Rachid Boudjedra, philosophe et mathématicien de son état, n’est également pas à présenter et son oeuvre parle pour lui.
Fouad Laroui, ingénieur et économiste, est dans ce schéma, sans oublier Khalid Lyamlahy, auteur de «Un roman étranger», une première oeuvre aboutie, qui poursuit un travail d’analyses littéraires avec constance. Diplômé de l’Ecole des Mines, Khalid Lyamlahy qui enseigne la littérature à l’Université de Chicago a fait un virage à 180 degrés. Il est Titulaire d›un doctorat de l›université d›Oxford consacré à Mohammed Khaïr-Eddine, Abdelkébir Khatibi et Abdellatif Laâbi et détient un diplôme en littérature comparée de la Sorbonne. Maxime Decout appartient à cette grande famille de scientifiques imprégnés de littérature, qui finissent par la choisir pour y faire carrière dans l’enseignement, la fiction et l’essai.
Après un bac S et une formation en CPGE, Maxime Decout rejoint l’Ecole Nationale Vétérinaire de Lyon où il obtient un doctorat en médecine vétérinaire. Maxime Decout est titulaire d’un master de lettres modernes et a soutenu une thèse sur « Albert Cohen : la «geste des Juifs». Des origines trouées aux déchirements messianiques ». Son parcours d’auteur en fait un lecteur averti qui s’inscrit dans la lignée des théoriciens qui ont marqué l’analyse littéraire des années 50 aux années 2000.
Avec Maxime Decout, c’est un système cohérent qui se construit, comme ont pu en construire, pourrait-on ajouter, les Roland Barthes, Umberto Eco, Jean Starobinski, et tant d’autres encore.
Fouad Laroui, ingénieur et économiste, est dans ce schéma, sans oublier Khalid Lyamlahy, auteur de «Un roman étranger», une première oeuvre aboutie, qui poursuit un travail d’analyses littéraires avec constance. Diplômé de l’Ecole des Mines, Khalid Lyamlahy qui enseigne la littérature à l’Université de Chicago a fait un virage à 180 degrés. Il est Titulaire d›un doctorat de l›université d›Oxford consacré à Mohammed Khaïr-Eddine, Abdelkébir Khatibi et Abdellatif Laâbi et détient un diplôme en littérature comparée de la Sorbonne. Maxime Decout appartient à cette grande famille de scientifiques imprégnés de littérature, qui finissent par la choisir pour y faire carrière dans l’enseignement, la fiction et l’essai.
Après un bac S et une formation en CPGE, Maxime Decout rejoint l’Ecole Nationale Vétérinaire de Lyon où il obtient un doctorat en médecine vétérinaire. Maxime Decout est titulaire d’un master de lettres modernes et a soutenu une thèse sur « Albert Cohen : la «geste des Juifs». Des origines trouées aux déchirements messianiques ». Son parcours d’auteur en fait un lecteur averti qui s’inscrit dans la lignée des théoriciens qui ont marqué l’analyse littéraire des années 50 aux années 2000.
Avec Maxime Decout, c’est un système cohérent qui se construit, comme ont pu en construire, pourrait-on ajouter, les Roland Barthes, Umberto Eco, Jean Starobinski, et tant d’autres encore.