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Culture

Métier du livre : Une nouvelle fiction, l’édition indépendante


Rédigé par Abdallah BENSMAÏN le Mercredi 22 Septembre 2021

Après la presse indépendante, voici venu le temps de l’édition indépendante, comme revendication et lien social de groupe.



Dans « Les lois du silence », un « Essai sur les fonctions sociales du secret », Jean Jamin rapporte et analyse une production « idéologique » qui permet à des chasseurs de bloquer la promulgation d’une loi qui les empêcherait de tendre des pièges, non pas pour attraper des grives, mais des faisans, des bécasses et des gélinottes.

Cette production n’est rien de moins qu’un oiseau inventé de toutes plumes, un oiseau qui n’existe pas, que personne n’a jamais vu, en dehors des chasseurs qui s’opposaient au projet de loi et qui ont ainsi inventé « une croyance » à laquelle va se plier le législateur, une croyance qui a également pour fonction la création et le renforcement de liens d’appartenance sociale à travers le métier de chasseur, poseur de pièges.

Dans les années 90, en Afrique, c’est un être médiatique qui s’est imposé à l’entendement : la presse indépendante, avec son printemps, que Thierry Perret devait qualifier d’invention dans son ouvrage « Le temps des journalistes : L’invention de la presse en Afrique francophone ».

Au-delà du lien social, c’est un groupe… d’intérêt qui prend forme et s’impose par son discours et non par sa réalité. Dans les faits, le thème de la liberté et de « l’indépendance » de la presse (il fut même question de presse autonome…) est devenu, dans les années 90-2000, l’idéologie professionnelle du métier de journaliste qui évolue en dehors de la presse partisane et publique.

La presse privée a existé bien avant les années 90, mais ne formait pas un « groupe » social sinon d’intérêt. Le capital privé n’assure pas l’indépendance ni des sources d’information ni des bailleurs de fonds et moins encore de l’Etat à qui il est demandé des subventions au même titre que la presse publique et partisane, mais sur la base d’une certaine singularité qui n’existe en réalité que dans les esprits de ceux-là même qui l’ont inventée, comme les chasseurs ont inventé un oiseau pour obtenir gain de cause.

L’indépendance, c’est l’autonomie financière

S’il est question de moins en moins de presse indépendante, l’édition semble prendre le relais et organise, périodiquement, les Assises internationales de l’édition indépendante comme s’est constituée une Alliance internationale des éditeurs indépendants.

Les Assises ont pour objectif de réunir « des actrices et acteurs de tous les continents, elles permettent notamment chaque année d’établir collectivement un portrait de l’édition indépendante mondiale », issus du Maghreb, d’Afrique subsaharienne, d’Europe et d’Amérique du Sud. Dans ce schéma, il n’est pas question d’indépendance par rapport à l’Etat ou aux partis politiques mais par rapport aux « conglomérats » d’édition, comme il en existe en France, mais pas au Maroc, par exemple.

Ce que l’on qualifie d’éditeurs indépendants sont, dans la réalité, des éditeurs sans assises financières, mais qui participent, en France, pour citer un exemple et selon les chiffres disponibles, à 25 % du volume de titres publiés dans l’Hexagone. Le nombre d’éditeurs qui entrent dans cette catégorie est de quelque 3000, pour l’essentiel « invisibles » par rapport à des éditeurs comme Le Seuil, Gallimard, Albin Michel et quelques autres qui ne dépasseraient pas la vingtaine d’éditeurs. Ces éditeurs « indépendants » qui refusent la « marchandisation » des livres qu’ils publient sont souvent en dehors des circuits de distribution du livre et restent dans la limite d’une diffusion restreinte pour ne pas dire confidentielle.

La majorité de ces éditeurs revendique une certaine « éthique », mais aspire à des aides publiques pour l’embauche et le développement structuré de l’activité. A sa création la Fédération nationale de l’édition indépendante, en France, s’est donnée pour objectif le rassemblement des associations d’éditeurs indépendants «pour construire des revendications communes».

Cette revendication de financement public montre bien que cette édition indépendante ne l’est et ne se conçoit que par rapport aux éditeurs solidement ancrés financièrement et professionnellement, des éditeurs qui ne se refusent pas le vertige du bestseller qui, peut-être, ne marquera pas « la pensée », mais reste porteur de marge et donc d’indépendance financière pour se développer… en toute indépendance et autonomie.

Abdallah BENSMAÏN



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