En vrac : membre à 18 ans du parti communiste de son pays d’origine, pianiste et fils de musicologue, étudiant en littérature puis en cinéma, professeur d’histoire de la littérature mondiale, admirateur de Picasso et de Stravinsky, ami du président tchèque Vaclav Havel, soutenu par Bernard-Henri Lévy … Mais surtout romancier mettant aux prises ironie, full désir et incomplaisance. En usant également de l’absurde, il pointe de sa déroutante réflexion la non-signifiance, dénonce la médiocrité et la trahison. Si à le lire on en prend plein la figure, parfois avec violence, on n’est pas pour autant désabusé ou largué. Le romancier qu’il est, titille l’universalité des méfaits d’un monde marchant sur la tête, le sien d’abord qu’il arrive à déteindre sur le reste de la planète, se posant des questions, pas forcément les bonnes. Milan Kundera est l’un des rares écrivains à avoir franchi de leur vivant la porte de la collection La Pléiade. Il y est depuis 2011, côtoyant Conrad, Proust, Molière, Balzac, Goethe ou Rabelais. « Tous les prix et fauteuils pâlissent devant un tel hommage », disent les uns. « Pas de notes, pas de biographie, aucun élément dans ce volume qui permette d’entrer dans les coulisses de l’œuvre, rien que le texte ‘’pur’’, se vante l’éditeur », pour d’autres. Gallimard, à l’origine de La Pléiade, ne pipe pas mot, se félicite plutôt de son choix de cet auteur fidèle à son écurie depuis 1970.
Une préface de Louis Aragon
Parmi ses nombreux ouvrages, Milan Kundera frappe fort en 1968 (pour la traduction française préfacée par Louis Aragon) avec « La Plaisanterie », un premier roman qui relate le parcours d’un jeune étudiant et militant communiste. Après une légère plaisanterie (justement) envoyée sur une carte postale, le voilà répudié du Parti, de l'Université et forcé de rejoindre l’armée des « déviants politiques ». Un roman d’amour selon l’auteur, un livre politique pour l’intelligentsia européen, ce que Kundera réfute catégoriquement. Passent le temps et quelques éditions avant la parution de ce qui est qualifié de chef-d’œuvre mondial, « L’Insoutenable légèreté de l’être » sorti en 1984. Un récit d'amour, une célébration de la liberté, une étreinte faite à l’humain. Avec ce clin d’œil au kitsch : « La station de correspondance entre l'être et l'oubli. » Le réalisateur Philip Kaufman décide en 1988 d’adapter le roman au cinéma en faisant appel à l’Américain Daniel Day Lewis et à la Française Juliette Binoche. Vient en 2014, un autre roman, son dernier, « La Fête de l’insignifiance ». Le Tchèque, devenu Français en 1981 grâce au bon vouloir du nouveau Président de la République française François Mitterrand, s’y attaque avec désinvolture à des figures parisiennes nostalgiques. En guise d’accroche, on peut lire : « Un résumé surprenant de toute son œuvre. Drôle de résumé. Drôle d’épilogue. Drôle de rire inspiré par notre époque qui est comique parce qu'elle a perdu le sens de l'humour ! »
Une sagesse du roman
Dans « Les Testaments trahis », un recueil d’essais paru en 1993 et écrit directement en français, Milan Kundera s’étale ainsi en faisant appel à l’expression romanesque, à la sagesse existentielle : « La seule chose que je désirais (…) profondément, avidement, c’était un regard lucide et désabusé. Je l’ai trouvé enfin dans l’art du roman. C’est pourquoi être romancier fut pour moi plus que pratiquer un ‘’genre littéraire’’ parmi d’autres ; ce fut une attitude, une sagesse, une position ; une position excluant toute identification à une politique, à une religion, à une idéologie, à une morale, à une collectivité ; une non-identification consciente, opiniâtre, enragée, conçue non pas comme évasion ou passivité, mais comme résistance, défi, révolte. J’ai fini par avoir ces dialogues étranges : ‘’Vous êtes communiste, monsieur Kundera ? ― Non, je suis romancier.’’ ‘’Vous êtes dissident ? ― Non, je suis romancier.’’ ‘’Vous êtes de gauche ou de droite ? ― Ni l’un ni l’autre. Je suis romancier.’’ » Dans une note anonyme et constructive, on peut lire : « C’est sous l’éclairage de cette ‘’sagesse du roman’’ que l'auteur examine les grandes questions de notre époque : les procès moraux intentés contre l’art du siècle passé, le temps qui passe, l’indiscrétion préfigurant la fin de l’individualisme, la force des dernières intentions d’un mort, les testaments trahis. » Né un 1er avril, Kundera est tout sauf une mauvaise blague faite à la littérature. Une grande partie de ses œuvres est traduite dans plus de 40 langues. Il reçoit le prix Médicis étranger en 1973 pour « La vie est ailleurs », le prix Jérusalem en 1985, le prix Aujourd'hui en 1993 pour « Les Testaments trahis », le prix Herder en 2000, le Grand prix de littérature de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre en 2001, le prix mondial Cino-Del-Duca en 2009. Et le Grand prix de la dérision formatrice. Pour l’éternité.
Anis HAJJAM