Dans plusieurs villes du Royaume, l’utilisation des bus pour le transport urbain n’est pas de tout repos au vu de la vétusté des véhicules et de leur état souvent déplorable, sans compter la pollution générée par une combustion thermique qui devient obsolète.
Dans certaines agglomérations, les bus disponibles ne sont parfois même pas suffisants pour le nombre des utilisateurs qui, au quotidien, se retrouvent obligés d’utiliser d’autres moyens de transport moins pratiques. Cet état des lieux a bien été diagnostiqué par le Conseil de la Concurrence qui avait publié, en juillet 2022, un avis dédié au fonctionnement concurrentiel de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain par autobus au Maroc. Le Conseil avait alors pointé plusieurs dysfonctionnements, notamment l’arsenal juridique inachevé, ainsi qu’un niveau de concentration élevé où les deux premières sociétés ALSA et City Bus ont une part de marché cumulée se situant entre 80 et 90% durant la période 2018-2020, avec une dominance nette de la société ALSA qui a vu sa part de marché passer de 50 à 70%.
Programme 2024-2029
En plus des impératifs liés à l’amélioration des conditions et services de transport urbain pour les locaux, cet enjeu revêt une importance croissante alors que le Royaume se dirige vers l’organisation de grands événements sportifs, dont la Coupe du Monde 2030 (conjointement avec l’Espagne et le Portugal) qui imposent de construire diverses solutions de mobilité durable collective.
Cette épineuse problématique s’est invitée ce lundi 27 mai 2024 lors de la séance des questions orales à la Chambre des Représentants à Rabat, à travers une question portant sur « la modernisation du système de mobilité et de transport public urbain ». Le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, a indiqué que son département a mis en place « un programme initial pour la période 2024-2029, visant à doter plus de 32 villes d'une flotte de 3500 bus de transport urbain, pour un coût estimé à 10 milliards de dirhams. Ces investissements concernent les composantes de la flotte, les centres de maintenance, les dépôts et parkings de bus, et les systèmes de billetterie et d'aide à la gestion ».
Gestion déléguée
Le ministre a par ailleurs souligné que la mise en œuvre de ce programme a nécessité l’élaboration d’études relatives à la préparation de la gestion déléguée du transport via les bus, « tout en faisant la distinction entre le volet lié à l'investissement et celui relatif au fonctionnement, étant donné que les coûts d'investissement seront couverts à travers la contribution du ministère de l'Intérieur et des Collectivités territoriales, de l'établissement de coopération intercommunale ou des Groupements des Collectivités territoriales et des régions, ce qui garantira la réalisation de toutes les composantes de l'investissement et assurera la pérennité de ce service d'importance vitale ».
Dans le même contexte, « il a été procédé à l'élaboration d'un cahier des charges concernant l'assistance à la supervision du projet et l'accompagnement et le suivi du nouveau modèle de contrats de gestion déléguée, ainsi qu'un autre (cahier des charges, ndlr) permettant aux autorités déléguées de choisir de la manière la plus appropriée les autobus à acquérir, et ce, à travers le lancement d'appels d'offres dans les plus brefs délais en privilégiant la fabrication locale des bus ».
Quid de l’innovation ?
M. Laftit a également fait état de la révision de tous les documents relatifs aux contrats de gestion déléguée ainsi que d'autres contrats en vigueur qui « connaissent plusieurs problèmes financiers et de gestion afin de les adapter et de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l'équilibre budgétaire et améliorer les services ».
Si la réponse du ministre de l’Intérieur a apporté des éclairages quant aux moyens de résoudre plusieurs problématiques pointées par le Conseil de la Concurrence, l’enjeu lié à l’innovation et au recours aux technologies propres reste encore en point d’interrogation. L’avis du Conseil avait à cet égard souligné que le niveau élevé de concentration qui est actuellement constaté dans le marché des transports collectifs publics s’expliquait par des barrières à l’entrée très élevées, édictant des conditions techniques et financières d’accès qui favorisent les grandes entreprises, empêchent l’arrivée de nouveaux entrants et « excluent totalement l’innovation, la créativité comme critères de sélection ».
3 questions à Hassan Sentissi, président du HDD
« Seule manque une décision politique éclairée pour capitaliser sur l’investisseur marocain »
-En tant que porteur d’un projet de construction de bus électriques Made in Morocco, quelle est votre perspective par rapport aux annonces faites ce lundi par M. le ministre de l’Intérieur ?
Il s’agit bien évidemment de bonnes nouvelles, surtout que les problèmes liés aux bus dans les villes marocaines portent préjudice à la qualité des services que les citoyens sont en droit d’attendre et de recevoir. Des villes comme Fès en sont arrivées à un état critique par rapport à ce sujet et il est grand temps de revoir tout le modèle de mobilité urbaine collective afin de garantir que les utilisateurs de ces moyens de transport puissent bénéficier des meilleures solutions possibles et d’offres compétitives. Il est déplorable que notre pays, qui s’est engagé sur la voie de la modernisation de ses infrastructures et de ses services publics, continue à laisser circuler des bus thermiques d’un autre âge, qui participent à la pollution atmosphérique et aux émissions de gaz à effet de serre.
-Justement, la transition vers les bus électriques ne semble toujours pas d’actualité…
Comme vous l’avez dit, nous sommes à HDD porteur d’un ambitieux projet de mise en place d’un écosystème de fabrication locale de bus électriques Made in Morocco, qui pourrait capitaliser sur les acquis nationaux en matière de ressources stratégiques et humaines pour proposer des véhicules de qualité à des prix défiant toute concurrence. Le capital d’investissement est disponible, les partenaires techniques internationaux sont partants, les solutions de recharges ont été préparées et le modèle économique que nous avons construit permettra même à l’Etat de payer avec un différé de deux années. A ce stade, il est pour nous incompréhensible que les décideurs n’arrivent toujours pas à percevoir la formidable opportunité que nous offrons et qui adhère à tout point de vue à la stratégie nationale et à la vision Royale en termes de création d’emplois, de développement économique et de souveraineté technologique…
• Quels sont, selon vous, les freins qui retardent l’intégration de projets comme celui de HDD dans le chantier de la mobilité durable urbaine ?
Franchement, je n’en ai aucune idée. Que ce soit la question du prix final, de la maintenance, de l’intérêt écologique, de la maîtrise technique… Tout a été soigneusement étudié pour apporter toutes les garanties nécessaires de réussite, et cela, en conformité avec les spécificités du contexte national. Malheureusement, nos propositions se retrouvent toujours face à un mutisme des décideurs qui semblent ne pas comprendre l’enjeu puisqu’ils ne daignent même pas nous recevoir pour exposer notre vision, et ce, depuis plus de 18 mois, sachant que notre dernière demande de concertation date de la semaine dernière. Franchement, je dirai qu’actuellement seule manque une décision politique, sociale, économique et environnementale éclairée pour capitaliser sur l’investisseur marocain qui reste toujours tributaire d’un feu vert parlementaire pour lancer en confiance sa machine de production. En attendant, le temps est compté pour pouvoir agir tant que toutes les conditions sont encore rassemblées. L’approche la plus logique pour y arriver serait que le Maroc réserve un pourcentage sécurisant (au moins 20%) à l’acquisition de bus électriques autant pour appuyer le développement d’un écosystème local de production que pour amorcer réellement la mobilité durable (électrique et hydrogène vert) urbaine déjà prévue dans nos stratégies.
Batteries
L’intérêt pour le Maroc des géants asiatiques de la mobilité électrique
Avec l'intérêt croissant des consommateurs pour la mobilité électrique, le marché mondial des batteries pour véhicules électrifiés continue de croître et représente désormais plus de 60 milliards de dollars. En plus d'être devenue un pôle majeur pour la fabrication de pièces automobiles, l'Asie est aussi pionnière dans la production de batteries pour véhicules électriques. À l'heure actuelle, les dix fabricants avec les parts de marché les plus élevées ont tous leur siège dans des pays asiatiques. Il n’en demeure pas moins que de nombreux fabricants portent un intérêt croissant pour le Maroc au vu de ses atouts en termes de matières premières, de proximité avec le marché européen et de présence de mesures incitatives liées à l’investissement. La dernière actualité en date dans ce domaine se réfère au projet, d’un montant de 3 milliards de dirhams, porté par le groupe chinois BTR New Material Group, pour l’installation d’une usine de production de cathodes d’une capacité de 50.000 tonnes par an au sein de la Cité Mohammed VI Tanger Tech.
Investissement
Les conséquences de la lente conversion vers les bus électriques
Si plusieurs acteurs majeurs de la mobilité électrique veulent investir au Maroc, notamment pour la mise en place d’usines de fabrication de batteries électriques, il n’en demeure pas moins que certains d’entre eux semblent perdre leur intérêt. « Pour la période 2024-2029, le ministère de l’Intérieur se prépare à passer une commande pour l’achat de 3709 bus dont 0.8% seulement sont électriques (30 véhicules) et dont l’utilisation est prévue dans plusieurs villes qui sont actuellement pressenties pour héberger des matchs de la Coupe du Monde », nous révélait déjà le mois dernier une source proche du dossier, ajoutant que « cette orientation a encouragé des groupes comme BYD à décider de quitter le Maroc pour investir ailleurs ». Plusieurs médias ont en effet annoncé que le constructeur chinois était en cours d’officialiser son désengagement concernant le projet d’implantation d’une usine de batteries électriques à Tanger Tech en raison de la « lenteur dans la transition des sociétés de transport public vers les bus électriques ». Le média en ligne algérien « Observ’Algérie » n’a pas manqué de reprendre également l’information : « Annoncé en 2017, le projet d'usine de batteries électriques de BYD à Tanger n'a jamais vu le jour. Sept années d'attente et plusieurs obstacles, dont la faible demande pour les bus électriques de BYD au Maroc et les difficultés liées à la transition vers les transports publics électriques, ont finalement conduit à l'annulation du projet », souligne le média arguant que « Les responsables de BYD auraient choisi l'Algérie » pour installer ce projet.