Une œuvre qui se construit en douceur, dans le calme, avec de délicats chuchotements. Ici, le thème est un douloureux apaisement puisque crié en sourdine, en forte dignité créative. Les larmes coulent sur une approche convoquant la retenue que seule la séparation peut matérialiser. Un frère, jeune, parti et c’est l’incongruité qui s’installe. Les « pourquoi » ne règlent rien certes, mais c’est ainsi que la douleur prend ses quartiers. Narjisse perd un proche bien-aimé et le récupère dans des toiles jonchées d’incompréhension et parsemées d’espoir. Entre les noirs, les blancs et les gris qui renvoient à différents deuils, universels certainement, des oiseaux s’installent sur le fil du chant paradisiaque, une prière forte en non-dits, un ange humanisé caressant un étrange nuage. Narjisse El Joubari investit l’espace, le rendant éparse, le conjuguant au présent imparfait. Et c’est, paradoxalement, le prélude à un futur qui ne se prononce pas, qui risque d’enchanter, qui laisse perplexe. La vie nous aime-t-elle ou se limite-t-elle au ricanement à l’endroit de ce genre de questionnement ? L’au-delà nous répondra. En attendant, l’art est là pour nous guider ou pas, nous aider à aimer l’existence ou la snober jusqu’à ce que lumière s’ensuive.
La vague noyant le corps
Narjisse El Joubari se retrouve, dans ce tas de préoccupations qui font la vie et la raison d’être de tant d’artistes, face à des toiles blanches belles comme la remise en question, plus imposantes que ce qu’on souhaite leur faire dire. Dans « A fleur de mémoire », elle cogne en se laissant submerger par la vague qui trouble son âme, noie son corps, masse son lendemain. Cette série agit telle une détonation qui attend son grand bruit, une sorte d’incantation que le brouhaha empêche d’entendre. Et si c’est elle qui a raison ? Lui poser la question c’est comme demander à celui qui achète une de ses œuvres s’il le fait avec conviction. Et puis cet effacement haut en légères couleurs qui font du travail une reconduction vers l’inconnu. Beau est, finalement, le cri lorsqu’il est tu. Aimer ce noir lumineux, s’entendre avec ce gris apaisant, se détendre dans les bras d’un blanc éclatant, c’est le chemin choisi par El Joubari pour nous dire que la couleur est belle lorsqu’elle ne se revendique pas, flamboyante quand elle s’atténue, immortelle dès qu’elle se terre.
Légèreté d’un redoutable sérieux
Comment cette femme quasi-filiforme peut se jeter dans les multiples étreintes d’un art profond comme l’océan, redoutable tels ses autoproclamés décideurs, gardant une autodétermination respirant la fierté indéterminée ? Par « conspiration » contre les détenteurs d’espaces d’expositions et de douteuses plateformes d’expression. Narjisse El Joubari entretient la légèreté avec un redoutable sérieux. Frôlant la démesure, ses interventions dans la vie picturale lui créent animosités et exclamations. Ainsi va l’artiste lorsqu’il ne déploie que ses pulsions. « A fleur de mémoire » est un déterminant exemple dans l’espace pictural verbalement transmis lorsqu’on est à cours de discernassions. D’elle, l’ami Farid Zahi, « militant » en critique plastique, entre autres, dit en scrutant le ciel pesant de l’exposition : « Que cherche l’artiste dans cette fluctuation entre deux mo(n)des de nuages, sinon un état d’âme à même de transformer la temporalité humaine, fluide et incertaine, en une spatialité céleste et spirituelle, stable et pérenne ? Etanches, perpétuellement en métamorphose, les nuages offrent à l’imagination artistique un semblant de paysage spirituel que les oiseaux ne cessent de contempler, certainement pour lui conférer une dimension terrestre. Quant aux flots de pluie, ils nous bercent par leur verticalité, allient ciel et terre et tracent la voie à notre regard afin de le guider vers la lumière. Aucun parapluie, aucune barrière n’est à même de nous priver du bonheur de ce baptême d’eau régénérateur. Nul doute que les œuvres récentes de El Joubari lui permettent d’affirmer son univers personnel, intime et profondément attaché à son regard et à sa mémoire. » Seulement, la pluie est un flot de larmes et les nuages attestent d’un orage doucereusement apprivoisé. Narjisse El Joubari est décidément une artiste qui ne crée pas dans la sérénité. Le mal lui fait fatalement du bien. Pour l’instant…
Anis HAJJAM