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-Comment interprétez-vous le récent soutien de la France au plan d’autonomie marocain pour le Sahara ? Quels sont les enjeux géopolitiques de ce changement de position ?
Comme l’a déclaré l’Ambassadeur de France au Maroc, Christophe Lecourtier, « Nous devons penser ensemble la refondation de nos relations pour les 25 prochaines années ». L'ambassadeur de France a également évoqué l’ambition partagée par les deux pays de collaborer au-delà de leurs frontières, dans leurs relations avec les pays du Nord et du Sud, et a conclu en réaffirmant l’importance de la culture comme levier de rapprochement et de coopération internationale. Je pense que le véritable enjeu est les relations entre les pays du Nord et du Sud. Un axe Paris-Rabat peut participer au dialogue entre les pays du Nord et les pays du Sud.
-Quelles pourraient être les conséquences de ce soutien français sur les relations diplomatiques entre la France et l’Algérie ?
Les relations entre la France et l’Algérie sont compliquées depuis 1962. Jusqu’à aujourd’hui, les tentatives de réconciliation mémorielle et diplomatique ont toujours été, malheureusement, à sens unique. L’Algérie continue à capitaliser sur la rente mémorielle pour cacher l’échec généralisé de son gouvernement dans le développement du pays. La France n’a pas à craindre de quelconque menace venant du gouvernement algérien, mais a, au contraire, tout à gagner en poursuivant sa coopération avec le Royaume du Maroc. Dernièrement, Aziz Akhannouch a souligné son attachement au multilinguisme quand l’Algérie abandonne le français.
-Le rapprochement franco-marocain sur la question du Sahara pourrait-il influencer la position européenne sur ce dossier ?
L’Europe n’a pas attendu la France pour nouer des relations solides avec le Maroc et inversement. Dernièrement, la Finlande est devenue le premier pays nordique à reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara. Elle suit donc la longue liste des soutiens au Royaume, dont la France. Récemment, le Danemark a affirmé également son soutien au plan marocain, et l’Autriche puis les Pays-Bas ont réitéré leurs soutiens eux aussi, malgré les campagnes de désinformation venant d’Alger, comme en a été victime la Slovénie en septembre dernier. La France a une grande influence diplomatique en Europe, mais le bon sens de chaque membre de l’UE prévaut sur le reste. La récente défaite des eurodéputés pro-Polisario à inscrire la décision de la CJUE à l’ordre du jour en est la preuve.
-Comment le Maroc compte-t-il capitaliser sur le soutien français pour faire avancer son plan d’autonomie au niveau international ?
La France jouit d’un puissant réseau diplomatique doublé de son statut de membre permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU. Elle est de fait un soutien de poids dans l’acceptation de la souveraineté marocaine sur le Sahara. Cependant, le Maroc a une grande et longue culture diplomatique, comme aimait le rappeler le Maréchal Lyautey. Il doit donc capitaliser sur d’autres partenaires, notamment en Europe, où il le fait très bien jusqu’à présent. Le Royaume peut, en effet, capitaliser en Europe grâce au cap qui a été franchi par la France, malgré les pressions d’Alger, pour continuer à convaincre les plus frileux. Outre le soutien français, le Royaume du Maroc bénéficie du soutien des États-Unis, alors que le mouvement indépendantiste ne compte plus que sur le soutien d’Alger.
-Quelles sont les implications économiques potentielles de ce rapprochement franco-marocain, notamment en termes d’investissements et d'échanges commerciaux ?
La France est le troisième fournisseur du Royaume et le premier investisseur étranger au Maroc, notamment dans le secteur des services. Avec plus de 900 filiales, le Maroc est le marché le plus attractif d’Afrique pour les entreprises de l’Hexagone. On peut ajouter à cela qu’une trentaine d’entreprises du CAC 40 y sont aussi implantées. Le Maroc bénéficie de la stabilité économique et politique de son Royaume millénaire. Sa longue culture de l'accueil lui offre un cadre plus que propice aux échanges économiques et commerciaux dans le futur avec la France. Par ailleurs, c’est dans le domaine de la défense que de nouveaux échanges pourraient voir le jour. Les exercices franco-marocains des derniers jours ont été accompagnés d’un sous-marin nucléaire français, preuve que la coopération entre nos deux pays ne peut aller que de l’avant. Outre la France, c’est à l’échelle européenne qu’il faut désormais se tourner. L’Europe va vers une généralisation de la reconnaissance de la souveraineté du Royaume sur le Sahara. Il va donc de soi que les investissements européens sont aussi à prendre en considération, et le Roi Mohammed VI s’inscrit dans cette dynamique. Prenons l’exemple de l’Espagne, un autre grand partenaire du Royaume : l’entreprise INECO a récemment remporté un contrat de taille au Royaume sur les réseaux ferrés Tanger-Tétouan. Parallèlement, ce sont les agences de voyage espagnoles qui s’intéressent massivement au potentiel touristique marocain. Plus généralement, le Maroc n’attend personne pour se développer économiquement et conquérir de nouveaux marchés. Il est aujourd’hui le quatrième acteur mondial en termes de croissance des exportations de fruits et légumes, il est aussi l’un des leaders en termes d’énergies renouvelables en Afrique et l’un des plus gros investisseurs dans la région.
-Comment analysez-vous le renforcement des liens entre la Russie et l’Algérie dans ce contexte ? S’agit-il d’une réponse directe au rapprochement franco-marocain ?
Il est intéressant de noter que la Russie et l’Algérie partagent un point commun, et pas des moindres : l’isolement diplomatique. Alger s’est coupée de presque tous ses voisins, y compris au Sahel, et la Russie tente tant bien que mal de renouveler un semblant de réseau diplomatique aventureux et dangereux avec l’Iran et la Corée du Nord. L’intérêt russe est triple en Algérie : économique, militaire et politique. L’Algérie est tributaire du blé russe, elle en a importé 2,34 millions de tonnes entre 2023 et 2024. En ce qui concerne le volet militaire, Alger a renouvelé son partenariat stratégique avec Moscou en 2023, lors de la visite du président Tebboune à Moscou. Ce partenariat consiste en des manœuvres conjointes, le transfert de technologie et des coproductions. Rappelons qu'Alger avait décidé d’augmenter son budget militaire de 120% par rapport à 2022, soit 23 milliards en 2023, d’où l’intérêt russe pour ce marché algérien. En ce qui concerne le volet politique, « l’ennemi de mon ennemi est mon ami » : l’Algérie est actuellement l’alliée la mieux placée pour nuire à la France, notamment par la possibilité de pression vis-à-vis de ses exportations d’hydrocarbures vers l'Hexagone.
-Dans quelle mesure le passé indépendantiste de l’URSS influence-t-il la position actuelle de la Russie sur la question du Sahara ?
Dans les années 1990 jusqu’aux années 2010, les Russes se sont refusés à mener des campagnes de guerre informationnelles à des fins de déstabilisation, car pour eux, c’était la marque de fabrique des puissances capitalistes. Cela n’est plus le cas actuellement. La déstabilisation par le désordre interne est devenue la marque de fabrique du Kremlin. Ils utilisent des proxis pour mener à bien la déstabilisation d’États souverains dans le but de mieux s’y implanter, soit économiquement, soit politiquement. L’utilisation des mouvements indépendantistes ou sécessionnistes est un moyen très habile de mener des guerres dites hybrides sans y participer directement, comme on a pu le voir en Ukraine jusqu’en 2022...
-Comment la France pourrait-elle concilier son soutien au plan d’autonomie marocain avec le maintien de bonnes relations avec l’Algérie ?
Dans l’état actuel des choses, la conciliation ne semble pas être une perspective à court terme envisageable. La vision diplomatique algérienne est totalement anachronique et conduit le pays à l’isolement. La France n’est pas un cas isolé dans la politique étrangère algérienne. À l’ouest, Alger a rompu ses relations avec le Maroc depuis 2021, et cela ne semble pas s’atténuer, surtout avec la récente politique des visas à l’égard des Marocains. Au sud, la rupture diplomatique avec le Mali est imminente et pourrait s’élargir au Niger et au Burkina Faso par solidarité. La Libye, quant à elle, n’est pas en reste de tensions avec Alger, qui avait envisagé, en 2019, une incursion militaire en territoire libyen. Sur le plan international, la situation n’est pas plus reluisante : l’Algérie a vu sa candidature aux BRICS être rejetée en 2023.
De son côté, le Maroc continue de renforcer ses liens diplomatiques, notamment sur la façade atlantique et au Sahel, une région qui regroupe 23 pays et 70 % de la population africaine. Le Royaume développe ses partenariats mondiaux avec succès. Pour la France, la conciliation avec l’Algérie ne semble donc plus d’actualité à court terme. Au contraire, elle pourrait plutôt s’orienter vers un renforcement des relations avec le Maroc.
-Pensez-vous que cette nouvelle configuration géopolitique pourrait relancer les négociations sur le statut du Sahara sous l’égide de l’ONU ?
Le Maroc bénéficie de nombreux soutiens à l’échelle internationale. Dans ce contexte, le dossier sur le statut du Sahara ne peut qu’évoluer favorablement à court et long terme. Récemment, plus de quarante pays ont réaffirmé leur soutien à la souveraineté du Maroc sur le Sahara lors de la 57e session du Conseil des droits de l’Homme à Genève. En Europe, le Royaume bénéficie du soutien inconditionnel de la France, accompagné de celui de plusieurs autres pays, dont l’Allemagne, l’Espagne, l’Autriche, et les Pays-Bas.
Dans les pays du Golfe, les Émirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite ont récemment réitéré leur appui au plan d’autonomie marocain. L'Arabie Saoudite a notamment affirmé son rejet de toute atteinte aux intérêts suprêmes du Royaume du Maroc.
Propos recueillis par Houda BELABD