Le 8 septembre 2023, un séisme frappait brutalement la région d’Al-Haouz, causant près de 3.000 morts et endommageant environ 60.000 habitations. Un an après, « la mise en œuvre des différents axes du programme de réhabilitation des régions touchées par le séisme, en application des Hautes Instructions Royales, a enregistré des progrès positifs dans plusieurs secteurs et à plusieurs niveaux », a récemment indiqué le Chef du gouvernement, M. Akhannouch, dans une déclaration à la presse à l’issue de la 11ème réunion de la Commission interministérielle chargée du programme de reconstruction et de réhabilitation générale des zones sinistrées par le séisme d’Al-Haouz (voir article ci-bas). Cependant, si les infrastructures se reconstruisent, les esprits et les cœurs, eux, peinent à retrouver une forme de normalité. « J'entends encore les cris de mon petit-fils sous les décombres », confie une habitante du village de Tiniskt dans un récent reportage de l’AFP. Un exemple parmi tant d’autres des traumas que des milliers de personnes essuient encore, un an après.
Chocs et traumas
Si les premières semaines après le séisme ont connu la mise en place de cellules de soutien psychologique par des institutions comme l’Entraide nationale ou la Santé appuyées par la société civile, force est de constater que cet élan s’est depuis essoufflé. « Durant nos premières missions, nous avions principalement des personnes en état de choc. Il n’était alors pas encore question de traumas proprement dit », explique Hicham Laafou, consultant psychologue, psychothérapeute et président de la Ligue des Spécialistes de la Santé Psychique et Mentale (LSSPM). « Il a bien évidemment fallu que nos équipes reviennent périodiquement sur le terrain, pour compléter nos tableaux cliniques. L’idée était de faire un suivi pour identifier les cas où le choc initial se transformerait en trauma. Le cas échéant, les symptômes de ce trauma se développent généralement à trois mois environ du choc initial », poursuit notre interlocuteur, en soulignant les cas « qui ne bénéficiaient pas d’un suivi psychologique direct et ont développé des PTSD (des états de stress post-traumatique) ».
Soutien psychologique
Sur le terrain, les psychologues de la Ligue rencontraient deux groupes de cas nécessitant un accompagnement : les personnes qui ont perdu des proches, mais également les personnes qui souffraient de troubles psychiatriques antérieurs et dont la situation s’est aggravée suite au séisme, en raison de la difficulté d’accès à leurs médicaments. « Un certain nombre de ces cas a été pris en charge par les hôpitaux. Cela dit, la majorité de ces cas est restée isolée dans les zones sinistrées, notamment dans les zones très difficiles d’accès. Certains n’avaient pu bénéficier d’aucun soutien ou assistance sauf à travers des associations et des institutions comme la Fondation Mohammed V pour la Solidarité », note le psychothérapeute qui pointe un affaiblissement de la mobilisation pour soutenir psychologiquement les populations après quelques mois du drame. « Il n’y avait malheureusement pas suffisamment de cadres locaux spécialisés en psychiatrie, ce qui explique qu’il n'a pas été possible de prendre tout le monde en charge », note la même source.
Plan d’urgence
« Nous avons constaté qu’un grand nombre de victimes du séisme ont développé des troubles d’abandon. Nous avons également trouvé d’autres problèmes qui se sont développés à cause de l’absence d’un plan clair d’intervention et d’accompagnement psychologique aligné sur la psychologie des crises et catastrophes », regrette le président de la LSSPM qui considère que les fonds disponibles pour la reconstruction devraient facilement couvrir la mise en place d’un véritable plan de suivi psychologique, notamment pour les plus jeunes au niveau scolaire, à travers le recrutement de psychologues, dont des centaines sont actuellement au chômage. Au vu de l’ampleur des dégâts causés par le séisme, un plan de ce genre aurait dû couvrir toutes les zones sinistrées et s’étaler sur au moins trois années. « Il n’est pas trop tard pour rattraper la situation afin d’atténuer les souffrances psychologiques, pour peu que les décideurs soient convaincus qu’il faut aussi bien reconstruire les corps et les biens que la santé mentale et les psychés », conclut le psychothérapeute.
3 questions à Hicham Laafou, psychothérapeute « Il faut mettre en œuvre un plan d’accompagnement psychologique qui dure au moins 3 ans »
Consultant psychologue, psychothérapeute et président de la Ligue des Spécialistes de la Santé Psychique et Mentale, Hicham Laafou répond à nos questions.
- Quelles ont été les activités de votre ligue dans les zones sinistrées durant l’année écoulée ?
Les activités de notre ligue se sont focalisées sur les zones qui ont été les plus touchées par le séisme, notamment Ighil et Talat N’Yaacoub. Nous avons d’abord effectué une évaluation des cas qui semblaient les plus touchés. Nous avons donc principalement travaillé avec des personnes qui ont perdu des membres de leurs familles durant ce drame, notamment des enfants et adolescents qui ont perdu leurs parents (ou frères et sœurs), et des parents qui ont perdu des enfants. Nous avons suivi ces cas en priorisant selon l’état de gravité de leurs situations.
- Que recommande la psychologie des crises et des catastrophes pour le cas d’un séisme de cette ampleur ?
Les normes scientifiques indiquent que lorsqu’une catastrophe de cette ampleur arrive, il faut veiller à mettre en œuvre un plan d’accompagnement psychologique qui dure au moins 3 ans, et qui permet de toucher tous les cas afin de ne pas laisser les traumas se développer jusqu’à aboutir à d’autres séquelles psychologiques plus graves et plus durables. Or, sur le terrain, nous n’avons plus que les ONG, marocaines et étrangères, qui sont les seules à faire le suivi psychologique, notamment dans des zones peu connues, qui n’ont été découvertes qu’après six mois et où ont été trouvées des populations en grande souffrance psychologique.
- L’Etat doit-il également appuyer financièrement les ONG qui travaillent sur le terrain à soutenir psychologiquement les victimes ?
L’État doit d’abord être conscient de l’importance de mettre en œuvre un plan d’urgence, et également savoir qu’il existe une spécialité qui s’appelle psychologie des catastrophes, et qu’au moins les experts qui existent au niveau national dans ce domaine soient contactés et consultés. Il faut bien évidemment que des associations actives dans ce domaine soient appuyées financièrement. Lorsque nous faisions nos missions sur le terrain, nous étions par exemple obligés de nous déplacer et nous prendre en charge avec nos moyens financiers personnels… L’Etat doit aider les associations actives à recruter des psychologues pour assurer qu’un accompagnement soit garanti sur le terrain et sur la durée nécessaire. Tout cela peut se faire avec un investissement raisonnable, et disponible par ailleurs, tout en assurant bien évidemment le contrôle nécessaire pour encadrer l’utilisation de ces fonds.
Propos recueillis par O. A.
Propos recueillis par O. A.
Normes : 80 communes concernées par l'actualisation des normes parasismiques
Le règlement de construction parasismique marocain fait l'objet d'une révision importante. Cette actualisation concerne 80 communes, principalement dans les provinces fortement touchées par le séisme d’Al-Haouz, telles qu’Al-Haouz, Taroudant et Marrakech. Le projet de décret, en cours d’élaboration par le ministère de l’Aménagement du territoire, vise à renforcer les normes de construction pour mieux encadrer la reconstruction post-séisme et réduire les risques pour les futures constructions. Les nouvelles règles prendront en compte les dernières données sismiques, ainsi que les enseignements tirés du séisme de 2023, qui a révélé des failles dans les structures existantes. Les communes concernées, situées dans des zones à risque, bénéficieront de méthodes de construction renforcées et adaptées aux conditions géologiques locales. Cette révision permettra d’améliorer la résilience des bâtiments face à d’éventuels tremblements de terre, garantissant ainsi une meilleure sécurité pour les populations locales et les infrastructures.
Santé : Vers la réhabilitation complète des infrastructures
Tout juste un an après le séisme dévastateur d’Al-Haouz, les efforts pour réhabiliter les infrastructures sanitaires ont pris forme dans plusieurs zones touchées. Le ministère de la Santé et de la Protection sociale, en collaboration avec les autorités locales, a déployé un plan ambitieux pour garantir un accès amélioré aux soins de santé dans les régions les plus affectées. D’après la Délégation provinciale de la Santé et de la Protection sociale à Al-Haouz, 42 centres de santé prioritaires ont été entièrement remis en état. Le projet a mobilisé un budget de 168 millions de dirhams. Parmi les réalisations majeures, les centres de santé d’Asni et d’Imlil, très touchés par le tremblement de terre, ont été totalement modernisés. Ces infrastructures rénovées, équipées de matériel de pointe, offrent désormais des services spécialisés en santé maternelle et infantile, ainsi que des équipements pour les accouchements. En complément de ces travaux, des unités mobiles de soins ont été déployées dans les zones les plus difficiles d’accès, telles que les localités d’Amizmiz et Talat N’Yaacoub, afin d’assurer la continuité des services de santé malgré les difficultés d'infrastructure. Ces unités, mises en place par la Fondation Mohammed V pour la Solidarité, ont joué un rôle essentiel pour pallier les manques de certaines structures temporaires.L’opération massive de réhabilitation dans le domaine de la santé contribue non seulement à améliorer l’accès aux soins, mais aussi à restaurer un sentiment de normalité chez les habitants touchés par la catastrophe.