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Actu Maroc

Protection des animaux : La polémique de Chaouen signe-t-elle le début du durcissement ? [INTÉGRAL]


Rédigé par Oussama ABAOUSS Mardi 11 Février 2025

​La saisie de perroquets à Chefchaouen relance le débat sur l’application des lois de protection des espèces face aux réalités socio-économiques et touristiques nationales à l’approche de 2030.



Il y a quelques jours, les services de l’Agence Nationale des Eaux et Forêts (ANEF) à Chefchaouen ont procédé à la saisie de plusieurs perroquets détenus par un promoteur touristique local. Ce qui semble a priori comme une simple opération liée à l’application de la loi sur les espèces protégées va rapidement prendre des proportions inédites. La mobilisation contre la saisie effectuée par l’ANEF a d’abord commencé par les habitants de Chefchaouen, dont beaucoup considèrent que ces perroquets faisaient partie du décor de la place Outa El Hammam, puisque leur propriétaire, un guide touristique local, les utilisait pour animer la place et proposer des photos aux visiteurs. Le guide admet lui-même dans une vidéo sur les réseaux sociaux que ces oiseaux sont une source de revenu depuis un quart de siècle et qu’il n’avait pas connaissance du fait que leur détention est réglementée par la loi. La question n’a par la suite pas tardé à s’introduire au Parlement marocain avec plusieurs interpellations du ministre de l’Agriculture sur le sujet.
 
Saisie ciblée ?
 
Dans un communiqué publié le 8 février 2025, l’ANEF a réagi à cette polémique en rappelant que cette saisie s’inscrit dans l’application de la loi n° 29.05, entrée en vigueur en 2015, qui interdit la détention d’espèces protégées sans autorisation préalable. «Ces perroquets figurent sur la liste rouge de l’UICN et leur commerce est strictement réglementé par la Convention CITES. Tout détenteur doit fournir des justificatifs prouvant leur origine légale», précise le communiqué officiel. L’ANEF insiste sur le fait que cette intervention n’est pas isolée et que d’autres saisies similaires ont lieu régulièrement dans tout le pays. «Nos services effectuent des contrôles permanents sur le territoire national afin de lutter contre la détention et le commerce illégal d’espèces protégées», indique l’agence. «Le propriétaire des perroquets les expose publiquement depuis plusieurs années. Pourquoi les saisir maintenant alors que des centaines d’animaux sauvages sont utilisés quotidiennement, notamment dans la place Jemaa Lefna», commente pour sa part un des habitants de Chefchaouen.
 
Quid de Jemaa Lefna ?
 
La polémique qui a découlé de la saisie des «perroquets de Chefchaouen» révèle cependant deux questions fondamentales. Si l’ANEF assure dans son communiqué que cette intervention n’est pas isolée, ajoutant que ses équipes ont«mené plusieurs campagnes de sensibilisation à travers les médias audiovisuels, ainsi que par l’organisation de conférences et de réunions dans plusieurs régions afin d’informer sur les dispositions et exigences de cette loi», force est de constater que beaucoup semblent la méconnaître. «Depuis son entrée en vigueur, la loi 29-05 a plus été appliquée dans les ports et aéroports que dans les souks et les places du pays où les animaux sauvages sont visibles par tous», nous confie un militant pour la protection animale. «Il y a eu cependant des efforts pour trouver des solutions aux macaques exposés à Marrakech en mettant en œuvre un process d’identification des propriétaires et des animaux, mais le phénomène continue et au-delà des dégâts sur la biodiversité, c’est également l’image du pays qui est en jeu puisque ces pratiques d’un autre âge sont souvent mal perçues par les visiteurs internationaux», poursuit la même source.
 
Perspective 2030

 
Le désarroi du propriétaire des perroquets de Chefchaouen après la saisie révèle la deuxième question fondamentale, à savoir : la dépendance d’un nombre non-négligeable de ménages à travers le pays des revenus de ce genre d’activité en plus du «lien», souvent réel, que les «propriétaires» de ces animaux ont avec eux. «Appliquer la loi c’est bien. Mais il faut l’appliquer sans discrimination et, surtout, il faut trouver des alternatives aux gens concernés», écrit un internaute réagissant à une publication sur les perroquets de Chefchaouen. Un commentaire qui résume tout l’enjeu que notre pays doit gérer d’ici 2030, lorsque des millions de visiteurs additionnels arriveront au Maroc pour la Coupe du Monde durant laquelle notre pays sera certainement scruté et largement couvert par les feux des projecteurs de la presse mondiale. Au-delà de l’anecdotique, de l’apparence d’une «injustice» pourtant légale, les perroquets de Chefchaouen auront eu le mérite de relancer le débat sur une problématique à laquelle il faudra rapidement trouver des solutions.
 
   

 

3 questions à Abdeljebbar Qninba, ornithologue : «Sans réglementation stricte du commerce et de la détention de certaines espèces animales et végétales, nous assisterons à une destruction massive de la biodiversité»

Naturaliste, enseignant chercheur et ornithologue, Pr Abdeljebbar Qninba répond à nos questions sur l’intérêt de réglementer la détention et le commerce des espèces menacées.
Naturaliste, enseignant chercheur et ornithologue, Pr Abdeljebbar Qninba répond à nos questions sur l’intérêt de réglementer la détention et le commerce des espèces menacées.
  •  Qu’est-ce qui justifie la réglementation stricte du commerce et de la détention de certaines espèces animales et végétales ?

- Sans réglementation stricte du commerce et de la détention de certaines espèces animales et végétales, nous assisterons à une destruction massive de la biodiversité. C’est inévitable. Prenons quelques exemples : lorsqu’on déplace des animaux ou des végétaux d’une zone géographique donnée, certaines de ces espèces déplacées peuvent se transformer en espèces invasives. Cela s’explique par le fait qu’elles ne soient pas accompagnées des facteurs qui contrôlent leur développement : elles n’auront pas les mêmes prédateurs ou encore les mêmes parasites que dans leurs zones géographiques d’origine. De ce fait, certaines espèces peuvent se développer de manière exponentielle et devenir invasives et préjudiciables à la biodiversité locale. Le cas échéant, il est très difficile d’en contrôler la prolifération. Un autre exemple concerne les espèces très rares ou menacées. Si le commerce ou la détention de ce genre d’espèces ne sont pas réglementés, cela risque d’impacter négativement leurs populations déjà fragiles.

 
  • Le cas des perroquets saisis à Chefchaouen révèle une méconnaissance des lois sur la faune. Comment améliorer la sensibilisation auprès des citoyens ?

- Il faut multiplier les efforts pour sensibiliser le citoyen lambda à travers divers moyens de communication : articles de vulgarisation, presse écrite ou audiovisuelle, mais également les réseaux sociaux. Ceci est d’autant plus nécessaire qu’il est important d’expliquer aux gens les types de plantes ou d’animaux qu’ils peuvent détenir, acheter ou vendre sans autorisation ni permis préalables. Ils doivent également savoir quelles sont les espèces qui font l’objet d’une stricte réglementation. La communication et la sensibilisation doivent être renforcées par des exemples concrets qui permettent aux gens de bien comprendre la problématique.
 
  • Avec l’approche d’événements comme la Coupe du Monde 2030, quelles sont, selon vous, les actions qu’il faut mettre en place pour respecter la loi tout en tenant compte des conditions sociales des personnes qui vivent de ce genre d’activité ?

- En plus de l’effort de sensibilisation que j’ai précédemment évoqué, il est tout aussi important de renforcer les mesures de contrôle au niveau des zones urbaines et rurales du pays. Cela devrait idéalement se faire en parallèle avec un effort tout aussi important pour trouver des moyens innovants et des alternatives pour les personnes qui vivent d’une activité liée à des espèces dont la détention et le commerce sont réglementés.

 

Contexte : Dessous d’une confiscation et perroquets qui s’invitent au Parlement

Le guide touristique propriétaire des perroquets de Chefchaouen.
Le guide touristique propriétaire des perroquets de Chefchaouen.

L’affaire des perroquets de Chefchaouen s’est invitée au Parlement marocain à travers plusieurs députés qui ont interpellé le ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement ruralet des Eaux et Forêts sur une décision qui «porte préjudice» à l’activité touristique locale et qui «n’a pas prévu des mesures alternatives».

Dans son communiqué diffusé le 8 février 2025, l’ANEF a rappelé que cette saisie s’inscrit dans l’application de la loi n° 29.05 (relative à la protection des espèces de faune et de flore sauvages et à la régulation de leur commerce), entrée en vigueur en 2015, qui interdit la détention d’espèces protégées sans autorisation préalable. L’article 73 de cette loi accordait par ailleurs aux détenteurs de ces espèces un délai de six mois à compter de la publication du décret d’application en juin 2015 pour se conformer aux réglementations et obtenir les autorisations et certificats requis.

A noter que le Maroc participe depuis plusieurs années à l’opération Thunder d’INTERPOL (voir infographie ci-contre) qui a pour objectif de lutter contre le trafic des espèces à travers une coordination multi pays. Sa dernière participation, en fin 2024, s’est d’ailleurs faite dans un contexte particulier puisque le Royaume était impliqué en tant que vice-président d'INTERPOL pour l'Afrique, nomination qui a été faite durant la même période en la personne du préfet de police Mohamed Dkhissi, également directeur de la Police judiciaire et chef du Bureau central national d'INTERPOL-Rabat.


 

Thunder 2024 : Une mobilisation mondiale contre le trafic d’espèces protégées

L’Opération Thunder est une initiative conjointe d’INTERPOL et de l’Organisation mondiale des douanes (OMD) visant à lutter contre le commerce illégal des espèces menacées d’extinction. Cette opération annuelle mobilise des services de douanes, de police et d’agences de protection de la faune dans plusieurs pays. La dernière édition, Thunder 2024, s’est déroulée du 11 novembre au 6 décembre 2024, rassemblant 138 pays. Cette coopération internationale a permis de saisir près de 20.000 animaux vivants appartenant à des espèces protégées. Parmi les saisies, on retrouve des oiseaux exotiques, des reptiles, des primates, des pangolins et des grands félins. Outre ces animaux vivants, les autorités ont confisqué des centaines de milliers de parties d’animaux et de plantes destinées à divers marchés, notamment la médecine traditionnelle et le commerce du luxe. Au total, 365 suspects ont été arrêtés et six réseaux criminels transnationaux impliqués dans ce commerce illicite ont été identifiés.

Lutte contre le trafic

Ces derniers mois, les autorités marocaines ont intensifié leur lutte contre le commerce illégal d’espèces protégées. En novembre 2024, des opérations menées par l’Agence Nationale des Eaux et Forêts (ANEF) ont permis la saisie de plusieurs animaux sauvages. À Nador, deux individus ont été arrêtés en possession de quatre mangoustes proposées à la vente. À Marrakech, les saisis ont concerné un individu qui détenait 61 reptiles, dont 13 cobras, dans des conditions précaires, mettant en danger la sécurité et la santé publiques.
 

Perroquet en danger

Les perroquets, généralement présents dans les zones tropicales et subtropicales, sont parmi les espèces d’oiseaux les plus menacées d’extinction à l’échelle mondiale. Face à la pression croissante sur ces oiseaux, dont la majorité des espèces figure sur la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), la communauté internationale a inscrit la plupart d’entre eux dans les annexes de la Convention sur le Commerce International des Espèces de Faune et de Flore Sauvages Menacées d’Extinction (CITES).








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