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Actu Maroc

Quand la relance post-Covid piétine à cause de l’économie informelle


Rédigé par Saâd JAFRI Lundi 24 Mai 2021

A l’instar des pays du monde entier, le Maroc mise gros sur le plan de relance économique post-Covid…néanmoins, sa réussite dépend d’une lutte optimale contre l’économie informelle.



Bien que l’économie informelle joue un rôle majeur dans la vie des ménages à faible revenu, elle affecte de manière critique la croissance de l’économie, son rythme de développement et la nature et la variété des opportunités économiques décentes offertes à la population. Un constat partagé par la Banque Mondiale (BM), qui, dans un rapport baptisé,«The Long Shadow of Informality : Challenges and Policies» (Le fantôme de l’informalité: défis et politiques), a indiqué que «le travail au noir représente plus de 70% de l’emploi total dans les pays émergents et en développement, un niveau tel qu’il risque de freiner la reprise de ces économies».

Au Maroc, l’ampleur du phénomène a été révélée à travers le nombre de bénéficiaires des aides Covid entrant dans le cadre de l’opération «Tadamon», dont 5,5 millions de ménages, ramédistes et non-ramédistes, vivant du secteur informel, ont bénéficié, ce qui correspond à près de 22,5 millions de personnes, soit environ 64% de la population totale du pays. Ainsi, dans le Royaume, où le secteur informel réalise un chiffre d’affaires dépassant les 410 milliards de dirhams, selon les communications officielles du Conseil de Veille Économique (CVE), soit près de 35% du PIB national, le travail au noir accentue non seulement la fragilité de l’emploi, la précarité des travailleurs et l’évasion fiscale, mais touche également de plein fouet la balance compétitive du marché national, ravageant particulièrement les TPME.

Un problème structurel

«Ce phénomène s’explique par le recours systématique ces dernières années à l’auto-emploi (ou travail en indépendant) par une grande partie de la population active qui ne pouvait accéder au salariat ni à la création de sa petite entreprise (lourdeur des process, règlementation contraignante et coût)», nous indique Al-amine Nejjar, Conseiller du président de l’Union générale des entreprises et des professions (UGEP) et vice-président de l’Alliance des Economistes Istiqlaliens (AEI). Il ajoute que ce fait était lié à un impératif de survie, de recherche du « revenu quotidien »
.
La facturation en mode TVA est également un facteur qui explique cette situation, selon Nejjar. «La plupart des opérateurs sur ce secteur de l’informel s’approvisionnent auprès de fournisseurs qui eux aussi travaillent dans l’informel et ne déclarent pas de TVA. Comme ils achètent sans facture, ils vendent leurs produits ou service eux aussi en échappant à la facturation en mode TVA», explique-t-il. L’évolution de la TVA ces dernières années (qui s’est traduite par une augmentation sur certains segments) explique aussi l’évolution de ce secteur au niveau de l’économie nationale.

Un long chemin à parcourir

Malgré la taille colossale qu’occupe toujours le secteur informel dans l’économie nationale, il importe de noter que le Maroc a réalisé des progrès significatifs durant les dernières décennies. En effet, sa taille s’est nettement réduite sur les trois dernières décennies, passant de 40%, entre 1988 et 1998, à 34%, entre 2009 et 2018, à en croire le dernier rapport de Bank Al-Maghrib.
la Banque Centrale, que les stratégies mises en oeuvre durant les deux dernières décennies pour améliorer l’environnement institutionnel, économique et financier ont contribué à réduire la taille de l’économie informelle.

Cela dit, comme annoncé par la BM dans son rapport, un long chemin reste à parcourir pour lutter contre l’informel, qui est une condition sine qua non pour la stimulation de la relance économique post-Covid et par ricochet améliorer la situation des ménages. Dans ce sillage, le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) a souligné la semaine dernière, dans un rapport dédié à la classe moyenne, l’impérative nécessité de faciliter l’intégration des métiers de l’informel pour consolider le filet de sécurité social. A cet égard, le CESE rappelle ses recommandations sur le Covid-19, notamment la contribution forfaitaire progressive et réduite, qui regrouperait tous les paiements et prélèvements, pour les commerçants de proximité, les artisans et les petites unités de production informelles qui s’engagent dans le processus de transition vers le formel. Il a également noté l’importance de l’adaptation et l’allègement des contraintes et les critères d’éligibilité des autoentrepreneurs et artisans aux produits financiers, dont ceux garantis par la CCG, ainsi que la mise en place et la généralisation des systèmes digitaux de facturation connectés à la DGI pour faciliter la télédéclaration et garantir la transparence.
 

3 questions à Al-amine Nejjar

Quand la relance post-Covid piétine à cause de l’économie informelle
«Une stratégie axée sur 5 piliers pour lutter contre l’informel»

Al-amine Nejjar, Conseiller du président de l’Union générale des entreprises et des professions (UGEP) et vice-président de l’Alliance des Economistes Istiqlaliens (AEI), nous livre sa lecture du phénomène de l’informel au Maroc.

- Dans quelles mesures le travail au noir entrave-t-il le process de reprise économique post-Covid ?

- La crise sanitaire a montré les difficultés réelles auxquelles sont exposées les entreprises (surtout les TPME) qui, du fait de leur impossibilité à faire face aux salaires et aux charges sociales de leurs employés, ont dû procéder à leur licenciement. Nous avons cependant constaté que plusieurs entreprises ont conseillé à leurs ex-employés de s’ériger en auto-entrepreneurs et ont retravaillé avec eux sur la base de contrats de commande bien définis. D’autres entreprises moins scrupuleuses ont eu recours au travail de leurs ex-employés au noir. Il faut lutter contre de telles pratiques mais c’est une réalité qui, malheureusement, existe. La persistance de ce travail au noir entravera nécessairement le process de reprise économique post-Covid.

- Quelles sont les catégories d’entreprises les plus impactées par la propagation de l’informel ?

- Comme l’a annoncé le HCP dans son dernier rapport sur l’informel, on assiste au Maroc à une « confirmation de la tertiarisation de l’informel » puisque les secteurs les plus impactés par l’informel sont principalement le commerce, le transport dans toutes ses composantes, les services, sans oublier le secteur des cafés, restaurants et snacks.

Ce secteur, comme souligné ci-dessus, représente près de 30% du PIB et plusieurs millions de professionnels et d’employés de ce secteur de l’informel vivent de ce fait des conditions sociales pour la plupart difficiles (et qui sont devenues tragiques du fait des conséquences de l’avènement de la pandémie du Coronavirus).

Ce sont essentiellement des professionnels qui travaillent en indépendants dans ce secteur et des UPI (unités de production informelle) qui emploient plusieurs employés (pas plus de quatre).

- Selon la Banque Mondiale, si les Etats n’adoptent pas « un ensemble complet » de mesures politiques pour diminuer l’ampleur de l’informel, la reprise économique après la récession provoquée par la pandémie sera compromise. Quelles sont les mesures que devrait prendre l’Exécutif pour remédier à cette problématique ?

- Avant de parler de solutions et de mesures, il faut que le gouvernement soit à l’écoute des doléances des opérationnels sur le terrain pour mieux appréhender les problématiques des divers métiers de l’informel touchés par les effets néfastes de la pandémie.

Il faut de toute urgence provoquer une large concertation avec les partenaires économiques et sociaux pour mettre en place une véritable stratégie intégrée et concertée visant à diminuer l’ampleur de l’informel avec des mesures de court terme et des mesures de moyen et long termes.

Cette stratégie sera axée sur cinq piliers. Premièrement, il faut poursuivre les actions visant à simplifier et faciliter l’acte d’entreprendre au Maroc (la création d’entreprises). Il s’agit également de mettre en place un système fiscal simplifié et progressif (tout en trouvant une solution à la facturation en mode TVA) et assouplir la règlementation du travail. Il faut aussi faciliter l’accès à la protection sociale (dès que l’intégration dans le formel s’opère et poursuivre et amplifier les actions entamées visant à diminuer la circulation du cash (ex : mobile banking). L’opérationnalisation de cette stratégie ne peut être réalisée sans un effort colossal de sensibilisation et de communication réalisé de concert entre l’Exécutif et les partenaires économiques et sociaux.








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