À l'ère des grands risques géopolitiques et climatiques, détenir des capacités souveraines de surveillance spatiale devient un impératif stratégique de premier ordre. Une réalité bien comprise par le Maroc, qui a été un des premiers pays africains à posséder des satellites de reconnaissance et d’observation.
Près de six ans après le lancement des deux satellites Mohammed VI A et B, le Royaume prépare leur renouvellement. D’après une information du média français La Tribune, Rabat aurait écarté le consortium formé par Airbus et Thales Alenia Space, à l’origine des satellites précédents, au profit de l’israélien Israel Aerospace Industries (IAI), et de ses satellites nouvelle génération OptSat-3000.
Ce choix s'explique naturellement par l'état des relations diplomatiques, car il est impératif d'établir une confiance mutuelle entre les partenaires avant de s'engager dans un projet aussi sensible. D'autres critères sont également pris en considération, notamment la technologie offerte, sa pertinence par rapport aux besoins, le coût et le transfert technologique.
Près de six ans après le lancement des deux satellites Mohammed VI A et B, le Royaume prépare leur renouvellement. D’après une information du média français La Tribune, Rabat aurait écarté le consortium formé par Airbus et Thales Alenia Space, à l’origine des satellites précédents, au profit de l’israélien Israel Aerospace Industries (IAI), et de ses satellites nouvelle génération OptSat-3000.
Ce choix s'explique naturellement par l'état des relations diplomatiques, car il est impératif d'établir une confiance mutuelle entre les partenaires avant de s'engager dans un projet aussi sensible. D'autres critères sont également pris en considération, notamment la technologie offerte, sa pertinence par rapport aux besoins, le coût et le transfert technologique.
Projet israélo-italien
“Les satellites OptSat-3000 offrent une résolution de 40 cm, contre 70 cm pour les satellites Mohammed VI de type Pléiades”, nous explique Mathieu Luinaud, expert du secteur spatial et auteur du livre “L’Industrie Spatiale”. Notre interlocuteur rappelle que la nouvelle version du programme piloté par Airbus, Pléiades Neo, atteint une résolution spatiale de 30 cm.
En couplant deux satellites (A et B) sur la même orbite, à 180° l’un de l’autre, Pléiades permet une revisite quotidienne de n'importe quel point de la Terre, chose que le satellite OptSat-3000 n’accomplit pas. Cependant, le satellite israélien a l’avantage de s’intégrer à la constellation d’imagerie radar italienne COSMO-SkyMed (composée de 4 satellites), grâce à l’agrégation des données optiques et radar générées par les deux systèmes. “En cas d’accord avec les autorités italiennes, cela permettra au Maroc des échanges d’informations entre les différents satellites”, nous apprend Mathieu Luinaud.
Si le OptSat-3000 permet cette interopérabilité, c’est parce que le système a été initialement développé pour le ministère italien de la Défense. D’ailleurs, la coentreprise franco-italienne de l'industrie spatiale Telespazio fournit l'ensemble du système, du satellite jusqu’au segment terrestre. Le Maroc sera donc le second utilisateur de ce type de satellites, après l’Italie qui l'opère depuis 2017.
L'aspect financier semble être l'un des facteurs déterminants dans le choix de Rabat. Selon IAI, OptSat-3000 offre la solution la plus efficace et le coût du cycle de vie le plus avantageux pour ce type de satellites. Son coût ne dépasserait pas les 200 millions de dollars, soit 50 millions de dollars de moins que le satellite de type Pléiades. Un choix “économique”, surtout que ce type de projets stratégiques est financé en intégralité par des fonds publics, avec la participation de plusieurs institutions, notamment l’Agence nationale de la conservation foncière (ANCFCC).
Transfert technologique
L'autre facteur décisif est le transfert technologique que l'entreprise israélienne devrait réaliser au Maroc. En mars 2022, le Président du Conseil d’administration de IAI Amir Peretz et son PDG Boaz Levy ont signé avec le ministère de l'Industrie et le ministère délégué chargé de l’Investissement un mémorandum d'entente pour une “collaboration industrielle gagnant-gagnant”. Un an plus tard, IAI et l'Université Internationale de Rabat (UIR) ont signé un protocole d'accord en vue de la création d'un centre d'excellence en aéronautique et Intelligence Artificielle (IA) sur le campus de l’Université, qui permettra un transfert de connaissance dans l’industrie aérospatiale.
En intégrant cette clause dans le contrat d'acquisition du satellite, le Royaume espère renforcer son industrie aéronautique, déjà florissante, en se diversifiant vers le domaine spatial. “Le Maroc peut se lancer dans la fabrication du “hardware” du satellite, ce qu’on appelle le bus, car c’est la partie la plus standardisée et la moins sensible de l’engin”, nous indique l’expert du secteur spatial, Mathieu Luinaud.
Des usines installées sur le territoire peuvent assembler la plateforme, qui se compose de la structure de protection, du système de propulsion pour l'ajustement de l'orbite, des panneaux solaires et des batteries pour l'alimentation électrique, des systèmes de contrôle thermique, de communication et de navigation, du système de stockage de données et autres équipements.
D’autres éléments plus sensibles, comme les optiques, seraient ensuite montés chez le fabricant, qui dispose de l'environnement et des compétences adéquats (salles blanches…). “Le Maroc peut jouer sur sa proximité géographique avec l’Europe pour se placer sur ce créneau. Puisqu’une courte distance est la garantie que le bus du satellite ne risque pas d’être altéré durant le voyage”, poursuit notre interlocuteur.
Alliance tripartite
Dans cette démarche, le Royaume peut également compter sur un autre allié prometteur dans le domaine spatial : les Émirats Arabes Unis. Le pays du Golfe a une stratégie très ambitieuse dans ce domaine, qui inclut aussi bien les volets civils et militaires que scientifiques. Plusieurs satellites d'observation de la Terre ont ainsi été en partie assemblés et testés aux Emirats, comme DubaiSat 1, DubaiSat 2, KhalifaSat et Al-Amal, une sonde spatiale émiratie visant à étudier l'atmosphère et le climat de la planète Mars.
Dans le sillage des accords d’Abraham, Abou Dhabi et Tel-Aviv ont bâti un solide partenariat dans le domaine spatial. Les deux pays vont par exemple collaborer dans Beresheet 2, un programme d’exploration de la lune qui inclut deux alunisseurs et un orbiteur. D’après Le Desk, le Maroc négocierait sa participation dans la mission qui devrait être lancée en 2025.
Lié depuis décembre 2023 par un partenariat économique multidimensionnel avec les EAU, le Maroc pourrait se positionner en tant que base industrielle dans une alliance tripartite Rabat-Abu Dhabi-Tel Aviv dans la conquête de l'espace.
3 questions à Mathieu Luinaud “Posséder en propre un satellite est un signal de puissance”
Enseignant en économie à Sciences Po Paris, expert du secteur spatial et auteur de « L’Industrie Spatiale » dans la collection Que sais-je ?, Mathieu Luinaud a répondu à nos questions concernant le développement du secteur spatial.
- Observons-nous l'apparition de nouveaux acteurs dans le spatial, tels qu'Israël, la Chine et l'Inde, qui vont rivaliser avec les grandes entreprises européennes et américaines ?
De nouveaux acteurs ont fait leur entrée dans le secteur spatial ces dernières années. Pour Israël, on savait depuis longtemps que le pays possédait des capacités technologiques assez développées, notamment dans le spatial. Israël possède aujourd’hui une capacité industrielle qui peut rivaliser sur certains marchés avec ce que peuvent faire les anciens acteurs.
Même si, du point de vue technologique, on reste en dessous de ce que peuvent offrir les derniers satellites Pléiades Néo d’Airbus. Les concepteurs de satellites ne sont plus seulement les acteurs historiques, l’Europe et les Etats-Unis, mais il y a de nouveaux entrants dans le domaine.
- Quels sont les facteurs qui jouent un rôle crucial dans la sélection d'un fournisseur de satellites ?
Il y a plein de critères qui entrent en ligne de compte, comme le prix, surtout pour les pays qui n'ont pas des capacités financières importantes. Une autre dimension à prendre en compte, est celle de l’interopérabilité avec d’autres systèmes.
Dans le cas du satellite OptSat-3000, il est facilement opérable avec la constellation italienne COSMO-SkyMed, qui fait de l’imagerie radar. Donc cela permet de faire de la fusion de données de manière simple. Il y a aussi l’installation de centres de formation, qui est la stratégie de la Chine en Afrique, et notamment en Egypte.
- Peut-on considérer qu'au niveau mondial, l'accès aux technologies de surveillance spatiale est en train de devenir plus accessible ?
Effectivement, il y a une démocratisation de l'accès aux données traitées. On peut acheter des informations à des entreprises spécialisées dans l’analyse des données géospatiales. Dans ce domaine, la barrière à l’entrée est de plus en plus faible, parce que la donnée est de plus en plus disponible avec un coût qui baisse continuellement
Là où la barrière reste élevée, c’est quand les pays veulent avoir cette capacité en propre, pour être sûrs qu’ils peuvent avoir la bonne image au bon moment, sur demande. C’est la solution privilégiée dans le cas de tensions majeures, ou pour donner un signal de puissance à ses voisins. Même s’il y a une baisse de coût sur les optiques et les bus de satellites, le coût reste prohibitif.
Mohammed VI A et B : Une contribution déterminante
Les capacités d’observation spatiale dont dispose le Royaume depuis 2017 ont été cruciales à plusieurs occasions. Lors du séisme d’Al-Haouz par exemple, les deux satellites ont contribué à mesurer l’étendue des dégâts et les zones prioritaires d’intervention.
Dans un article intitulé “Séisme au Maroc : dans les coulisses du jour le plus long de Mohammed VI”, le quotidien français L’Opinion raconte que l’un des premiers ordres du Souverain après l’avènement de la catastrophe, était de “pointer les deux satellites du Royaume sur la zone sinistrée pour avoir des images” et “avoir une évaluation la plus précise des dégâts”.
Au cours de leurs cinq années de services, les deux engins ont également contribué à suivre et à anticiper les dégâts du changement climatique sur le Maroc, notamment le stress hydrique et ses répercussions sur l’agriculture et les réserves hydriques. Sur le plan sécuritaire, Mohammed VI A et B ont permis de contrôler de près les mouvements des milices du Polisario à nos frontières.
Dans un article intitulé “Séisme au Maroc : dans les coulisses du jour le plus long de Mohammed VI”, le quotidien français L’Opinion raconte que l’un des premiers ordres du Souverain après l’avènement de la catastrophe, était de “pointer les deux satellites du Royaume sur la zone sinistrée pour avoir des images” et “avoir une évaluation la plus précise des dégâts”.
Au cours de leurs cinq années de services, les deux engins ont également contribué à suivre et à anticiper les dégâts du changement climatique sur le Maroc, notamment le stress hydrique et ses répercussions sur l’agriculture et les réserves hydriques. Sur le plan sécuritaire, Mohammed VI A et B ont permis de contrôler de près les mouvements des milices du Polisario à nos frontières.
Conquête spatiale : L’aventure marocaine
Avant les satellites Mohammed VI A et B, le Royaume a eu une première aventure spatiale. En décembre 2001, le Centre royal de télédétection spatiale (CRTS) et l'Institut d'aéronautique et d'astronautique de l'Université technique de Berlin ont conjointement conçu et lancé un micro-satellite d'observation de la Terre, du nom de Maroc-TUBSAT. L’engin fait partie du programme TUBSAT de l’Université technique de Berlin. Lancé en 1985, le programme visait à concevoir, construire et mettre en orbite plusieurs petits satellites, offrant ainsi des opportunités d'apprentissage pratiques aux étudiants en ingénierie spatiale.
Maroc-TUBSAT a été utilisé pour des missions d'observation de la Terre et de surveillance de l'environnement, contribuant ainsi à la formation des équipes du CRTS, avant le futur accès à des capacités souveraines bien plus avancées technologiquement.
Il s’agit d’une des premières expériences de ce type pour le CRTS. L’agence spatiale nationale a été officiellement créée en 1989, avec pour mission de développer les applications de la télédétection et des technologies connexes au profit des départements ministériels et des agences gouvernementales.
L'institution couvre un large éventail de secteurs essentiels, notamment l'agriculture, les ressources forestières, les ressources en eau, la géologie et les ressources minières, les risques naturels, l'aménagement du territoire, l'océanographie et la gestion des littoraux. Elle publie régulièrement des bulletins de veille et des rapports, particulièrement dans les domaines agricoles et hydriques.
Maroc-TUBSAT a été utilisé pour des missions d'observation de la Terre et de surveillance de l'environnement, contribuant ainsi à la formation des équipes du CRTS, avant le futur accès à des capacités souveraines bien plus avancées technologiquement.
Il s’agit d’une des premières expériences de ce type pour le CRTS. L’agence spatiale nationale a été officiellement créée en 1989, avec pour mission de développer les applications de la télédétection et des technologies connexes au profit des départements ministériels et des agences gouvernementales.
L'institution couvre un large éventail de secteurs essentiels, notamment l'agriculture, les ressources forestières, les ressources en eau, la géologie et les ressources minières, les risques naturels, l'aménagement du territoire, l'océanographie et la gestion des littoraux. Elle publie régulièrement des bulletins de veille et des rapports, particulièrement dans les domaines agricoles et hydriques.