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Rétro-Verso : Lycée Moulay Idriss ou l’âme de l’érudition marocaine


Rédigé par Houda BELABD Mercredi 19 Février 2025

Héritier d’un passé glorieux, le Lycée Moulay Idriss de Fès incarne un carrefour entre tradition et modernité, savoir et émancipation. Rétrospective d'une institution qui porte le nom du fondateur de la première dynastie musulmane du Maroc.



Il est des lieux dont l’empreinte demeure ineffaçable sur le tissu du temps, des espaces où les âmes passées semblent chuchoter à l’oreille des générations nouvelles, et parmi eux le vénérable Lycée Moulay Idriss, jadis Collège Musulman de Fès, se dresse tel un sanctuaire du savoir, au croisement de la tradition et de la modernité. Sa fondation, en 1914, alors que le Protectorat français tissait sa toile sur le sol marocain, fut d’abord une tentative d’imposer une éducation d’inspiration européenne à une élite marocaine encore ancrée dans le rigorisme des médersas, ces vénérables institutions où se psalmodiaient les versets du Coran dans la pénombre des salles voûtées.
 
Là, en ces murs aujourd’hui patinés par le souffle des saisons, s’élevait un établissement où la rigueur géométrique des plans français s’harmonisait avec la splendeur des ornements traditionnels, où l’ordre colonial, soucieux de maintenir une illusion de continuité, avait confié aux mains inspirées de René Canu la tâche de modeler un édifice digne des palais idrissides. Dès le seuil franchi, une porte monumentale, ouvragée de bois sculpté et sertie de heurtoirs d’un bronze vieilli, donnait sur une cour où les orangers centenaires distillaient au crépuscule leur senteur entêtante, mêlant l’acidité des agrumes au musc secret de la terre humide. Au centre, une fontaine de marbre, dont le murmure fluide s’unissait au chant des hirondelles, divisait l’espace en un quadrillage parfait, tel un jardin d’Andalousie transplanté sous le ciel de Fès.
 
Sous les arceaux immaculés, bordés de colonnes élancées en stuc ciselé, s’ouvraient les galeries ombragées où les élèves, drapés dans l’élégance de leurs djellabas de lin, évoluaient avec cette gravité propre à la jeunesse qui sait déjà qu’elle porte en elle l’avenir de sa nation. Les salles de classe, où le soleil projetait sur le zellige des mosaïques éphémères de lumière, résonnaient du froissement des cahiers et des voix hésitantes qui, tantôt en arabe classique, tantôt en un français soyeux et appliqué, déclamaient les principes de la géométrie euclidienne ou les subtilités de la rhétorique malrucienne.
 
Longtemps sous la férule des directeurs français, dont l’autorité froide et méthodique maintenait l’établissement dans une discipline de fer, le Collège Moulay Idriss connut en 1959 une révolution silencieuse mais ô combien signifiante : l’accession d’un Marocain, Aziz Abdelaziz Aïouch, à sa direction. Lui, qui naguère avait été une figure du nationalisme marocain, incarnait cette transition vers un savoir libéré de la tutelle étrangère, cette volonté farouche d’enraciner l’éducation dans une identité retrouvée. Peu à peu, la langue française cessa d’être un instrument d’acculturation pour devenir une passerelle vers d’autres horizons, et l’arabe, que l’on confinait autrefois aux disciplines dites traditionnelles, s’affirma comme le socle d’un enseignement digne d’un Maroc émancipé.
 
Aujourd’hui encore, dans les ruelles avoisinantes, les passants jettent un regard respectueux vers ce sanctuaire de l’intellect, et l’on devine, derrière les murs qui ont vu défiler tant de destins, l’écho lointain des débats passionnés, des rêves inachevés, des ambitions forgées dans l’ombre protectrice de ces arches majestueuses. Car si cet établissement a vu naître des générations de scientifiques et de penseurs, il demeure avant tout le gardien d’une mémoire vivante, tissée d’encre et de lumière, d’apprentissage et d’éveil, dans ce Fès intemporel où le passé dialogue sans fin avec l’avenir.
 
Ainsi, ce lycée qui porte le nom du saint fondateur de la dynastie idrisside et bâtisseur de Fès demeure un symbole éclatant de l’excellence académique et de l’élévation de l’esprit. Ses couloirs, imprégnés des éclats de voix des érudits d’hier et des ambitions palpitantes des étudiants d’aujourd’hui, témoignent d’une quête incessante vers la connaissance et l’émancipation.
 
 
 
 

Nationalisme : Le lycée, foyer des mouvements engagés

"Fès en deuil : disparition d’Aziz Abdelaziz Aïouch, premier proviseur marocain du lycée Moulay Idriss". Tel est le titre dont la presse nationale du 4 décembre 2020 s'est fait l'écho : une information tombée comme un couperet sur tous ceux qui, de près ou de loin, ont connu cette figure emblématique de l'intelligentsia nationaliste du Royaume.


L’annonce du décès du premier proviseur marocain du lycée Moulay Idriss de Fès a suscité une immense vague d’émotion. Disparu le 4 décembre 2020 à l’âge de 92 ans, il laisse derrière lui un héritage éducatif inestimable et une empreinte indélébile dans la mémoire de plusieurs générations d’élèves et d’enseignants.

 

Sa famille, profondément meurtrie, se recueille dans une douleur silencieuse. «C’était un homme de principes, un père aimant et un éducateur hors pair», confie un proche à notre confrère arabophone « Al Alam ». Autour d’eux, amis et anciens collègues évoquent avec respect un homme dont la rigueur et la bienveillance ont marqué la vie de tant de jeunes Marocains.

 

Dans les allées du lycée, l’atmosphère est lourde. Plusieurs anciens élèves, aujourd’hui figures de la vie intellectuelle et politique, témoignent du rôle essentiel qu’a joué Aziz Abdelaziz Aïouch dans leur parcours. «Il incarnait une époque où l’éducation était une mission sacrée», se remémore un ancien du lycée, aujourd’hui universitaire renommé. «Il nous a transmis l’amour du savoir, la discipline et le sens de l’excellence».

 

Au-delà du lycée, c’est tout un pan de la société marocaine qui pleure cet érudit passionné, artisan de la transmission du savoir et défenseur des valeurs académiques. À travers ses enseignements et son engagement, il a contribué à façonner une élite marocaine consciente et éclairée.

 

Intellectuels, professeurs et disciples rendent hommage à un homme qui, par son engagement, a su hisser l’éducation marocaine à un niveau d’excellence. Son nom restera gravé dans les annales de l’Histoire de l’enseignement.

 


Hommage : Du nationalisme farouche aux élites éclairées

Si le lycée Moulay Idriss de Fès a vu émerger de nombreuses figures du nationalisme marocain, il n’a en rien été une exception. Partout au Maroc, des établissements scolaires et universitaires ont joué un rôle central dans la formation des élites intellectuelles et militantes qui allaient façonner l’Histoire du pays. Dès les premières décennies du XXème siècle, ces lieux de savoir sont devenus des creusets où se mêlaient idées réformistes, aspirations indépendantistes et pensées révolutionnaires.

 

Fès, ville de culture et de résistance, a été un foyer majeur de ces mouvements. Son rayonnement intellectuel, incarné par l’Université Al Quaraouiyine, a toujours favorisé l’éveil politique et la contestation face à l’ordre colonial. Mais elle n’était pas seule : Rabat, Casablanca, Marrakech, Meknès et Tétouan ont également vu naître de véritables bastions du nationalisme au sein de leurs lycées et institutions académiques. Les jeunes étudiants, en quête de savoir, y trouvaient aussi un terreau propice à l’échange d’idées et à l’élaboration d’une conscience collective.

 

Dans les années 1930 et 1940, alors que la lutte pour l’indépendance s’intensifiait, ces établissements sont devenus des lieux de rencontre privilégiés pour les penseurs nationalistes et les jeunes révoltés. Dans les cours de récréation, dans les bibliothèques ou après les cours, ils débattaient des grands textes politiques, lisaient les manifestes anticoloniaux et imaginaient le Maroc de demain. Les professeurs eux-mêmes, souvent issus de la fine fleur de l’intelligentsia marocaine, jouaient un rôle déterminant en transmettant un savoir teinté de conscience nationale et en encourageant la réflexion critique.

 

Les lycées de Casablanca et Rabat, situés dans des villes où se concentraient les grands décideurs politiques et économiques, furent eux aussi des catalyseurs du mouvement indépendantiste. À Marrakech et Meknès, de nombreux élèves rejoignirent les rangs des premiers partis nationalistes, participant à la diffusion des idées de libération et de souveraineté. Quant à Tétouan, capitale du protectorat espagnol, elle fut un centre névralgique du militantisme nationaliste du Nord du pays, où lycéens et intellectuels œuvraient ensemble pour la cause marocaine.

 

Ainsi, loin d’être de simples institutions éducatives, les écoles, lycées et universités marocaines de l’époque ont été des pépinières de leaders et de penseurs engagés. L’Histoire du Maroc indépendant ne peut être dissociée de ces espaces où se sont forgées les premières revendications d’une jeunesse avide de justice, de liberté et de progrès.


Intelligentsia : L’identité marocaine, socle de l’éducation nationaliste

Abdelaziz Aïouch au Lycée Moulay Driss de Fès (deuxième personne debout sur la droite).
Abdelaziz Aïouch au Lycée Moulay Driss de Fès (deuxième personne debout sur la droite).

Le décès du regretté a endeuillé non seulement sa famille et ses proches, mais aussi l’ensemble des intellectuels marocains, anciens élèves et figures du monde académique qui reconnaissent en lui un acteur clé de la transmission du savoir au Maroc.

 

Plus qu’un simple éducateur, ce patriote de premier rang incarnait une génération d’hommes de lettres et de penseurs profondément enracinés dans l’idéal nationaliste qui a façonné le Maroc indépendant. Il a marqué les esprits par sa rigueur intellectuelle, son engagement pour l’éducation et son rôle central dans la formation des élites marocaines. Son parcours s’inscrit dans une époque où l’école marocaine se construisait comme un vecteur d’émancipation, un levier de modernité et un rempart contre l’ignorance.

 

L’intelligentsia nationaliste marocaine, dont il faisait partie, voyait en l’éducation une arme essentielle pour l’affirmation de l’identité du pays face aux héritages coloniaux. À travers son travail, Abdelaziz Aïouch a contribué à ancrer cette vision, forgeant des générations d’élèves devenus écrivains, hommes politiques, scientifiques ou enseignants. Il appartenait à ce cercle restreint d’intellectuels pour qui le savoir n’était pas une fin en soi, mais un outil au service du progrès social et du rayonnement du Maroc.

 

Respecté pour son érudition, il était aussi un homme de terrain, soucieux d’accompagner ses élèves dans leur quête du savoir, toujours disponible pour transmettre son amour de la culture et de la discipline. Son engagement allait bien au-delà des salles de classe : il participait activement aux débats sur l’avenir de l’éducation nationale et s’inscrivait dans une tradition où les intellectuels jouaient un rôle de guide moral et de conseiller politique.

 

Aujourd’hui encore, son nom reste synonyme d’excellence et d’intégrité et son héritage continue d’inspirer ceux qui, comme lui, croient en la puissance du savoir pour bâtir un avenir meilleur.

 


Revue de presse : Le lycée, fierté des médias arabes

Le lycée Moulay Idriss de Fès est considéré comme le premier collège musulman du pays et a joué un rôle clé dans la formation des élites marocaines. Selon notre confrère « Al Alam », «cet établissement est une véritable pépinière d’excellence, ayant formé des compétences qui ont contribué au développement intellectuel, économique et technique du Maroc».

Classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, son architecture mauresque illustre le riche héritage culturel de Fès.

Mais l’influence de lycées comme Moulay Idriss dépasse les frontières du Maroc. Dans la presse égyptienne, Al-Ahram écrivait en 1980 que «les grandes écoles du Maghreb, à l’image du lycée Moulay Driss, ont été des incubateurs de pensée nationale, à l’instar des institutions du Caire qui ont nourri le mouvement réformiste et indépendantiste égyptien». Un parallèle frappant avec Al-Fikr Al-Arabi, un journal saoudien, qui déclarait en 1995 que «l’éducation dans le monde arabe a toujours été un moteur du progrès ; les lycées historiques, de Fès à Riyad, ont façonné des générations entières d’intellectuels et de dirigeants»

En 2022, le prestige du lycée a été honoré par l’émission d’un timbre-poste spécial par Barid Al-Maghrib, célébrant son rôle central dans la formation des élites du pays. Aujourd’hui encore, cet établissement perpétue une tradition d’excellence, s’inscrivant dans la lignée des grandes institutions éducatives du monde arabe.