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Secrétariat Général du Gouvernement : Quand la mise en forme des lois fait défaut ! [INTÉGRAL]


Rédigé par Anass MACHLOUKH Mardi 16 Janvier 2024

La production des lois s’est visiblement dégradée ces dernières années, au point que le Secrétariat Général du Gouvernement (SGG) en est insatisfait. Retour sur les raisons d’un marasme législatif. Décryptage.



Tout le monde sait bien que la loi est l’expression juridique de la volonté de la Nation. Encore faut-il que cette volonté soit bien exprimée dans les textes législatifs. Nous en sommes actuellement loin puisque la qualité des textes s’est détériorée. Ce n’est pas seulement le constat d’un juriste ordinaire, mais du Conseiller juridique de l’Exécutif. Cela fait des mois que le Secrétariat Général du Gouvernement affiche son insatisfaction des textes qui lui sont présentés par les cabinets ministériels. Nombreux sont les textes de réforme, qu’ils soient ordinaires ou réglementaires, que le SGG a dû renvoyer vers les ministères pour vices de forme et défaut de qualité rédactionnelle. “La qualité pose de plus en plus un sérieux problème”, lâche une source proche du dossier. 

La qualité des textes s’est tellement dégradée que le très discret Secrétaire Général du Gouvernement, Mohammed El Hajoui, dont la parole est respectée, a manifesté son mécontentement devant la Chambre des Représentants lors d’une réunion, tenue en début décembre, dédiée à l’examen du budget de son département. “Il a clairement pointé du doigt le manque de clarté des textes législatifs qui sont de plus en plus opaques et mal structurés”, lâche notre source, rappelant qu’il s’agit du corollaire d’un long marasme législatif qui dure depuis des années. 

Face à un tel embarras, le SGG a dû lancer un programme de “rationalisation” des textes législatifs. Un guide a été publié et mis à la disposition des acteurs concernés pour qu’il leur serve de base pour améliorer la production législative. Ce document de référence s’articule autour de trois axes principaux : les critères de forme, le développement des compétences, la numérisation des procédures et la modernisation des techniques. 

Certes, ce problème concerne en premier lieu des départements ministériels d’où proviennent les textes des projets de loi. Or, cela concerne également le Parlement par lequel passe la discussion et l’amendement des différents textes avant leur promulgation. Les commissions de législation sont priées de faire un effort exceptionnel pour contribuer à amender les textes de la meilleure des façons. L’enjeu est de produire une législation en phase avec les normes internationales et qui régissent de façon précise et claire les différents sujets économiques, sociaux et sociétaux. Les parlementaires en sont conscients. En témoignent les conclusions des travaux de la réunion du 28 février 2023 qui a réuni les membres de la Commission de Justice, de Législation et des Droits de l’Homme avec Mohammed El Hajoui sur ce sujet. L’accent a été mis sur la nécessité de moderniser l’arsenal législatif et le rôle des élus de la Nation pour y parvenir. 
 
Problèmes de ressources humaines ?

Au sein du Secrétariat Général du Gouvernement, la méthode est claire. Le suivi des textes est du ressort du corps des administrateurs. Mais la qualité dépend aussi de ceux à qui incombe la rédaction des lois, qui doivent avoir un certain nombre de qualités et de qualifications. Selon le Conseiller juridique des administrations au SGG, Bensalem Belkourati, il faut, en plus d’une riche culture générale, une maîtrise irréprochable des termes juridiques et une capacité à mettre en forme les aspects politiques et techniques d’une loi. Aussi est-il nécessaire d’avoir assez d’expérience pour être en mesure de produire une loi de qualité assez lisible. 

Loin du constat, le problème a plusieurs racines, dont les ressources humaines. On estime qu’il faut un travail de fond au niveau des cabinets ministériels. C’est là que le SGG fournit le plus d’efforts. Il a lancé, depuis le 23 octobre 2023, un programme de formation en faveur des Conseillers juridiques de différents départements ministériels. 70 personnes en ont bénéficié. L’objectif est de leur permettre de maîtriser les critères d’élaboration des lois et les nouvelles tendances. Il s’agit d’une condition sine qua non pour rendre les textes plus lisibles dans un monde numérisé où l’accès à une bonne information juridique est de plus en plus vital. 
 
Investir dans les Conseillers juridiques 

Le rôle des Conseillers juridiques est crucial aux yeux de Mohammed Sentissi, Directeur juridique, arbitre et médiateur.  “La promotion du rôle des Conseillers juridiques serait un investissement judicieux pour les ministères et les établissements publics”, explique-t-il, ajoutant qu’il faut, au-delà du recrutement ciblé, investir davantage dans des formations pointues des Conseillers juridiques, notamment en légistique. “Cela permettrait d'améliorer la qualité des textes juridiques et de renforcer l'État de droit afin de mieux protéger les droits des citoyens”, poursuit notre interlocuteur, qui souligne l’importance de développer les “LegalTech” au Maroc pour développer l’éco-système du conseil juridique à tous les niveaux. “Le développement de la LegalTech est une opportunité importante vu sa plus-value en termes d’efficacité et de qualité de la production législative”, pense M. Sentissi.  

Les LegalTech sont une forme moderne des cabinets de conseil juridique. Une sorte de start-ups qui se sont développées et se sont répandues de façon fulgurante au niveau international. Elles offrent des services juridiques dématérialisés accessibles aussi bien pour les entreprises que pour le secteur public. Elles offrent également des solutions juridiques informatiques permettant de dégager un temps précieux pour le travail nécessitant réflexion.
 
Anass MACHLOUKH

 

Trois questions à Mohammed Sentissi “ Il est possible qu'un texte soit bien rédigé, mais mal conçu pour régir un domaine”

Mohammed Sentissi, Directeur juridique, a répondu à nos questions.
Mohammed Sentissi, Directeur juridique, a répondu à nos questions.
 
  • Quelles sont les conditions nécessaires à l'élaboration d'un texte législatif de qualité irréprochable ? 
Pour qu'un texte législatif soit de qualité, il est essentiel qu’il évite les ambiguïtés et les interprétations erronées. Pour ce faire, il convient de répondre aux exigences de la légistique, c'est-à-dire des techniques de conception et de rédaction des lois et des actes administratifs.
 
Le texte doit être clair, précis et cohérent. Il est également important de tenir compte des différents points de vue des parties prenantes, par le biais de consultations et d'enquêtes. Enfin, il est nécessaire d'évaluer le texte avant son adoption, afin de mesurer son impact et s'assurer qu'il atteint ses objectifs. En effet, un texte législatif mal rédigé, obscur ou ambigu peut être source de confusion et de conflits.
 
Cependant, il est important de faire la distinction entre la qualité rédactionnelle des textes législatifs et leur qualité juridique. En effet, il est possible qu'un texte soit bien rédigé, mais qu'il soit mal conçu ou qu'il ne réponde pas aux besoins de la société. En ce qui concerne la qualité rédactionnelle des textes législatifs marocains, je peux dire qu'elle est généralement bonne. Cependant, il reste encore des marges de progression.
 
  • Pensez-vous que les textes juridiques doivent être écrits de sorte à ce qu'ils soient plus accessibles au grand public ?
 
Oui, car le principe de droit veut que « Nul n'est censé ignorer la loi », et pour donner à ce principe tout son sens, il faut que les textes juridiques soient intelligibles et facilement compréhensibles par tout le monde. Il est important que tous les citoyens puissent comprendre leurs droits et obligations. Cela passe par une rédaction des textes dans un langage clair et simple en évitant le jargon juridique parfois inaccessible ou désuet.
 
  • Concernant la digitalisation de la loi, quel bilan faites-vous des avancées du Maroc en la matière ?
 
Le bilan de la digitalisation au Maroc est certes positif, mais il reste encore des défis à relever pour atteindre les objectifs de la transformation numérique du pays. Une panoplie de services numérisés a vu le jour grâce aux efforts des autorités publiques qui ont adopté des plans stratégiques de digitalisation, tels que « Maroc Numeric 2013 » ou encore « Maroc Digital 2020 ». De plus, le gouvernement a créé depuis octobre 2021 un ministère dédié à la digitalisation afin de faire avancer le développement technologique du pays.
 
Cependant, il reste beaucoup à faire en matière de sensibilisation des citoyens et de facilitation de l'accès à ces dispositifs. Cela passe par une démocratisation de l'accès à l'Internet, dont le taux global d’évolution annuelle a gagné 8 points par rapport à la même période de l'année 2022 pour s'établir à 39.5 millions abonnements, selon l'ANRT. Il est également nécessaire de renforcer la sécurité pour protéger les données sensibles des utilisateurs.

 
 

Evaluation législative : Ce que dit le Nouveau Modèle de Développement

Le Nouveau Modèle de Développement a mis l’accent sur l’importance vitale de l’élaboration des lois. Le rapport parle de la nécessité “d’œuvrer à l’harmonisation et à la cohérence du cadre légal et réglementaire, à l’évaluation régulière de la pertinence et de l’e cacité des lois, et à l’accélération du rythme de production des textes législatifs”. Dans ce sens, le parlement a un rôle important à jouer, en vue d’augmenter la productivité législative, la qualité des lois, leur lisibilité et leur vulgarisation auprès du citoyen, lit-on sur le document.

La Commission de Chakib Benmoussa a estimé qu’il faut des opérations de revue et d’évaluation des lois qui soient conduites à une certaine échéance, par exemple tous les dix ans, comme dans certains pays. Le rapport souligne l’importance du rôle du Secrétariat Général du Gouvernement, ainsi que celui des instances de contrôle et de régulation dans le suivi de l’élaboration législative et de l’e ectivité des lois et de veille sur la cohérence de l’architecture législative.

Genèse des lois : Les compétences du SG du Gouvernement

L’élaboration des lois appartient au gouvernement et au Parlement. L’Exécutif, à travers les départements ministériels, peut prendre l’initiative en proposant un projet de loi qui est transmis à l’examen législatif après son adoption au Conseil de gouvernement ou au Conseil des Ministres, selon sa nature. Le Parlement dispose également de l'initiative législative par le biais des propositions de lois qui peuvent aboutir pourvu qu'elles soient acceptées par le gouvernement et qu'elles soient votées à la majorité requise à l’hémicycle. Pour sa part, le Secrétariat Général du Gouvernement est compétent en matière de contrôle de la procédure d’élaboration des lois. C'est-à-dire qu’il lui incombe de s’assurer que les textes soient rédigés et conçus en bonne et due forme. Aussi, il est de son ressort de vérifier que les textes portés à son examen ne contreviennent pas à la Constitution. Cela fait du SGG un véritable conseiller juridique de l’Exécutif.  Ce rôle est d’autant plus important qu’il permet de perfectionner les textes de lois ou de décrets avant leur adoption et de déceler les insuffisances juridiques.
 
Concernant les contrôles de forme et de fond, les administrateurs du SGG vérifient plusieurs aspects, à savoir la date d’entrée en application de l’acte, la compétence de l’autorité signataire. Ils s’assurent également que les consultations requises ou les avis exigés ont été recueillis. A cela s’ajoute la lecture juridique du texte soumis à leur examen pour vérifier s’il répond aux critères en vigueur. Il est également important de rappeler que c’est le Secrétariat Général du Gouvernement qui décide si un texte doit être transmis au Conseil des Ministres, présidé par le Souverain, ou au Conseil de gouvernement.
 








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