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Soins palliatifs au Maroc : Entre progrès, enjeux éthiques et parcours semés d’embûches [INTÉGRAL]


Rédigé par Oussama ABAOUSS Mardi 8 Octobre 2024

La Journée internationale des soins palliatifs rappelle l'importance d'un accès équitable à ces soins au Maroc, malgré les progrès réalisés et les défis encore persistants.



Célébrée chaque année le 7 octobre depuis 2002, la Journée internationale des soins palliatifs a pour objectif de sensibiliser le public et les décideurs politiques à l'importance des soins palliatifs et pour promouvoir leur accès à tous ceux qui en ont besoin. Parfois confondus avec les soins de fin de vie, les soins palliatifs sont définis comme « des soins actifs, continus et pluriprofessionnels qui visent, dans une approche biopsychosociale (voir Repères ci-contre, NDLR), à soulager les souffrances physiques, psychologiques, spirituelles et sociales des patients atteints d'une maladie potentiellement mortelle, et de leurs familles, dans le respect de la dignité de la personne. Les soins palliatifs cherchent à éviter les investigations et les traitements déraisonnables et se refusent de provoquer intentionnellement la mort ». Rappel s’il en fallait, que la médecine ne se focalise pas uniquement sur la guérison et que lorsque la douleur et la souffrance d’un malade le justifient, une approche multidisciplinaire doit être consentie pour soulager et apaiser.  
 
Plusieurs maladies concernées
 
« Depuis 2010,  les soins palliatifs constituent un axe stratégique du plan national de prévention et de contrôle du cancer, au même titre que la prévention, la détection précoce et le dépistage, le diagnostic et le traitement qui sont les trois autres axes du plan cancer. Ceci a joué un rôle crucial concernant la reconnaissance des soins palliatifs à l'échelle nationale et leur institutionnalisation », nous explique Dr Asmaa El Azhari, médecin spécialiste en soins palliatifs et responsable de l'Unité des soins palliatifs du Centre Mohammed VI pour le Traitement des Cancers au CHU Ibn Rochd de Casablanca.« Les soins palliatifs ne concernent pas que le cancer, mais toute maladie évolutive potentiellement mortelle comme par exemple l'Alzheimer, la maladie du Parkinson ou encore la maladie de Charcot, entre autres », nuance cependant la même source. La majorité des adultes ayant besoin de soins palliatifs ont des maladies chroniques telles que les maladies cardiovasculaires (38,5%), le cancer (34%), les maladies respiratoires chroniques (10,3%), le sida (5,7%) et le diabète (4,6%).

Les obstacles perdurent
En dépit des avancées réalisées, plusieurs obstacles perdurent au niveau national pour généraliser l’accès à ce genre de soins. « Les unités fixes de soins palliatifs ne se trouvent qu'au niveau des centres régionaux d'oncologie (à l'exception de la ville de Casablanca où il existe une unité au niveau du Centre Hospitalier Universitaire CHU dans le centre d'oncologie et deux autres hors CHU). Souvent, les équipes mobiles qui se déplacent à domicile ne couvrent que le périmètre urbain », regrette Dr El Azhari. Les ressources humaines, matérielles et logistiques dédiées aux soins palliatifs restent très insuffisantes par rapport aux besoins de cette population vulnérable. « A cause de la centralisation de ces soins au niveau des grandes villes, il existe une difficulté concernant l'accès aux opioïdes (utilisés pour le traitement, NDLR), très souvent le patient doit faire un long voyage pour pouvoir avoir son traitement pour la douleur », explique notre interlocutrice.
 
Les besoins urgents
 
Parmi les urgences identifiées par les praticiens, figure la mise en place d’un véritable plan national de soins palliatifs. « Ce n'est qu'ainsi qu'un budget pourra être alloué à part entière. Ainsi, les soins palliatifs seront accessibles selon un circuit où chaque élément du système de santé assume une responsabilité bien définie. Il est également nécessaire d'élargir l'éventail des opioïdes, car, actuellement, nous ne disposons que de deux types (une seule marque de morphine et une seule marque de fentanyl avec des périodes de ruptures de stock). A noter que nous ne disposons pas non plus de formes pédiatriques », souligne Dr El Azhari. Au vu du vide légal concernant ce type de soins, l’élaboration de textes spécifiques est également une priorité. « Les soins palliatifs doivent être accessibles tout au long de la vie, ils sont une responsabilité éthique des systèmes de santé, c'est pour cela que des politiques nationales doivent être mises en place pour faciliter l'accès à ces soins indépendamment de l'âge des patients et de leurs maladies », conclut Dr El Azhari.
 

3 questions à Dr Asmaa El Azhari, médecin spécialiste en soins palliatifs : « Nous sommes passés d'une seule unité de soins palliatifs en 2005 sans équipes mobiles à 8 unités de soins palliatifs avec 17 équipes mobiles à l'échelle nationale »

Responsable de l'Unité des soins palliatifs du Centre Mohammed VI pour le Traitement des Cancers au CHU Ibn Rochd de Casablanca, Dr Asmaa El Azhari répond à nos questions.
Responsable de l'Unité des soins palliatifs du Centre Mohammed VI pour le Traitement des Cancers au CHU Ibn Rochd de Casablanca, Dr Asmaa El Azhari répond à nos questions.
  • Quel rôle joue la morphine dans les soins palliatifs au Maroc ? Y a-t-il des réticences à son utilisation ?
 
- Comme je dis toujours, si nous n'avons pas de morphine, il n'y a pas de soins palliatifs! Certes, les soins palliatifs visent à soulager tous les symptômes physiques autres que la douleur ainsi que les souffrances d'ordre psychologique et spirituel, mais il faut savoir que presque 90% de ces patients à un stade avancé de la maladie présentent une douleur d'intensité modérée à sévère qui requiert un traitement par morphine. La douleur intense reste le symptôme le plus fréquent en soins palliatifs. Je fais les soins palliatifs depuis 2007, d'abord en Europe et depuis 2013 au Maroc : tous les patients que j'ai accompagnés ne réclamaient que d'être soulagés de leur douleur. Il n'y a pas de réticences de la part des patients, c'est rare. Par contre, au Maroc, il existe toujours une certaine "Opiophobie" de la part des médecins. C’est-à-dire une peur d'utiliser la morphine dans ce contexte, due tout simplement à un manque de formation.
 
  • Quels progrès ont été réalisés ces dernières années dans ce domaine au Maroc ?
- Grâce aux efforts du ministère de la Santé et de la Fondation Lalla Salma de Prévention et Contrôle du Cancer, nous sommes passés d'une seule unité de soins palliatifs en 2005 sans équipes mobiles à 8 unités de soins palliatifs avec 17 équipes mobiles à l'échelle nationale. Dans ce sens, plusieurs professionnels de santé ont été formés en matière de douleur et soins palliatifs, sachant qu'actuellement les soins palliatifs font partie du cursus de base des étudiants en médecine. Il existe des diplômes universitaires dans la prise en charge de la douleur et en soins palliatifs et il existe aussi une société savante marocaine de soins palliatifs qui organise des congrès internationaux dans ce domaine.
 
  • Comment avez-vous vu évoluer la perception des soins palliatifs au Maroc, tant par le grand public que par les professionnels de santé ?
- Un important travail de sensibilisation demeure à réaliser, car beaucoup ignorent encore ce que sont les soins palliatifs et qu'ils existent au Maroc, tant parmi le grand public que chez les professionnels de santé. Par ailleurs, certains, y compris des professionnels de santé, considèrent ces soins comme des soins de fin de vie, alors qu'ils peuvent en réalité être intégrés dès le début du parcours de soins, dès le moment du diagnostic, afin d'améliorer la qualité de vie des patients et de leurs familles.
 

Statistiques : Difficulté d’accès aux soins palliatifs dans les pays à faible revenu

Chaque année à travers le globe, plus de 40 millions de personnes se retrouvent dans le besoin de soins palliatifs, sachant que 78% d’entre elles vivent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire. Pour les enfants, 98% qui sont dans ce cas habitent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire et près de la moitié d’entre eux sont en Afrique. Selon une enquête de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sur les maladies non-transmissibles réalisée auprès de 194 États Membres en 2019, le financement des soins palliatifs était prévu dans 68% des pays et seuls 40% des pays ont indiqué que les services permettaient d'atteindre au moins la moitié des patients qui en avaient besoin. A noter qu’à l’échelle mondiale, les soins palliatifs sont nécessaires dans 40 à 60% de tous les décès. Ces soins font par ailleurs l’objet d’une philosophie et d’un socle de valeurs universelles basées sur la transparence, le respect de la dignité humaine et la liberté de choix des patients concernés.

L’accès aux soins palliatifs, un enjeu éthique et humanitaire majeur

L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) insiste sur l'importance d'intégrer les soins palliatifs dans les systèmes de santé nationaux. Ces soins doivent être disponibles dès le diagnostic de maladies chroniques graves et être associés aux programmes de prévention, de dépistage et de traitement. Conformément aux principes de la couverture sanitaire universelle, chaque individu, indépendamment de ses revenus, de son âge ou de sa maladie, doit avoir accès à des services de santé de base incluant les soins palliatifs. L'Organisation appelle les gouvernements à mettre en place des systèmes de protection sociale et financière, garantissant que même les populations les plus pauvres et marginalisées puissent bénéficier de ces soins essentiels. En outre, l'Organisation souligne la nécessité de former les équipes pluridisciplinaires, en particulier les personnels infirmiers, pour qu'ils puissent dispenser des soins palliatifs de qualité. « Il est crucial que ces soins soient intégrés dans les structures de santé primaires, communautaires et à domicile, tout en assurant un soutien aux familles, aidants et bénévoles », précise l’OMS. Bien que les soins palliatifs spécialisés soient indispensables, l'Organisation rappelle qu'un accès généralisé à ces soins, notamment dans les zones rurales, est un enjeu éthique et humanitaire majeur. « Chaque professionnel de santé a le devoir moral d'alléger les souffrances des patients, quel que soit le stade de leur maladie, en leur assurant une prise en charge globale ».








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